Dans une interview exclusive accordée à Sport Business Insights Magazine, Ambassadeur itinérant et ancien footballeur Roger Milla est revenu sur plusieurs sujets de l’actualité du football camerounais et mondial. Pour une fois encore, il n’est pas allé de main morte
ROGER MILLA Ambassadeur itinérant et ancien footballeur
« Les dirigeants ne respectaient pas le football et les footballeurs »
Monsieur l’Ambassadeur, pouvons-nous faire avec vous, un bilan de la toute dernière CAN tenue chez vous, en terre camerounaise ?
C’est une victoire pour toute notre nation, et même une très grande victoire. Il a fallu consentir d’énormes sacrifices et beaucoup d’efforts pour y parvenir. J’ai vu tous les Camerounais et les Camerounaises accepter de se mettre ensemble, de se serrer les coudes pour la réussite de cet évènement inédit. C’était tout simplement fantastique ! Pour cela, je leur dis sincèrement Merci. Mais par-dessus tout, je voudrais remercier très profondément le Président de la République.
Quelle lecture posez-vous sur le niveau du football africain au sortir de cette compétition ?
Beaucoup ont cru et prétendent même que le football africain n’évolue pas. Mais chaque jour, on comprend bien que les choses changent. On voit que des efforts sont faits dans plusieurs pays, même ceux jadis classés derniers, pour que la qualité des performances s’améliore, et que les compétitions soient un peu plus disputées. Il faut saluer par exemple la performance de ceux que beaucoup qualifiaient de « petits pays » comme je l’ai souligné, et qui ont fait comprendre aux uns et aux autres qu’il y a une mise à niveau effective par le haut. Il faut de moins à moins sous-estimer ou surestimer des adversaires sur le continent. La Guinée Equatoriale, le Burkina-Faso, les Comores, la Guinée Conakry, sont quelques exemples qui ont surpris plus d’un par leurs résultats. Ceux qui ont souvent écrasé la compétition ont été mis en difficulté. C’est un indicateur important. Et je pense par conséquent que le nombre de places réservées aux équipes africaines en Coupe du Monde devrait connaître une évolution.
Le Sénégal champion pour la toute première fois. Qu’en pensez-vous ?
Déjà félicitations pour la victoire ! Il est normal que le Sénégal soit sacré aujourd’hui, après plusieurs essais infructueux. Ils ont fait un assez bon parcours jusqu’en finale, même si je pense sincèrement qu’ils n’auront pas été les meilleurs de la compétition. Même contre l’Egypte en finale, ils n’ont pas vraiment écrasé l’adversaire. Et puis, sincèrement, on ne peut pas avoir autant de fortes individualités sans trophée. Quelque part je dis que le Cameroun aurait pu garder ce trophée à domicile, avec tout ce qu’il a démontré. Dommage, en demi-finale contre l’Egypte, il y a eu cette mauvaise appréciation de l’entraîneur camerounais, on aurait joué la finale. Quand nous avons eu des joueurs d’une telle qualité, le Cameroun a dominé le football africain sur plusieurs années et même sur le plan international, nous avons imposé notre marque. Et ça dure jusqu’à ce jour.
A propos de ce Cameroun, que pensez-vous de la nouvelle cuvée éprouvée pendant cette CAN ?
Cette nouvelle équipe me donne beaucoup de sourire parce qu’elle est constituée de jeunes qui veulent se battre jusqu’au bout pour le drapeau. Ils démontrent qu’on peut leur faire confiance. Le match de la troisième place en est encore une belle illustration. Ce n’est pas tous les jours qu’on revient ainsi au score pour remporter une belle troisième place après avoir été mené 3-0 à 16 minutes de la fin du match. Il faut continuer le travail. On peut encore l’améliorer en qualité et même en invitant de nouveaux joueurs que l’on découvre chaque jour que ce soit au pays ou à l’extérieur. Je leur tire donc un coup de chapeau.
