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Pierre Laurent Tamo critique l’organisation de la CAN 2016

Pierre Laurent Tamo, Expert Pierre Laurent Tamo, expert des questions d’organisation des compétitions sportives

Tue, 13 Dec 2016 Source: cameroon-info.net

Dans un entretien accordé à Cameroon-Info.Net, cet expert des questions d’organisation des compétitions sportives, consultant à la Ligue nationale de football professionnel du Gabon, revient sur le bilan de la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin que le Cameroun a abritée du 19 novembre au 3 décembre 2016.

La CAN féminine s’est achevée le 3 décembre dernier sur une défaite du Cameroun en finale face au Nigéria, comment avez-vous vécu cette nième défaite des Lionnes face aux Super Falcons ?

Comme tout Camerounais, avec beaucoup de tristesse. Tristesse parce que nos valeureuses lionnes nous ont fait rêver et la Coupe aurait été la cerise sur le gâteau. C’est avec beaucoup d’amertume que j’ai constaté qu’au soir du 3 décembre, la valeureuse capitaine Christine Manie n’a pas mesuré sa taille plus celle d’un trophée brandi au-dessus de sa tête.

Avant cette compétition, il y a eu beaucoup d’incertitude quant à la préparation, peut-on dire aujourd’hui que le Cameroun a relevé le défi de l’organisation ?

Il faut faire la distinction lorsqu’on parle de l’organisation. Les problèmes décriés avant le début de la compétition étaient davantage vus sur l’angle marketing de la compétition. L’approche marketing étant une approche claire, on se rend compte que sur ce plan, l’organisation de la compétition n’a pas été une totale réussite en ce sens que nous n’avons pas enregistré la signature des contrats de sponsoring à ma connaissance.

De ce point de vue, cela me laisse un goût amer parce que quand vous voyez 45 000 personnes au Stade omnisport pour le match des demi-finales entre le Cameroun et le Ghana, avec presque autant à l’extérieur et que cela ne puisse pas générer des ressources inimaginables à la compétition, j’ai un petit pincement au cœur.

Cependant, il faut quand même dire que sur le plan populaire, ça avait davantage été une belle fête parce que les résultats produits sur le terrain ont attiré notre sympathie. Si on a connu l’engouement que nous avons eu, c’est parce que dès le premier match contre l’Égypte (2-0, NDLR), nos valeureuses lionnes ont annoncé les couleurs. Si on avait eu un résultat différent en faveur de l’Égypte, je ne suis pas sûr qu’on aurait eu la même ferveur observée.

Si on peut se résumer: sur le plan marketing de la compétition, ça n’a pas été une réussite. Mais par contre sur le plan de l’organisation des cérémonies d’ouverture et de clôture, de l’attractivité de la compétition, ça a été une réussite inégalée sur le plan africain et je ne suis même pas sûr que les hommes puissent réussir à réunir autant de monde de nos jours... Si mes informations s’avéraient exactes, dès 9 heures le jour de la finale, le stade était déjà rempli. Pour une finale qui se jouait à 15H30.

On va rester dans l’organisation de cette compétition. Parlant du manque à gagner, il y a eu un fait majeur, c’est qu’à la finale, l’accès était libre. De votre point de vue, le Cameroun n’a-t-il pas laissé partir beaucoup d’argent comme cela en fumée ?

Je pense que là, vous posez des problèmes réels, des problèmes qui trouvent leur source dans l’organisation de la compétition en elle-même. Ça veut dire que si le Comité local d’organisation avec naturellement l’appui de la CAF, avait réfléchi en amont, on aurait pu avoir des résultats largement différents de ce que vous énoncez. Imaginez que les 40 mille spectateurs qu’on a eus en finale avaient acheté leurs billets en ligne comme cela se fait lors des grandes compétitions, et si on mettait le billet à 10 000 FCFA, cela fait 400 millions de retombées pour un match. Si vous avez deux matches comme ça, ça vous revient à 800 millions.

Vous voyez là qu’on commence à rentrer dans des chiffres extrêmement importants. Donc, le problème effectivement est à ce niveau, davantage parce qu’il y a eu au niveau du comité local d’organisation, des manquements que nous avons décriés longtemps avant même que la compétition ne se précise. Malheureusement, si nous ne faisons rien, en 2019 qui est déjà proche, nous aurons encore peut-être les mêmes résultats.

Beaucoup estiment qu’au niveau de l’organisation, la Confédération Africaine de Football (CAF) a été phagocytée par le politique camerounais. On a plus vu des agapes politiques que l’organisation même de la confédération. Quel est votre avis sur cette question ?

