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Réfugiés au Liban: voici la fille dont les parents ont été expulsés alors qu'elle était à l'école

Ses parents ont été expulsés alors qu'elle était à l'école

Sun, 14 May 2023 Source: www.bbc.com

Une certaine appréhension régnait dans la voiture alors que nous traversions les montagnes du Liban pour rejoindre la maison de la tante de Raghad. Parler à une petite fille qui vient d'être séparée de sa famille et qui ne sait pas quand elle la reverra est une tâche très délicate.

Mais dès que nous l'avons vue, notre anxiété s'est apaisée. Raghad portait des vêtements clairs et ses cheveux étaient attachés en queue de cheval. Elle nous a offert un sourire sans effort et ses yeux se sont illuminés. Son calme nous a rassurés.

Raghad parlait à peine, alors son oncle nous a raconté ce qui lui était arrivé ainsi qu'à sa famille. La jeune fille a écouté attentivement. La seule fois où elle est intervenue, c'est pour le corriger lorsqu'il a dit qu'elle avait sept ans et qu'elle a insisté sur le fait qu'elle en avait huit. Un débat léger s'en est suivi. Un moment amusant dans une histoire sombre.

Raghad vit aujourd'hui dans un pays différent de celui de ses parents et n'a jamais eu l'occasion de leur dire au revoir. Le 19 avril, deux jours seulement avant l'Aïd, la fête musulmane qui marque la fin du ramadan, l'armée libanaise a fait irruption au domicile de Raghad.

Les documents de ses parents avaient expiré. Sans aucun préavis, ils ont tous été arrêtés, puis expulsés vers la Syrie. "Ils nous ont dit de nous rhabiller et de prendre tous les biens précieux que nous avions", nous a raconté son père au téléphone.

Il était environ neuf heures du matin et Raghad était à l'école. Son père nous a raconté qu'il avait supplié l'armée de les laisser attendre son retour, mais qu'elle avait refusé. Raghad est rentrée de l'école et a frappé à la porte, mais personne n'a ouvert. Elle a fondu en larmes.

"J'avais très peur", dit-elle. Un voisin a appelé sa tante, qui habite à proximité, et s'est précipitée. Raghad vit désormais avec elle. L'expulsion de la famille de Raghad s'inscrit dans le cadre d'une opération de répression menée par l'armée à l'encontre des Syriens vivant illégalement dans le pays.

Sa famille vit au Liban depuis 12 ans, depuis le début du conflit en Syrie. Raghad est née au Liban, mais sa famille est originaire d'Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, un endroit clé dans la guerre et le dernier bastion des forces rebelles.

"Imaginez que vous viviez dans un pays depuis 12 ans et que vous en soyez chassés comme ça. Nous ne pouvons pas retourner dans notre ville en raison de la situation qui y règne", explique le père de Raghad, dont nous protégeons l'identité pour des raisons de sécurité.

La famille de Raghad est hébergée par des amis dans la capitale syrienne, Damas. J'ai demandé à la famille si elle essayait d'emmener Raghad en Syrie, mais elle m'a répondu qu'elle préférait retourner au Liban. Ce ne sera pas facile.

Sentiment anti-syrien

Les autorités libanaises, soutenues par ce qui semble être une montée du sentiment anti-syrien dans tout le pays, affirment qu'elles veulent que les réfugiés rentrent chez eux.

Le Liban accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde par rapport à la taille de sa population. Environ 800 000 Syriens sont enregistrés auprès des Nations unies, mais les autorités libanaises estiment que le nombre réel de réfugiés est plus de deux fois supérieur à ce chiffre.

Au cours de la dernière décennie, le pays a connu à plusieurs reprises des vagues de sentiments anti-syriens et un durcissement des lois et des réglementations les concernant. Mais cette fois-ci, le débat semble différent et il semble y avoir un large consensus pour les renvoyer chez eux.

Les Libanais affirment qu'ils ne peuvent plus supporter le fardeau que représente la prise en charge d'un si grand nombre de réfugiés alors qu'ils sont confrontés à l'une des crises financières et économiques les plus graves de l'histoire récente. Ils affirment que les réfugiés syriens aggravent la situation en leur disputant des ressources et des services rares.

Ils les accusent également d'être à l'origine d'une hausse de la criminalité et de menacer un équilibre démographique délicat. Les taux de natalité élevés des Syriens sont souvent mis en évidence par contraste avec les faibles taux de natalité des Libanais pour étayer ce discours.

Le tollé a poussé certaines autorités locales à durcir les règles applicables aux Syriens. La ville de Bikfaya, dans les montagnes au-dessus de Beyrouth, leur a imposé un couvre-feu. "Personne au monde n'a accueilli les Syriens comme nous l'avons fait", déclare Nicole Gemayel, maire de la ville, pour défendre cette politique que les groupes de défense des droits qualifient de raciste.

Les partisans du plan soulignent également la situation sécuritaire en Syrie, où il n'y a plus d'affrontements militaires majeurs. Cette situation est liée aux ouvertures politiques envers le régime du président syrien Bachar el-Assad, qui n'est plus considéré comme un paria par de nombreux gouvernements de la région.

Les autorités libanaises estiment que tous ces facteurs devraient mettre fin à la crise des réfugiés. Elles soulignent également ce qu'elles décrivent comme des "mouvements illégaux" de part et d'autre de la frontière.

Selon elles, ce "trafic" met à mal l'argument des Syriens selon lequel ils craignent pour leur vie dans leur pays d'origine. De son côté, l'armée affirme qu'elle ne fait que respecter les règles lorsqu'elle expulse des Syriens.

Certaines voix politiques importantes au Liban accusent également les pays étrangers et les organisations d'aide internationale d'essayer de maintenir les Syriens au Liban, affirmant que l'aide fournie par l'ONU les incite à rester. Les Nations unies nient ces accusations et affirment que tout retour de réfugiés doit être volontaire.

Mais pour la petite Raghad, ce débat n'a aucune importance. Ses parents lui manquent et elle veut rentrer chez elle avec eux.

Source: www.bbc.com