Il semble se poser comme une « crise des binationaux ». Comment abordez-vous cette question ?
Sincèrement, on ne devrait pas les supplier pour rejoindre la patrie. L’amour du pays devrait tout faire. Et je vais m’adresser personnellement à mon petit-fils Joël Matip, que j’ai été chercher moi-même à Cologne pour intégrer notre équipe nationale, au même moment que Choupo-Moting. C’est vrai qu’il y a eu plusieurs problèmes et qu’ils se sont sentis blessés. Mais je les invite aujourd’hui à reconsidérer leurs positions. On ne saurait être radical contre sa terre d’origine, la terre de ses ancêtres. Notre football a connu de nombreux problèmes à cause de ceux qui étaient à sa tête et qui ne respectaient pas le football et les footballeurs. Il y a désormais un des leurs, qui comprend mieux leurs attentes, leurs problèmes. Ils devraient donc désormais tous regagner le bercail, afin que notre nation soit l’une des plus conquérantes. Au Brésil, aucun footballeur n’est fier de lui tant qu’il n’a pas été convoqué en équipe nationale et qu’il n’a pas porté la tunique. Nous pouvons remporter de grandes victoires ensemble. Nous avons besoin de tout le monde. Nous avons besoin d’eux. Moi en premier, je veux tous les voir dans la tanière.
Que vous inspire le nouvel encadrement technique des Lions indomptables avec Rigobert Song à sa tête ?
C’est une équipe technique qui a toute ma confiance et qui pour moi, prépare à de nouvelles victoires. Rigobert Song est un gagneur, et je pense que tous ceux qui sont autour de lui connaissent bien l’environnement de notre équipe nationale. Ils savent tous ce que l’on appelle le « fighting spirit », « l’esprit Lion », pour toujours plus de victoire. Je pense qu’ils devraient juste travailler dans l’harmonie. Sans vouloir les comparer aux autres pays africains qui ont des nationaux aux commandes, je pense que c’est un bon staff. Qu’ils sachent que tous les anciens footballeurs comme moi sont derrière eux, à leur service, prêt à donner un conseil pour avancer. J’attendais déjà que l’on frappe un grand coup contre l’Algérie en barrages de la Coupe du Monde. Et cela a été fait de fort belle manière.
Avec cet encadrement fait majoritairement de nationaux, est-ce pour vous le début d’une nouvelle ère ? Comment appréciez-vous le phénomène des coaches africains à la tête des sélections africaines ?
Avec Akono Jean Paul, nous avons déjà remporté une médaille d’Or olympique. C’est quand même le plus haut niveau du sport mondial. Aujourd’hui, nos joueurs sont au plus haut niveau également dans les meilleurs clubs du monde. Pourquoi nos entraîneurs ne le seraient pas ? Et puis sincèrement, nos gouvernements ont dépensé énormément d’argent avec les entraîneurs occidentaux pour des résultats très peu impressionnants. Par ailleurs, combien d’étrangers et notamment d’Africains dirigent des sélections nationales en Europe, et même entraîner les grands clubs européens ? Je pense que les exemples du Sénégal avec Aliou Cissé et autres sont à saluer. Il est temps que l’Afrique se réveille vraiment. Que les enfants du continent puissent également bénéficier d’une certaine confiance des décideurs politiques, avec le temps qu’il faut pour que les choses se mettent vraiment en place.
Votre « fils » Samuel Eto’o est désormais à la tête de la Fédération Camerounaise de Football qui se noie dans une profonde crise depuis de longues années. Avez-vous un commentaire ?
