S'adressant à des journalistes venus de toute l'Afrique, le directeur de la chaîne d'information internationale RT, financée par le Kremlin, a déclaré : "Nous sommes parmi les meilleurs en matière de vérification des faits et nous n'avons jamais été pris en flagrant délit de diffusion de fausses informations".
Cette déclaration, préenregistrée et suivie par des centaines de journalistes en ligne, s'inscrivait dans le cadre d'un programme de formation international gratuit lancé l'année dernière par le radiodiffuseur russe.
Un journaliste de la BBC s'est joint au cours pour enquêter sur son contenu.
RT, exclue de l'Europe et des États-Unis et sanctionnée pour avoir diffusé de la désinformation, n'a pas évité de répéter des faussetés aux journalistes qui ont participé au programme.
"Nous vous souhaitons la bienvenue dans ce studio de RT, ici à Moscou. Il fait un peu plus froid que ce à quoi vous êtes habitués, mais nous allons essayer d'être chaleureux", a annoncé le directeur général de RT dans la première leçon vidéo du cours.
Le programme comprenait ce que l'on peut attendre d'un cours d'introduction au journalisme, comme la conduite d'interviews, la recherche d'idées d'articles, les reportages sur les nouvelles de dernière heure et le travail dans les zones de conflit, tout en promouvant les points de vue du Kremlin et en utilisant les propres reportages et interviews de RT comme support de cours.
Une leçon sur la couverture des nouvelles de dernière heure, par exemple, incluait un reportage de RT depuis Mariupol occupée, où les Ukrainiens qui se rendaient étaient décrits comme des "néo-nazis et des radicaux de toutes formes et de toutes saveurs".
Une autre leçon portait sur les médias traditionnels. Un présentateur de RT a comparé le journalisme produit par les "médias occidentaux" à "une guerre politique diffusée dans une salle".
Tout au long du cours, le personnel a décrit RT comme une "source d'information alternative".
L'un des séminaires a enseigné comment démystifier les "fake news".
Au cours de cette session, l'animateur a répété des faussetés bien connues du Kremlin.
L'instructeur a déclaré que l'attaque aux armes chimiques à Douma, en Syrie, en 2018, par le régime de Bachar el-Assad soutenu par la Russie, était un "exemple canonique de fake news". Il a ignoré les conclusions d'une enquête de deux ans menée par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, qui a confirmé les attaques menées par les forces syriennes. Le rapport indique qu'un hélicoptère de l'armée syrienne a largué des bouteilles de gaz chloré toxique sur des zones civiles, tuant 43 personnes.
L'animateur de RT a également rejeté le massacre de civils ukrainiens par les forces russes dans la ville ukrainienne de Bucha en 2022, le qualifiant de "faux le plus connu".
Il a déclaré : "La Russie a rejeté ces accusations ". La partie ukrainienne n'a toujours pas fourni de détails sur cette tragédie. Le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations unies demande depuis deux ans la liste des noms des personnes supposées avoir été tuées.
Il existe pourtant des preuves accablantes de l'assassinat de civils à Bucha par les forces russes, et des enquêtes ont été menées par de nombreuses sources indépendantes, dont le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.
L'organisation ukrainienne de vérification des faits StopFake a démenti l'affirmation de RT en 2022, notant que le conseil municipal de Bucha avait depuis longtemps confirmé l'existence d'une liste vérifiée de victimes, disponible sur demande. Les noms des personnes tuées par l'armée russe sont également inscrits sur un mémorial à Bucha.
Certains des journalistes participant au cours sur l'Afrique n'ont pas semblé s'inquiéter des fausses informations diffusées par RT.
Dans une interview accordée à la BBC, Dereje Yiemeru, un journaliste éthiopien qui semble admirer le président russe - il utilise la photo de Vladimir Poutine comme image de profil sur les réseaux sociaux - s'est fait l'écho des affirmations de RT, qualifiant les meurtres de Bucha de "mise en scène". Il a déclaré qu'il s'était inscrit au cours par curiosité pour le fonctionnement de RT et ce qui la distingue des autres médias.
Ishmael Koroma, un participant de Sierra Leone, a déclaré que, bien qu'il considère la désinformation comme un problème grave, il pense que chaque média fonctionne avec sa propre "valeur et son propre style d'information".
À la fin de la formation, les journalistes participants ont été invités à soumettre un rapport sur un sujet non couvert par les médias traditionnels, mais conforme au récit "alternatif" de RT.
La BBC a interrogé RT sur les objectifs de la formation et sur certaines affirmations des animateurs. La chaîne n'a pas répondu directement aux questions, se contentant de dire : "Dans notre cours de formation, nous essayons d'enseigner comment reconnaître la propagande subtile et parfois pas si subtile".
Le sentiment anticolonialiste et anti-impérialiste et l'héritage du soutien soviétique aux mouvements de libération pendant la guerre froide font que de nombreux Africains s'alignent relativement souvent sur la Russie. Plusieurs pays considèrent également la Russie comme un partenaire pragmatique pour une collaboration militaire et diplomatique.
Les médias d'État russes rapportent que RT exploite désormais au moins sept bureaux africains, a signé des contrats avec plus de 30 chaînes de télévision locales africaines pour diffuser son contenu et a augmenté le nombre de ses reportages quotidiens en provenance des pays africains.
En plus de diffuser en anglais et en arabe, RT a également réorienté sa chaîne en français pour cibler les pays africains francophones, selon Mme Simonyan.
En collaboration avec les Maisons russes - représentants officiels du gouvernement russe à l'étranger - RT a récemment organisé des projections de ses documentaires pro-russes dans certains pays africains.
Le documentaire de propagande "Why I Moved to Russia" (Pourquoi j'ai déménagé en Russie) montre des Américains discutant des raisons de leur déménagement, dans un exemple où ils affirment sans preuve que les écoles américaines encouragent secrètement les "classes transgenres" alors que les parents pensent que leurs enfants assistent à des cours d'art.
M. Obaji Jr observe que RT pourrait ne pas recruter uniquement pour elle-même, mais pour des campagnes d'information plus larges soutenues par le Kremlin ou pour des organisations médiatiques russes sur le continent.
Yevhen Fedchenko, directeur de l'organisation ukrainienne de vérification des faits StopFake, partage cet avis et établit un parallèle avec les tactiques de l'ère soviétique. Il explique que la création de réseaux loyaux par le biais de cette formation est une stratégie que la Russie utilise depuis longtemps.
"Vous pouvez les utiliser [les diplômés] pour promouvoir vos récits, influencer l'opinion publique et la prise de décision. Les gens deviennent des vecteurs de la Russie dans cette région".