Si vous lancez un boomerang comme un vulgaire caillou sans faire attention, vous risquez très probablement de le recevoir en pleine face, puisqu'il va revenir vers vous exactement comme vous l'avez lancé. C'est le paradigme de l'épée à double tranchant, et il est très présent dans l'univers politique : cela signifie qu'un grand nombre de décisions prises par des personnes ou entités surpuissantes s'avèrent très souvent être de mauvais calculs, qui se retournent au final contre ces personnes ou ces entités-là.
Le plus fréquent - et le plus flagrant - de ces mauvais calculs est sans doute l'arrestation arbitraire des activistes et/ou opposants politiques. En effet, selon le degré de popularité d'un opposant au pouvoir en place ou d'un adversaire à l'impérialisme, le recours à la répression policière peut se révéler être un pari bien stupide. On l'a vu à travers l'histoire, c'est précisément la répression - voire l'assassinat - qui a transformé de simples hommes et femmes d'opinion en véritables légendes intergénérationnelles : De Um Nyobé à Mandela en passant par Lumumba, Olympio, Winnie, Sankara, Machel et autres Moumié, c'est le musellement par la puissance dominante qui leur a forgé le statut d'icônes immortelles. Et aujourd'hui, à l'ère des nouvelles technologies de communication (et donc de mobilisation), tout président africain ou tout système impérialiste doit réfléchir par deux fois avant de décider de coffrer tel ou tel leader.
Car en politique, toutes les auras ne se valent pas. Qu'il vous aime ou qu'il vous déteste, votre ennemi doit être conscient de votre force (en l'occurrence de votre capacité d'émulation et du niveau d'indignation que peut susciter la répression à votre égard) s'il veut survivre. L'histoire est effectivement pleine d'apprentis-seigneurs qui, se voyant trop beaux trop forts trop vite, n'ont pas hésité à museler des adversaires (ou des peuples entiers) sans se soucier du retour du boomerang, signant ainsi le clap de fin pour eux-mêmes. Tout récemment, l'un d'eux a d'ailleurs cru bon de priver ses citoyens de toute possibilité de « make noise », ignorant alors qu'à peine quelques heures plus tard, c'est lui qui demanderait à la Terre entière de « make noise » en sa faveur.
(Mais je ne citerai aucun nom ici, pour ne pas frustrer Ali Bongo et sa famille).
LE CRÉPUSCULE DES...
L'accumulation du pouvoir entre les mains d'un seul individu s'accompagne très souvent d'une forte dose d'imprudence, de mégalomanie (et de stupidité), qui, à long terme, finit par desservir le détenteur. L'impopularité d'Emmanuel Macron en France découle de son obsession pour le paragraphe 49 alinea 3 de la Constitution, au mépris des désidératas de son peuple ; de même que le désaveu grandissant de son pays sur le sol africain ces dernières années émane de sa profonde et insupportable arrogance, doublée d'un narcissime qui n'a d'égal que la bêtise de l'empereur Caligula. Et s'il faut rester dans la Rome Antique, rappelons que la chute du grand Julius César en l'an 44 de notre ère découle de sa décision de s'autoproclamer « dictateur à vie », suscitant alors le courroux du Sénat qui craignait la fin de la République et l'émergence d'un monarque despotique.
Julius César était puissant, très puissant (d'ailleurs le mois de "Juillet" porte son nom), mais pas aussi puissant qu'il l'aurait cru.
C'est cette folie des grandeurs (et donc cette bêtise) qui anime encore bon nombre de dirigeants d'aujourd'hui, qui continuent de mal évaluer les effets secondaires de leur supposé « pouvoir suprême ». Au Bénin, le régime Talon (l'homme qui avait nourri tant d'espoirs après avoir terrassé le françaficain Lionel Zinsou en 2016) a estimé que le moment était venu d'entraver les mouvements et les activités de Kémi Seba, après que ce dernier a annoncé qu'il se rendrait au Niger ce lundi 18 septembre pour rencontrer le général Tchiani. Mais la patate n'a pas mis long à devenir chaude, très chaude, entre les mains du cotonculteur, dont la soumission au dictat français n'est désormais plus qu'un secret de Polichinelle. Arrêter Kémi Seba en 2023, c'est accélérer le processus de nettoyage de l'ulcère néocoloniale en Afrique francophone.
Et Talon s'en est vite rendu compte avant que ses mains ne commencent sérieusement à bouillir sous la patate.
Dans son imperfection humaine (que nous partageons tous par ailleurs), Kémi Seba reste l'une des forces sur lesquelles peut compter la jeunesse africaine dans la prise de conscience de l'impératif d'autodétermination et de refus du néo-esclavagisme. Il représente un atout pour le continent en ce sens qu'il met l'adversaire face à un dilemme cornélien (c'est-à-dire un dilemme où aucune solution n'est profitable). Car le laisser en liberté, c'est permettre à son message d'éveil des peuples de continuer son bonhomme de chemin jusqu'à la libération totale ; et l'emprisonner, c'est risquer de multiplier par dix la vitesse de ce même éveil... jusqu'à la libération totale. C'est précisément ce type de réalité mathématique qui pousse tous les panafricains convaincus à dire aujourd'hui : « Le réveil de l'Afrique est inéluctable. »
EN BREF :
Au Cameroun, Paul Biya avait expérimenté la même problématique de la patate chaude en 2019, contraint de libérer son pire cauchemar Maurice Kamto après 9 mois, sous la pression de son maître parisien qui lui faisait remarquer qu'un Kamto en prison devenait beaucoup plus dangereux pour son pouvoir qu'un Kamto en liberté. Au Sénégal, Macky Sall s'est récemment servi d'un macabre subterfuge pour neutraliser Ousmane Sonko, notamment en mettant en avant des délits de droit commun, pour masquer qu'il s'agit en réalité d'une manœuvre d'élimination d'un adversaire électoral (car ne vous y trompez pas, Sall compte bien conserver le pouvoir en 2024). Mais l'histoire des peuples a ceci de féerique qu'elle n'autorise pas à crier victoire après avoir gagné une simple bataille. Beaucoup de ceux qui dirigent aujourd'hui étaient les prisonniers d'hier ; de même que beaucoup de seigneurs d'hier sont les exilés d'aujourd'hui.
Une fois encore je ne citerai pas de nom, par respect pour Blaise Compaoré et sa famille. Et aussi parce que Alassane Ouattara ne va pas apprécier.
En attendant, un fait est certain, la fin de la Françaifrique aura lieu dans ce siècle. Et le plus excitant, c'est que le film se déroule en ce moment même, sous nos yeux. Nous en sommes les témoins oculaires, et nous le racontons même déjà à nos enfants.
EKANGA EKANGA CLAUDE WILFRIED
( L'influenceur, le vrai, c'est l'influenceur politique ; celui que l'on peut suivre quand on le croise dans la rue )