Suite à son élection, je me réjouis d’une première chose, c’est qu’il a compris qu’il faut revenir dans la famille du football qui est sa véritable famille. Il a manifesté ce respect pour les aînés et vous voyez bien que nous l’avons accompagné pour l’assaut final lors de ces élections. J’ai même dû faire une ultime vidéo depuis Dubaï, à la veille des élections pour dire au monde entier qu’il était notre choix et la personne idéale pour notre football aujourd’hui. Pendant longtemps il a été entouré de personnes qui ne lui apportaient vraiment pas ce qu’il lui fallait par rapport à ses ambitions. Or, ce garçon est très bien intentionné et très ambitieux. Maintenant, nous sommes tous unanimes derrière lui, pour travailler à la renaissance du football au Cameroun. Nous prions tous le Seigneur aujourd’hui pour lui et pour la tâche immense qui l’attend en tant que président de la FECAFOOT. Notre vœu pieux est que tout se passe bien. Tant qu’il viendra vers nous, nous serons présents. C’est pour le bien de notre jeunesse, de notre pays.
Quel regard portez-vous sur la renaissance du football local au Cameroun ?
Mon souhait est que tous ceux qui disent s’investir dans le sport en général, et dans le football en particulier, respectent le football. Nous ne voulons plus voir des gens dans le football qui maltraitent les sportifs parce qu’ils ne recherchent que le profit financier et la satisfaction de leurs petits intérêts. Il faut mettre le footballeur au centre des préoccupations des uns et des autres. Il y a trop d’aventuriers qui attendent juste le moindre sou qui tombe pour s’en mettre plein les poches. Les dirigeants de clubs se servent de plus en plus de ce sport pour satisfaire leurs égoïsmes, faire plaisir à leurs copains et copines. C’est dommage. Laissez-moi vous dire que personnellement, en tant que joueur du Tonnerre à l’époque, nous avons dormi dans le lit des hautes personnalités de la République qui étaient dirigeants de notre club. Je vais citer le président Tsanga Soter, qui m’a laissé dormir dans son lit avec un coéquipier pour qu’on soit serein avant un match. Nos présidents et autres grands membres étaient nos parents, nos amis. Ils nous suivaient réellement au quotidien. Ils aimaient vraiment le beau football et faisaient tout pour que ce football soit toujours meilleur malgré le peu de moyens disponibles. Aujourd’hui, on a que des affairistes à la tête de nos clubs et c’est là l’origine de notre échec.
La FIFA et l’UEFA notamment, semblent vouloir imposer une certaine conduite au football africain. Un mot ?
Je me suis entretenu personnellement avec le président de la FIFA, G. Infantino, à ce sujet. Et je lui ai fait savoir, que les Africains étaient assez matures et responsables, pour prendre en main leur avenir et la direction de leur football. Nous n’avons pas besoin de leurs multiples interventions pour la gestion de nos affaires. Ils veulent absolument nous imposer un calendrier pour nos compétitions sans même tenir compte de nos réalités culturelles, climatiques, etc. Ils veulent disposer de nos footballeurs plus que nous-mêmes et ce n’est pas du tout correct. Sans les talents qui partent de notre continent, le football européen ne vaut pas grand-chose. Nous n’interférons pas dans leurs affaires même quand ils ont des crises. Qu’ils nous respectent. Quand nous aurons besoin d’eux, on le leur fera savoir. …
Et puis, j’en profite pour m’adresser directement à tous les dirigeants de nos fédérations de football et à nos différents représentants à la FIFA ; honnêtement, ce sont eux à la base de la merde dans laquelle se trouve aujourd’hui le football continental. Pour quelques billets d’Euros ou de Dollars, ils donnent leurs voix pour des programmes qui vont à l’encontre des valeurs promues par l’Afrique. Ils votent même très souvent contre les intérêts africains en échange de quelques dessous de table. Malheureusement, rien ne se cache éternellement et ils sont découverts. Il faut que ces basses manœuvres cessent. Depuis de longues années, l’on parle d’une Coupe du Monde remportée par un pays africain, mais comment cela pourrait arriver si nous sommes trahis tout le temps par nos propres dirigeants ? C’est honteux !!! Je suis contre tous ceux qui n’aiment pas le football africain. Je suis contre tous ceux qui n’aiment pas l’Afrique