Un peu partout en Afrique de l’Ouest, les microcrédits jouent un rôle crucial dans l'autonomisation des femmes entrepreneuses. Ces petits prêts, souvent accordés par des institutions de microfinance, permettent aux femmes d'accéder aux ressources nécessaires pour lancer ou développer leur propre entreprise. Mais même s’ils impactent l’économie locale et contribuent pour beaucoup à la réduction de la pauvreté, ils peuvent être une source d’aliénation pour celles qui ne sont pas capables de faire tourner la roue. Cas du Sénégal et du Niger.
L'accès au crédit reste un défi majeur pour les femmes en Afrique de l'Ouest. Pour contourner les difficultés liées à l’accès au crédit dans les banques commerciales traditionnelles, les femmes font souvent recours aux microcrédits, pour des prêts, souvent d'un montant modeste, contractés à titre individuel ou par la voie de groupements spécifiquement constitués pour renforcer ou lancer leurs activités.
L’autonomisation et l’émancipation financière
Au-delà de l'impact économique, les microcrédits jouent un rôle crucial dans l'autonomisation des femmes. L’accès aux ressources financières leur permet de gagner en indépendance et en pouvoir de décision, tant au niveau familial que social. Car en générant leurs propres revenus, les femmes se libèrent de plus en plus de leur dépendance économique et du joug de la pauvreté.
C’est ce que nous explique l’agent de crédit Mohamed Fall (nom d’emprunt). "Le prêt facilite l'inclusion financière des femmes qui étaient jusque-là très limitée avec les banques classiques qui ne peuvent pas travailler avec des personnes aux activités informelles. Ainsi donc, les Systèmes financiers décentralisés (SFD) permettent aux femmes d'avoir accès aux financements bancaires en fonds de roulement pour une meilleure autonomisation", dit-il. Les femmes interrogées ne disent pas le contraire.
Au Sénégal, Fatoumata Samb, une entrepreneure qui œuvre dans l'immobilier, a pu améliorer ses activités personnelles avec son entreprise EDPS (Entreprise de distribution et de prestations de services), grâce à quatre prêts consécutifs d’un montant cumulé de près de 11 millions FCFA du Crédit Mutuel Sénégalais qu’elle a remboursé intégralement. Ces différents prêts, dit-elle, lui ont permis de "renforcer" son capital.
"J’ai pu surtout renforcer mon personnel, mais aussi augmenter mon fonds de roulement, disons le capital. Cela m’a vraiment permis de booster l’activité. Et ça m’avait vraiment aidée. J’avais fait quatre prêts consécutifs et j’avais arrêté puisque j’avais une petite assise", renseigne-t-elle.
Par ailleurs, Fatoumata Samb collabore également avec la Mutuelle d’épargne et de crédit des femmes de Pikine (MEC-FP) où grâce à son leadership, elle aide plusieurs femmes organisées en différents groupements à obtenir des crédits pour développer leurs activités génératrices de revenus. Elle encadre des femmes qui investissent dans l'agriculture, entre autres.
"Ce n'est pas quelque chose de grand. Elles font dans le micro-jardinage, chez elles, sur leur terrasse. On leur offre une table pour faire du micro-jardinage. On les finance", dit-elle. Selon elle, certaines des femmes de son groupement interviennent dans l’élevage des moutons et des poulets. C’est dans cette perspective qu’elle a pu négocier plusieurs prêts cumulés de près de 15 millions FCFA pour les différents groupements qui sont sous sa coupole.
"Pour ce qui est des tout petits crédits que je fais avec le Réseau des Femmes, ce sont des prêts à court terme, disons, de 1 à 2 millions. Ce sont des remboursements journaliers, normalement, des remboursements hebdomadaires et des remboursements mensuels sur les trois mois".
Diouldé Ba est agent administratif. Elle travaille, elle aussi, depuis vingt ans avec les institutions de microfinance. Elle fait ses débuts avec Microcred dont elle fait partie des premières clientes. Cette collaboration lui a permis de détenir aujourd’hui un service et d’engager deux personnes.
