Chaque année à la même période, plusieurs millions de pèlerins affluent vers Touba, la ville religieuse située au centre du Sénégal pour commémorer le Grand Magal en hommage à Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927).
Principal événement religieux de la confrérie mouride fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, le Magal marque l'anniversaire du départ en exil du Cheikh, déporté par l'administration coloniale française au Gabon en 1895, accusé de vouloir fomenter une rébellion.
C'est l'un des plus grands pèlerinages musulmans d'Afrique de l'Ouest.
Mais au-delà de sa dimension spirituelle , le Magal est aussi un événement économique dynamique qui se déploie en coulisses.
Selon des études universitaires et des projections économiques, le Magal de Touba génère chaque année l'équivalent de plus de 250 milliards de francs CFA injectés dans l'économie nationale.
Cela en fait, sans conteste, l'un des plus grands rendez-vous économiques annuels du Sénégal.
Touba, une ville au statut particulier
La cité religieuse de Touba n'est pas une ville comme les autres. Créée par le fondateur du mouridisme au 19e siècle, elle jouit d'un statut administratif et fiscal particulier.
Contrairement aux autres villes placées sous l'autorité directe de l'État sénégalais, Touba est sous tutelle du khalife général des mourides.
L'administration y est assurée par les dahiras (structures religieuses), et la gestion de la cité s'organise autour de la mosquée, des daaras (écoles coraniques) et des familles maraboutiques.
Ce modèle original a favorisé l'émergence d'une économie autonome, pour l'essentiel informelle et fortement ancrée dans les valeurs de travail, d'entraide et de solidarité.
Et c'est lors du grand Magal, célébration du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba, que cette économie informelle atteint son apogée.
Les secteurs les plus dynamiques concernent principalement l'alimentation, le transport, les services financiers, les télécoms, les produits de première nécessité.
« Le Magal est une grande opportunité pour nous car on triple nos rotations. Nos chauffeurs font Dakar-Touba trois fois par jour. Pas de repos », dit Fallou Diop, superviseur d'une compagnie de transport assurant la désserte quotidienne entre la capitale sénégalaise Dakar et la ville sainte.
Au fil des années, Touba est devenu la deuxième ville du Sénégal, sur le plan économique et démographique.
Plus de 250 milliards de FCFA générés
Chaque année, Touba voit sa population multipliée par 4, le temps du Grand Magal.
Un flot humain de plus de 4 millions de pèlerins déferle sur la ville pour commémorer le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba.
Mais derrière la ferveur religieuse, c'est une autre réalité, économique celle-là, qui se joue : celle d'une manne financière de plus de
250 milliards de FCFA injectée dans l'économie sénégalaise, selon une étude menée par des chercheurs de l'Université Alioune Diop de Bambey (Centre ouest).
Selon d'autres estimations non officielles, les flux financiers générés lors du Magal dépasseraient même les
400 milliards de FCFA.
Cette dynamique profite à tous les maillons de l'économie locale.
Les secteurs les plus directement bénéficiaires sont clairement identifiés : transport, restauration, commerce de gros et de détail, vente de ruminants (environ 150.000 chaque année), télécommunications et transferts d'argent.
En effet le Magal dope la consommation de manière exponentielle.
Les transports connaissent un pic : bus, minibus, taxis, charrettes, motos… tout est mobilisé. Les compagnies de transport interurbain doublent ou triplent leurs rotations et les garages tournent à plein régime.
L'hébergement suit la même logique. Même si beaucoup de pèlerins logent chez des proches ou dans les daaras, la demande explose : locations temporaires, maisons mises à disposition, dortoirs improvisés…Chaque pièce devient monétisable.
Sur le plan énergétique, la Senelec (Société Nationale d'Electricité du Sénégal) anticipe chaque année une hausse de la demande d'électricité d'environ +30 à +50% pendant la période du Magal.
Des groupes électrogènes sont déployés, des lignes renforcées. Idem pour la distribution d'eau potable, avec des forages mobilisés en urgence et des citernes d'appoint installées dans les quartiers périphériques.
En moyenne, un pèlerin dépense 105 000 FCFA pour le Magal
Les 50 000 ménages établis à Touba dépensent pour l'organisation en moyenne 1 443 415 FCFA chacun lors du Magal. Ces dépenses sont essentiellement dédiées à l'alimentation, selon les auteurs de l'étude.
« En moyenne un pèlerin dépense 105 000 FCFA durant le Magal. Il est important de souligner que les pèlerins (42,39%) qui ont un revenu de moins de 50 000 FCFA sont beaucoup plus représentatifs. Les pèlerins qui ont un revenu se situant entre 50 000 et 100 000 FCFA et 100 000 et 200 000FCFA représentent respectivement 21,34% et 20,3%.»
