Le Premier ministre malien est à couteaux tirés depuis quelques jours avec les autorités militaires qui dirigent la transition depuis plus de trois ans. Cette crise sonne comme un divorce selon les experts, mais jusqu’où iront les protagonistes ? Analyse.
Les relations ne sont plus au beau fixe entre le Premier ministre Choguel Maiga et le Président de la transition. C’est une sortie du Premier ministre qui a mis le feu aux poudres.
À l’occasion du premier anniversaire de la reprise de la ville de Kidal par l’armée malienne aux mains des rebelles, Choguel Kokalla Maiga a fustigé sa mise à l’écart par les autorités de la transition.
Devant ses militants du Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), Monsieur Maiga, en tenue militaire, a abordé le sujet délicat de la fin de la transition.
"La transition était censée prendre fin le 26 mars 2024, mais elle a été reportée sine die, unilatéralement, sans débat au sein du gouvernement" a-t-il déclaré.
Pour lui, "le Premier ministre d’un pays ne peut pas apprendre dans les médias que les élections ont été reportées. C’est à la télé que les ministres ont appris que les élections ont été reportées".
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Se faisant applaudir par l’assistance, le Premier ministre en place depuis août 2021 tente de rassurer ses partisans. "Nous avons la patience stratégique… Certains ont compris cette patience comme de la faiblesse, or, nous sommes habitués à nous battre politiquement depuis 50 ans", lance-t-il à l’auditoire.
Mettant en garde, " l’objectif de la conférence d’aujourd’hui, c’est de faire en sorte que tout le monde comprenne que, là où il y a des erreurs, qu’on se ressaisisse. Les Maliens n’accepteront jamais que ce qu’ils ont combattu revienne".
Appels à la démission
Depuis la sortie du Premier ministre, les autorités militaires n’ont pas encore réagi, pourtant la classe politique est en ébullition.
Dans une déclaration publique mardi, Mohamed Ag Mohamédoun, le président de l’Alliance pour la refondation du Mali et porte-parole des soutiens aux militaires au pouvoir, a appelé à la démission de M. Maiga, parlant d’un détournement d’un moment historique.
"La récupération de la ville de Kidal, un moment historique que l’ensemble des Maliens devraient célébrer, a été malheureusement détourné, sous le prétexte fallacieux d’une clarification de la classe politique".
Pour Ag Mohamédoun, "ce subterfuge n’est en réalité rien d’autre qu’un lancement de candidature politique opportuniste de l’actuel Premier Ministre Monsieur Choguel Maiga".
Et donc, pour lui, "une telle démarche qui ternit l’image de notre pays, éclabousse notre victoire, est une trahison de la confiance du Président (Assimi Goita) et, plus encore, un mépris flagrant envers l’intelligence et la dignité du peuple malien", a-t-il déclaré, avant d’envoyer un message au Premier ministre.
"Monsieur Choguel Kokalla Maiga, vous avez des comptes à rendre… En raison de votre discours qui fragilise davantage l’unité nationale, il est intolérable que vous restiez à votre poste de Premier ministre", a-t-il conclu.
Crise inévitable entre Choguel Maiga et Assimi Goita ?
Les experts maliens sont tous unanimes : cette sortie du Premier ministre malien allait finir par arriver.
"Choguel Maiga était devenu un Premier ministre de fait", explique le journaliste politique Mohamed Attaher Halidou, car, selon lui, ces derniers mois, l’homme politique n’avait eu de cesse d’appeler à la clarification des termes de la transition.
Pour Brahima Mamadou Koné, analyste politique malien, M. Maiga n’a pas improvisé ce discours, mais il a su le placer pour exprimer un désaccord qui était devenu flagrant.
"C’est quelqu’un qui ne partage plus la vision actuelle de la conduite de l’action gouvernementale, depuis la nomination du Ministre de l’administration territoriale, le général de division Abdoulaye Maiga. Il s’est dit : si je démissionne personnellement, je me tuerai politiquement, et s’est dit qu’il fallait faire cette sortie pour que le chef de l’État le limoge", explique l’analyste politique.
S’ouvre donc désormais une période d’incertitude, même si, pour Mohamed Attaher Halidou, le Premier ministre a prononcé un "discours de divorce", et désormais, M. Maiga est "un animal politique blessé".
Pour Brahima Mamadou Koné va plus loin, en disant que la cohabitation est désormais impossible entre les deux camps qui dirigent la transition. On risque selon lui, d’assister à "une action gouvernementale bloquée", précise-t-il.
Un divorce risqué ?
C’est désormais la grande question. Choguel Kokalla Maiga accompagne les autorités de la transition au Mali depuis plus de trois ans.
Connu comme étant l’un des responsables du Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), le groupe à l’origine de la contestation qui a conduit au renversement par coup d’État contre le président Ibrahim Boubakar Keita, M. Maiga s’est positionné, selon les experts, comme la principale figure civile de la transition.
Un divorce entre lui et les militaires ne saurait donc se faire sans conséquences, estiment nos experts. Il est, selon ces derniers, un caillou qui pourrait se mettre dans la chaussure des autorités militaires en place au Mali.
D’autant plus que Choguel Maiga tient une arme redoutable, une aile du mouvement M5-RFP, dont il est le leader. "Cette branche pourrait devenir une force de contestation contre les autorités de la Transition", estime Brahima Mamadou Koné.
En plus, ayant été chef du gouvernement pendant plus de trois ans, M. Maiga connait désormais l’appareil de l’État. Pour Mohamed Attaher Halidou, "il pourrait se lancer dans un déballage des affaires d’État qui mettrait en mal les autorités".
Toutefois, il ne faudrait pas surestimer ses forces, temporise le politologue Brahima Mamadou Koné, pour qui "Choguel Maiga tient le charisme de sa fonction de Premier ministre. S’il est démis de ses fonctions, il ne pourra plus s’ériger en leader pouvant rassembler le M5-RFP, qui regroupe trois factions distinctes aujourd’hui".
Le Mali est dirigé par des militaires depuis août 2020, après un coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keita, qui a suivi des mois de contestation de la société civile et de la classe politique.
Moins d’un an après, un autre coup d’État a cette fois visé, en mai 2021, les autorités ayant pris le pouvoir le président Keita.
Le nouveau leader, le désormais général Assimi Goita (colonel à l’époque), a promis d’organiser des élections en février 2025, avant de les reporter à une date inconnue, invoquant des "raisons techniques" sans donner plus de précisions.
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