"A mes débuts, je faisais les pagnes, les nappes de table, les chemises et les draps. Je payais pour me faire confectionner les chemises que je vendais. A mon deuxième prêt avec Microcred, j’ai fait un pas. Je peux dire que je détiens un service et je m’épanouis de ces prêts parce que j’ai pu recruter un tailleur et une vendeuse", révèle Diouldé Ba.
Mais plus tard, pour plus de commodité, Mme Ba migre vers Baobab, un autre service de microfinance. Elle dit avoir choisi cette institution pour son innovation digitale qui lui permet de gérer ses prêts et ses remboursements à distance, pour gagner plus de temps.
"Baobab est dans le numérique et tu n’as pas besoin de faire certains déplacements parce qu’elle utilise des applications à partir desquelles tu peux faire tes transactions. Tu peux prendre ton argent à partir de ton compte. Tu envoies ou tu reçois par Wave ou par Orange Money", indique-t-elle.
Les microcrédits, "une belle opportunité" pour les femmes
C’est aussi le cas au Niger où Mélé Fanata, titulaire d'un diplôme de technicien supérieur en informatique de gestion, s’est lancée dans l’entreprenariat. Promotrice de la marque Fara'a, elle œuvre dans la transformation des produits locaux, particulièrement les céréales (riz, mil, maïs, sorgho, fonio, niébé, etc.). Dans la filière du riz, elle est présente sur toute la chaîne de valeur, c'est à dire la production, la transformation et la commercialisation.
"Nous avons plusieurs gammes de produits transformés. Nous faisons essentiellement la promotion des produits locaux. Notre unité de transformation et notre boutique de vente de produits finis se situent au Terminus, dans l'arrondissement communal 3 à Niamey", indique-t-elle. Mais le chemin était long pour en arriver là.
Avec abnégation, Mélé Fanata a pu transformer son petit espace de travail en une boutique bien aménagée grâce à un microcrédit. "J'ai eu accès au crédit bancaire, qui m'a permis de d'accroître ma production, et d'améliorer notre condition de travail. Nous avons acheté des matières premières et de petits matériels de transformation. Le prêt nous a également permis de rénover notre salle de séchage, la boutique, et le local connexe", déclare Mme Fanata.
Avec l'argent emprunté, elle a investi dans le marketing et la communication, acheté du matériel et des produits en gros, ce qui lui a permis de réduire ses coûts et d'augmenter ses profits. Aujourd'hui, elle emploie plusieurs personnes de sa communauté, contribuant ainsi à l'économie locale.
"Ce prêt nous a aussi permis de créer un site web et une page Facebook pour une bonne communication, donc pour plus de visibilité. Nous avons pu également commander des tables spéciales pour le séchage de nos produits. Aujourd'hui, grâce à ce crédit, nous sommes passés d'un point A, à un point B. Nous avons aussi créé des emplois", nous apprend-elle.
"Le microcrédit est une très belle opportunité pour nous car il nous a permis de solutionner beaucoup de problèmes et de contribuer à la bonne marche de notre entreprise", précise-t-elle.
Djamila Issa Garba est elle aussi une entrepreneure Nigérienne. Passionnée par l’innovation et le développement communautaire, elle opère dans plusieurs secteurs à travers son entreprise Diam’Services.
"J'ai eu de bonnes expériences en microcrédit. Par exemple, lors des foires, il faut souvent une production importante. Grâce au crédit, j'ai pu exposer mes produits à ces événements. De plus, j'ai pu ouvrir mon salon de beauté plus rapidement grâce au crédit, achevant ce projet en moins de temps que prévu", raconte-t-elle.
Grâce au crédit, Djamila emploie une personne à temps plein et quatre autres en temps partiel. Ceci lui permet aujourd’hui d’exceller dans les domaines de la transformation agroalimentaire, la restauration, la décoration, l'esthétique et les services.
