Le même cafouillage règne lors des déplacements des Lions Indomptables. Avant la Coupe du monde, Volker Finke avait obtenu de la Fécafoot et du ministère des Sports que les Lions voyagent seuls avec le staff technique dans leur avion, pour des besoins de concentration. Une promesse lui avait été faite dans ce sens. Elle ne sera pas respectée. Deux jours plus tard, dans le vol qui mène les Lions à Natal le 11 juin 2014 pour leur match contre le Mexique, il règne un vacarme incroyable. Supporters, journalistes, fonctionnaires, agents de la Fécafoot et quidams sont tous aussi à bord. Les joueurs sont d’autant furieux que les membres de leurs familles et amis ont été abandonnés sur le quai.
Le sélectionneur Volker Finke, quelques jours avant le départ pour Natal avait payé de sa poche pour que son épouse et deux amis qui logeaient dans un appartement loué à quelques kilomètres de l’hôtel des Lions Indomptables puissent faire le déplacement. Au départ, un avion devait être affrété pour les familles et invités des joueurs. C’est seulement vers 1h du matin que le sélectionneur reçoit un appel l’informant de ce que ledit vol a été annulé. Pareil pour certains joueurs dont les parents et amis ont fait le déplacement du Brésil et qui sont contraints de regarder ce premier match à la télé. « Vous voyez ça ? Il est impossible de se concentrer dans ces conditions », tranche Finke après la Coupe du monde.
La guerre est totale au Brésil entre les Lions et les dirigeants (Fécafoot et ministère des Sports) au sujet de la prise en charge des familles et amis des joueurs. Un jour, le père de Choupo-Moting, qui a réussi au forceps à se faire prendre en charge par la Fécafoot (gîte, couvert et transport) a une gueulante mémorable avec Pierre Batamack, membre du comité exécutif de la Fécafoot. Les deux hommes logent à l’hôtel Comfort de Vitoria.
Le 18 juin au petit matin en effet, Just Choupo-Moting quitte sa chambre, vêtu du maillot vert des Lions indomptables avec le nom de son fils inscrit sur le dos. Il est très chaud pour regarder ce deuxième match des Lions à Manaus contre la Croatie. Il annonce bruyamment dans le hall de l’hôtel que les Lions Indomptables vont gagner et que son fils va marquer. Just Choupo-Moting, prend son petit déjeuner à la hâte pour ne pas manquer le taxi qui va convoyer les happy-few retenus pour ce match à l’aéroport. Le père de Choupo-Moting est particulièrement volubile et folâtre ce matin-là. Jusqu’au moment où on lui annonce qu’il ne fait pas partie des heureux élus.
Pour se charger d’une annonce aussi délicate, la Fécafoot a envoyé Pierre Batamack, « l’homme des missions compliquées ». Il a la réputation de mettre les pieds dans le plat sans façon. Lorsqu’il lui annonce la triste nouvelle, Just Choupo-Moting se redresse violement de tout son long et manque de renverser le plat qu’il essayait d’avaler avant le départ pour l’aéroport. « Non ! Ça ne va pas se passer comme ça. J’appelle Samuel tout de suite. Il a dit que la Fécafoot doit faire voyager les familles des joueurs », vocifère-t-il.
La seule évocation du prénom « Samuel » révulse Pierre Batamack. Il exècre Eto’o. La répartie est de taille : « Samuel c’est qui ? Samuel ne commande personne ici, monsieur. Va lui dire ça ! Ton fils a eu 56 millions de francs Cfa ! Il peut bien t’acheter un billet, non ? Samuel, Samuel, Samuel… Samuel c’est qui ? Tout ça va finir quand nous reviendrons aux affaires. Vous allez voir ! »
Les parents de Landry Nguemo Abandonnés
Les autres qui attendent le taxi pour l’aéroport observent la scène de loin et pouffent de rire. Beaucoup savaient depuis la veille que « papa Choupo » ne voyagerait pas. Celui-ci sort violement son téléphone et essaie de passer un appel. Probablement à Eto’o. Cela ne changera rien. Just Choupo-Moting regardera le match à Vitoria dans le restaurant de l’hôtel Comfort. Après la douche froide, 4-0 contre la Croatie, d’aucuns diront pour le taquiner qu’on a laissé à quai le porteur de gris-gris de Choupo-Moting. Raison pour laquelle les Lions Indomptables ont perdu.
Les familles des joueurs vont régulièrement être lésées lors des déplacements. Le 24 juin, date du retour au bercail de la délégation camerounaise, un incident se produit à l’aéroport de Vitoria. L’embarquement est difficile. Le voyagiste du Cameroun est débordé. Les fonctionnaires en mission ont fait d’énormes emplettes. Pareil pour les agents de la Fécafoot. Embarquer autant de bagages prend beaucoup de temps. Un membre du Comité de normalisation de la Fécafoot et enseignant d’université ploie sous le faix de ses valises. Il en traîne quatre toutes neuves, remplies à ras-bord, au point de susciter la raillerie de ses collègues. « Ce n’est pas possible ! Le prof voulait acheter tout le Brésil ou quoi ? », ironise un membre du Comité de normalisation.
L’avion finit par tout embarquer. Bagages et passagers. Au moment où il s’apprête à décoller, un joueur, Landry Nguemo, qui ne se doutait de rien, reçoit un appel. Au bout de la ligne, son père. Il a été laissé à l’aéroport parce que son nom et celui de son épouse, handicapée, ne figuraient pas sur la liste des passagers. Nguemo pique une colère, fonce vers Samuel Eto’o et quelques coéquipiers.
« Les gars, dit-il, pratiquement en larmes. Je descends. Je ne continue pas le voyage avec vous. Je ne peux pas partir sans mes parents. Ils ont été abandonnés au sol. » Pour joindre la parole à l’acte, il essaie de récupérer ses sacs.
Samuel Eto’o et les autres joueurs sont bouleversés. « Si on ne prend pas la mère de Landry, nous descendons tous. Cet avion ne décollera pas sans eux », lance Samuel Eto’o. L’équipage n’en a cure.
Pas plus que le ministre des Sports et le président du Comité de normalisation, royalement assis en première classe où ils savourent déjà quelques commodités : jus de fruit, petits fours et en guise de bonus, le sourire aguicheur des hôtesses brésiliennes.
Les joueurs commencent à grogner. Adoum Garoua comprend que la situation est grave. Le pilote ne peut pas amorcer le décollage avec une quinzaine de passagers debout qui râlent. Les menaces n’y font rien.
S’ensuit un long échange téléphonique entre le ministre et le voyagiste, « Landry », resté au sol. L’équipage ne veut plus ouvrir les portes de l’avion. Le bras de fer se joue maintenant entre les responsables de la compagnie aérienne brésilienne, les pilotes et les joueurs. Ceux-ci obtiennent gain de cause. Les portes sont rouvertes. Les parents de Landry Nguemo, dont sa mère, qui se déplace avec des béquilles, montent finalement à bord. Deux autres Camerounais, eux-aussi abandonnés, en profitent. Il y a parmi les deux derniers, un des « sbires » d’Eto’o.
Le 15 juin 2014 déjà, cette histoire de prise en charge des familles et amis des joueurs avait entraîné un échange vif entre le ministre des Sports, Adoum Garoua et le président du Comité de normalisation de la Fécafoot, Joseph Owona. Certains médias, certainement par mauvaise foi, avaient même affirmé que les deux hommes en étaient venus aux mains.