Les gens ont exprimé un sentiment réel. C’est effectivement ce que nous avons vu. Mais il faut aussi se dire une chose : à partir du moment où le Chef de l’État doit participer à des matches, le dispositif sécuritaire ne peut plus être le même, ça, c’est une réalité. Maintenant, il revenait au Comité d’organisation d’anticiper sur les évènements afin que nous ayons soit une bonne communication, soit que nous ne nous retrouvions pas dans des situations désagréables où des personnes ont acheté des billets et n’ont pas pu accéder au stade. Vu sous cet angle, on a l’impression que la CAF est passée en second plan au profit du politique…

Je voudrais qu’on revienne un peu sur l’aspect économique. Doit-on conclure que le Cameroun a organisé cette compétition à perte ? Puisqu’on a vu des tickets être gratuitement distribués et pas de contrat de sponsoring pour profiter de la foule que drainait la compétition.

Ecoutez mon cher Wiliam ! Tout dépend du sens que vous donnez à une compétition. Sur la base de ce que j’ai vu en étant très loin de la chose, le but du Cameroun n’était pas de rentabiliser la compétition. Le but du Cameroun était d’organiser la compétition. C’est plutôt cela. Or s’il faut rester dans ce cadre, la compétition a été effectivement organisée et cela s’est vu. La rentabilisation de la compétition dépend d’une autre approche, d’un autre dispositif. Elle exige un cadre juridique approprié.

Je suis d’accord avec vous que si le Comité d’organisation avec surtout l’appui de la CAF s’était organisé différemment, on aurait pu lever autant de milliards que ce qu’on a reçu de l’Etat pour l’organisation de la compétition. Certaines dépenses auraient même pu être prises en charge par des entreprises locales. Je voudrais citer un exemple: nous avons des concessionnaires automobiles au Cameroun (Tratafric, Cami Toyota, etc).

Si des travaux profonds avaient été faits à la base, je suis sûr qu’on aurait pu avoir des contrats qui permettaient à ces entreprises de mettre à la disposition des délégations, des officielles, des bus et des véhicules flambant neufs pour les accompagner durant la compétition et ça nous aurait permis non seulement d’éviter l’image un peu brouillée à travers le refus de la délégation égyptienne de récuser un bus qui lui était affrété, mais surtout de permettre d’avoir de bons contrats de sponsoring qui permettraient de relancer effectivement notre football professionnel local qui, plus de cinq ans après, continue à chercher ses marques.

Si vous avez vu l’Euro, Hyundai était un des sponsors de l’évènement et avait même d’ailleurs conçu un véhicule dédié à la compétition. C’est pour cela que si nous voulons travailler dans le cadre de la rentabilité d’une compétition, il faut qu’on s’y prépare au moins deux ans à l’avance. Le temps de faire tous les cadrages, le temps de négocier, de conclure des contrats avec ces entreprises, de permettre aux entreprises de confectionner les budgets y relatifs et d’aller devant les conseils d’administration pour les défendre. Ce n’est pas en six mois, ce n’est pas en trois mois qu’on négocie et obtient des contrats de grande envergure.

Loin de vouloir faire de la polémique, n’avez-vous pas l’impression que le Cameroun a organisé deux CAN: une, bien structurée, bien organisée à Yaoundé et une autre au rabais à Limbe selon les populations de cette localité ?

Le Cameroun n’a pas organisé deux CAN. Il se trouve qu’à la différence de Yaoundé, le public n’a pas répondu présent à Limbe. Si on avait eu le même engouement à Limbe, ça aurait donné exactement le même résultat. À Yaoundé, les gens se sont sentis concernés au-delà des problèmes réels tandis qu’à Limbe, les populations ont décidé de tourner le dos à la compétition, c’est ce qui justifie cet état de choses...

Pensez-vous qu’après l’organisation de cette CAN féminine, les autorités sportives camerounaises devront enfin se pencher sur la mise sur pied d’un véritable championnat de football féminin au Cameroun ?

En général, le but de ce type de compétition c’est qu’après leur tenue, qu’au niveau local, les opérations soient boostées. Imaginons qu’avec la ferveur que nos lionnes nous ont permis d’avoir, on peut décider par exemple que chaque équipe masculine ait une version féminine. Un peu comme partout ailleurs, de manière à ce qu’on ait des Canon Filles, Tonnerre Filles, etc.

Si on met en place ces dispositions, je peux vous assurer que le Cameroun pourra être le premier pays africain à remporter une Coupe du Monde. Parce qu’il est en train de côtoyer de grandes nations sur la base des rudiments. Malgré les dix titres du Nigéria, l’année dernière en Coupe du Monde, il n’a pas pu franchir le premier tour. Ce qui n’était pas le cas du Cameroun. Imaginez qu’on ait une véritable organisation professionnelle, qu’on ait un tel public aux matches des filles, imaginez les retombées. Ça peut être un bon levier pour relancer une fois pour toutes notre football professionnel, y compris masculin qui n’arrive pas à décoller.

Source: cameroon-info.net