"Mon expertise s'étend à la création de produits de haute qualité dans le domaine agroalimentaire, à la conception d'espaces cosmétiques et fonctionnels, ainsi qu'à la fourniture de services personnalisés dans le domaine de la beauté et du bien-être", dit-elle.
Aminatou Seydou Allakaye est une informaticienne Nigérienne. Gestionnaire de formation, elle est promotrice de l'entreprise. "La Nigérienne du Poisson et du Poulet". Pour faire de sa vision une réalité, Mme Allakaye contracte un prêt, dont elle a préféré taire le montant, pour bâtir une ferme agricole.
"J'étais contrainte de prendre un crédit pour la première fois de ma vie afin de faire les infrastructures, afin d'assoir réellement la ferme et d’être autonome d'un côté", confie-t-elle.
Par conséquent, le prêt engagé, associé à un fond personnel et à une subvention d’un projet dont elle a été lauréate, lui a permis de franchir un pas. Alors qu’elle était déjà propriétaire de terrains nus, le prêt l’a aidée à valoriser ses espaces.
"D'un côté ça m'a vraiment permis d'aller de l'avant en créant l'entreprise, à clôturer mes terrains et à investir. La mise en place de ma ferme a été ma plus belle expérience", précise-t-elle.
Les "exorbitants" taux d’intérêt, un blocage pour les femmes
Malgré les avantages fournis aux femmes, le secteur du microcrédit en Afrique de l'Ouest fait face à plusieurs défis, dont le plus souvent décrié, entre autres, relève du coût très élevé des taux d'intérêt de remboursement.
Malgré les belles opportunités qu’elle a eu grâce au crédit, Djamila Issa Garba a souligné quelques difficultés liées aux taux d’intérêt très élevés.
"La principale difficulté que j'ai rencontrée concerne les taux d'intérêt élevés. Pour une petite entreprise comme la mienne, il est difficile de trouver des marchés conséquents. Je passais donc plus de temps à essayer de rembourser le prêt qu'à augmenter mes ventes", témoigne-t-elle.
Un constat similaire est fait par Aminatou Seydou Allakaye du Niger qui trouve également les taux de remboursement très élevés. Ces taux peuvent même aller jusqu’à 10%. "C'est un peu élevé", avoue-t-elle.
"Les difficultés sont multiples et sur plusieurs formes. Car pour prétendre payer un prêt, il faut d'abord avoir des revenus assez solides. Du coup, le temps accordé était trop court face aux événements entraînant le changement de régime".
Mais selon elle, il y a d’autres paramètres à prendre en compte dans le lot des difficultés rencontrées en contractant un prêt qu’il faut rembourser dans un délai déterminé.
"La vie coûte de plus en plus chère, le changement climatique, les frontières fermées, restent un obstacle pour nous entrepreneures. La banque a un délai et c'est ce facteur qui nous handicape", souligne-t-elle.
C’est le même son de cloche chez Fatoumata Samb qui décrie, elle aussi, les exorbitants taux d’intérêt et l’impatience des agents de recouvrement.
"On ne le cache pas, les taux bancaires, les taux d'intérêt sont assez élevés quand même. Et ça nous porte préjudice", souligne-t-elle, tout en prenant le soin d’expliquer que c’est par rapport à une banque avec laquelle elle a travaillé dans le passé.
"C'était un peu compliqué, c'était difficile et ça fait partie quand même du pourquoi j'ai préféré laisser tomber, parce que c'était parfois très difficile de rembourser ou ça n'attend pas que l'échéance arrive, il faut rembourser rapidement", poursuit-elle.
"Parfois, c'est un tout petit peu difficile, disons, le fait que la banque ne puisse pas attendre. Et que parfois, on attend une rentrée d'argent par rapport au recouvrement de l'agence, des locataires et autres. Quand ça tarde, c'est stressant", témoigne-t-elle.