Interrogé sur les résultats de cette étude qu'il dirige depuis plusieurs années en collaboration avec le Comité d'organisation du Magal, Dr Souleymane Astou Diagne souligne une évolution notable : « Les retombées économiques du Magal sont de plus en plus significatives, en volume comme en diversité d'acteurs. »
Selon lui, cette progression est notamment due à la professionnalisation progressive des services autour du pèlerinage, et à l'intensification des flux financiers venus de la diaspora.
Une donnée le confirme : 42 % des pèlerins effectuent des transferts d'argent pendant leur séjour, pour des montants variant entre 56.000 FCFA et 139.000 FCFA, selon qu'ils proviennent du Sénégal ou de l'étranger.
Ces opérations alimentent un secteur informel mais hautement lucratif : les acteurs du transfert de fonds engrangent jusqu'à 800 000 FCFA par jour durant l'événement.
Le Magal de Touba dépasse largement sa dimension spirituelle.
C'est un révélateur : celui d'une économie informelle dynamique et d'un système de redistribution communautaire puissant
Un modèle parallèle, que l'État observe, mais peine encore à intégrer pleinement dans sa stratégie de développement national.
Le Magal, secteur économique à part entière
Dans les rues encombrées de Touba, tout se vend, tout s'achète : des repas chauds aux moutons destinés aux sacrifices, en passant par les services de transport ou d'hébergement improvisé.
Les secteurs les plus directement bénéficiaires sont clairement identifiés : transport, restauration, commerce de détail, vente de ruminants (environ 150 000 chaque année), télécommunications et transferts d'argent.
Mais les effets ne se limitent pas à l'économie locale.
Le Magal constitue également un levier de croissance pour des régions entières : les produits agricoles, le bétail ou les biens de consommation sont acheminés de tout le pays, générant un mouvement économique circulaire.
A Touba, on prépare des mois à l'avance la venue des pèlerins. Les artisans, les maçons, les commerçants, les tailleurs doublent voire triplent leurs revenus. Les transferts d'argent de l'étranger connaissent une hausse. Les entreprises de télécoms, elles aussi, réalisent des bénéfices record.
« On peut parler d'un secteur économique à part entière, même s'il est encore largement informel », insiste Dr Diagne. Et c'est bien là l'enjeu majeur pour les années à venir : comment structurer cette dynamique afin d'en maximiser les bénéfices collectifs ?
L'étude recommande ainsi la création de sites d'hébergement dédiés pour soulager les ménages qui accueillent les pèlerins dans des conditions souvent précaires, mais aussi l'élaboration d'un plan industriel spécifique pour Touba et ses environs, afin de canaliser et valoriser cette manne financière.
Système informel parallèle
A Touba, tout ou presque fonctionne en dehors des circuits classiques de l'État.
Il n'existe pas de fiscalité imposée, peu de services publics conventionnels, et les infrastructures sont souvent prises en charge par les fidèles ou les communautés.
Cette autosuffisance religieuse et communautaire crée une dynamique économique singulière : des milliers de commerçants informels viennent s'installer temporairement, les marchés se multiplient, les circuits d'approvisionnement s'étendent jusqu'aux frontières du pays, et la solidarité communautaire remplace les services sociaux.
Mais cette puissance économique reste largement non régulée.
« C'est une richesse qui circule vite, entre mains privées, souvent sans traçabilité, ce qui limite son impact à long terme », explique l'économiste Seydina Ndiaye.
Pour de nombreux fidèles, participer au Magal, c'est honorer un acte de foi, mais aussi contribuer à un effort collectif.
Des millions de repas sont offerts, des tonnes de vivres acheminées, et des dizaines de camions transportent eau, bois, bétail, sacs de riz etc. Toute une logistique s'active dans l'ombre, alimentée par les dons volontaires et la mobilisation des diasporas.
Lors du Magal, les disciples donnent le "Adiya" à leur chef religieux, un don en espèces synonyme d'acte d'allégeance hautement recommandé dans la tradition mouride. Le montant de ce don varie d'un fidèle à un autre et peut grimper jusqu'à plusieurs millions de FCFA.
Tout compte fait, le Magal est un accélérateur de consommation, de redistribution et de mobilisation économique.
Un événement multidimensionnel
Le Magal de Touba est l'expression d'une résistance pacifique, c'est une journée de commémoration, de prière, de solidarité, de générosité mais aussi d'organisation logistique impressionnante.
Des repas gratuits sont offerts à des milliers de pèlerins, des services de santé sont mobilisés, les grandes entreprises délocalisent leurs activités et la ville devient le temps d'une commémoration, le centre névralgique de l'économie sénégalaise.
Et donc ce rassemblement, n'est pas un simple pèlerinage pour les millions de fidèles mourides disséminés dans tout le pays et un peu partout à travers la diaspora.
A travers ses quatre dimensions - spirituel, social, économique et politique - le Magal de Touba offre l'occasion de découvrir une réalité singulière au Sénégal et dans le monde musulman, celle d'un islam sunnite, soufi et africain, qui a inscrit le pacifisme et le travail au cœur de sa doctrine.