Des sources de conflit avec les SFD
Fatoumata Samb évoque aussi d’autres sources de difficultés pour les femmes qui engagent des prêts.
"Le malheur est que parfois elles prennent des prêts, juste pour faire plaisir à la famille, au mari et autres. Parfois, parce qu'elles sont dans des situations de co-épouse, elles veulent être la plus gentille, des trucs comme ça", renseigne-t-elle.
"Parfois, quand l'argent est déjà fini, on a des problèmes pour rembourser, donc on va gauche à droite, demander par-ci, par-là, faire des petits prêts aux alentours, aux voisinages et autres. Et ça, vraiment, ce n'est pas intéressant", poursuit-elle.
Selon elle, "la personne qui n'est pas en activité aura tous les problèmes du monde pour joindre les deux bouts, pour rembourser un prêt".
Le défaut de paiement d’un prêt peut être une source de conflit avec les SFD.
"En cas de défaut de remboursements, tout dépend des types de garanties que le client nous avait proposés, mais aussi du montant octroyé. Mais le recouvrement se fait par étapes, allant des appels téléphoniques à la mise en demeure, jusqu'aux poursuites judiciaires avec emprisonnement (bien que rares)", renseigne l’agent de Mouhamed Fall.
Il peut arriver que pour défaut de paiement ou par l’incapacité de rembourser le prêt, la banque applique "la saisie des biens mis en gage ou nantissement".
Certaines institutions de microfinance sont réputées pour des pratiques de dissuasion ou de punition du non-paiement des prêts engagés. Elles affichent les photos des mauvaises payeuses aux portes de leurs institutions. Une pratique qui est jugée dégradante pour certaines.
Pour toutes ces raisons évoquées, Fatoumata Samb tient à prodiguer un conseil aux femmes qui aspirent au crédit.
"Quand on prend un prêt, quand on prend de l'argent d'autrui, il faut vraiment faire ce qui était prévu. Maintenant, quand on prend un prêt aussi, il faut savoir épargner. Épargner pourquoi ? Parce que déjà, tout peut arriver. Il y a beaucoup de choses de la vie qui peuvent arriver à la personne. La personne peut tomber malade, la personne peut avoir un parent proche qui est malade, la personne peut avoir des pertes par rapport à son business. Donc, tout peut arriver", dit-elle.
"J'encourage vivement les femmes qui veulent entreprendre et qui veulent contracter un crédit de seulement bien travailler, d’avoir la détermination et d’être créative puisque les obstacles et les risques du métier ne préviennent guère, ça arrive seulement", conseille pour sa part Mme Allakaye.
Les défis des SFD liés aux coûts du risque
Les taux d'intérêt sur les microcrédits décriés par les femmes peuvent être élevés en raison des coûts administratifs et des risques associés.
Mouhamed Fall (nom d’emprunt), agent de crédit, explique les raisons pour lesquelles les taux d’intérêt sont souvent élevés.
"Les taux d'intérêt sont élevés pour plusieurs raisons. D'abord, il y a le coût du refinancement. En effet, les Systèmes financiers décentralisés empruntent de l'argent avec un taux X et prêtent avec un taux Y. Ensuite, il y a aussi le coût du risque car les services financiers décentralisés prennent beaucoup plus de risque que les banques classiques en travaillant avec le secteur informel où le risque n'est pas souvent bien maitrisé", explique M. Fall.
Mais les coûts du risque et refinancement ne sont pas les seules raisons pour le prix élevé des taux d’intérêt.
"Enfin, les charges que supportent les institutions en termes de salaire, de coûts opérationnels, etc. ; tous ces facteurs font que le taux d'intérêt ne peut être très bas", précise l’agent de crédit.
Bref, de manière générale, les prêts contribuent à l'autonomisation économique des femmes, à la réduction de la pauvreté et à la croissance économique. Mais pour maximiser leur impact, il est essentiel de surmonter les défis actuels et de continuer à innover pour plus de qualité dans le service.