Tshisekedi et Kagame ont fait la paix
La République démocratique du Congo et le Rwanda ont signé un accord de paix ce jeudi 4 décembre à Washington aux Etats-Unis.
Donald Trump, qui a présidé cette cérémonie de signature, a parlé d'un "miracle" alors même que d'intenses combats se déroulent dans l'est de la République du Congo.
Les tensions continuent de s'accroître entre les deux pays à la suite des affrontements entre les rebelles du Mouvement du 23 Mars, M23, et l'armée congolaise qui ont déplacé des dizaines de milliers de personnes à l'est du Congo.
Visiblement, ce dernier pic de tension est dû aux allégations du Congo selon lesquelles le Rwanda soutiendrait les rebelles du M23.
Le président congolais Felix Tshisekedi leur a fait écho le 18 juin devant son conseil des ministres en déclarant que la RDC fait face à "une agression de la part du Rwanda, agissant sous couvert du M23."
Le Rwanda et le M23 rejettent ces accusations.
Voici 6 points clés pour comprendre ce qui se cache derrière les tensions entre ces deux voisins.
Le découpage des frontières colonialesAvant la colonisation, la sous-région était gérée par des rois.
L'étendue du royaume était déterminée de deux manières : par l'ordre d'arrivée d'un peuple sur les lieux et par sa capacité à conquérir de nouveaux territoires.
"Les populations se déplaçaient à travers cet espace et s'installaient où elles trouvaient du pâturage pour le bétail ou des terres à cultiver", explique le professeur Jean Kambayi Bwatshia, enseignant d'histoire à l'Université Pédagogique Nationale de Kinshasa.
Lors de la conférence de Berlin en 1885, le découpage des frontières a modifié la configuration de la région.
"Pour décider des frontières entre les pays, il fallait se baser sur des limites naturelles, faciles à détecter", explique le Dr. Eric Ndushabandi, chercheur au Centre de Recherche et de Dialogue pour la Paix basé à Kigali.
"Dans ce cas précis, il fallait donc repousser les limites de ce qu'était le royaume du Rwanda vers les volcans, les montagnes, les lacs et cours d'eaux", ajoute-il.
D'un coup, des familles se sont retrouvées séparées des deux côtés de la frontière tout en gardant leurs langues, leurs cultures et leurs terres.
"C'est ainsi que certains seront appelés zaïrois rwandophones, parce qu'ils parlent le Kinyarwanda"; explique Eric Ndushabandi.
La gestion du pouvoir local par les colons a contribué aux tensions entre les peuples majoritaires, les Hutus, et les Tutsis, qui étaient minoritaires.
Le Professeur Bwatshia argumente que ''les problèmes de cet espace géographique viennent de l'inimitié, du besoin de vengeance et de la haine entourant les luttes sanglantes pour le pouvoir.''
Il illustre ses propos par les violences ethniques de 1959 à 1961 qui ont permis à la majorité Hutu de prendre le pouvoir et forcé des membres de la minorité Tutsi à se réfugier dans des pays voisins.
Ces conflits du passé ont donné lieux à des préjugés qui circulent encore aujourd'hui entre communautés locales, prêtant à tel ou tel autre camp des intentions d'envahir l'espace et les richesses de l'autre, explique un rapport de l'ONG internationale Interpeace sur la manipulation des identités dans la région des Grands Lacs.
Le rapport a été publié en octobre 2013. Il pointe aussi la manipulation de ces stéréotypes par des politiciens, créant ainsi un conflit ethno-politique.
Ces préjugés déforment la perception de l'autre et renforcent la peur de son voisin. Ceci crée une certaine méfiance entre les populations.
En RDC, ces groupes sont perçu comme le bras armé du pouvoir de Kigali pour garder une influence sur les affaires internes du Congo, surtout sur la partie Est.
Le Rwanda a plusieurs fois nié tout lien avec ces groupes armés, sauf pour le cas de l'AFDL, dirigée à l'époque par Laurent Désiré Kabila.
La présence des FDLR au Congo, que le Rwanda considère comme une menaceLe groupe rebelle Forces Démocratiques de Libération du Rwanda, FDLR en sigle, a été créé au début des années 2000 par des anciens militaires du régime Hutu rwandais de Juvénal Habyarimana.
Vaincus militairement par les troupes du Front Patriotique Rwandais, dirigés par l'actuel président rwandais Paul Kagame, des soldats de l'armée rwandaise se sont réfugiés à l'Est de la RDC en 1994.
Les FDLR sont accusés d'avoir contribué à la conception et à l'exécution du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda la même année, peu avant leur débâcle.
L'ONU et des organisations de défense des droits humains les accusent également d'avoir mené plusieurs attaques contre des civils congolais en provinces du Nord et Sud Kivu ces dernières décennies.
Selon le Groupe d'Etude sur le Congo, c'est le plus grand groupe armé actif en RDC du point de vu nombre des combattants et de la superficie contrôlée. Des chercheurs estiment les combattants FDLR entre 1 000 et 2 500.
Même si les FDLR n'ont pas mené d'attaque majeure contre le Rwanda depuis 2001, celui-ci les considère toujours comme une menace pour sa sécurité.
Malgré des opérations militaires de traque visant ce groupe, il a réussi à se morfondre dans les forêts de la zone sous son contrôle et assurer ainsi sa survie.
Plusieurs de ses membres ont adhéré au processus de démobilisation et de réintégration social dans leur pays d'origine, le Rwanda. D'autres, disent craindre des représailles en raison de leur opinion politique ou une chasse aux sorcières à cause de leur passé.
Le Rwanda accuse souvent l'armée congolaise de collaborer avec le groupe Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) dans des opérations militaires.
Les autorités de Kinshasa rejettent catégoriquement ces accusations.
Le porte-parole des FDLR n'était pas immédiatement disponible pour faire des commentaires.
Leur objectif : réclamer l'application des accords du 23 Mars 2009.
A son apogée en 2013, le groupe prendra le contrôle de la ville de Goma, capitale du Nord Kivu. Mais il sera défait militairement un an après sa création.
Ses combattants se sont réfugiés au Rwanda et en Ouganda, ou ils ont été démobilisés dans des camps de réfugiés par les forces de l'ordre de ces pays respectifs.
Sous pression de l'ONU, le gouvernement congolais a signé un accord avec les représentants du M23 en décembre 2013, à Nairobi, au Kenya.
Depuis, le gouvernement congolais et les rebelles n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur les termes de rapatriement des combattants cantonnés au Rwanda et en Ouganda.
Ces dernières années, le M23 a refait surface dans son ancien espace.
Malgré son avancée jusqu'à une vingtaine de kilomètres de la ville de Goma, le groupe rebelle a été repoussé par l'armée congolaise hors des agglomérations qu'il contrôlait.
Pour la première fois, le gouvernement congolais a classé le M23 comme mouvement terroriste.
Cependant, le Secrétaire General de l'ONU, Antonio Guterres a réitéré son appel pour que la RDC accepte de nouvelles négociations avec le groupe rebelle.
Selon Francois Mwamba, ancien responsable du comité congolais de suivi de l'accord-cadre d'Addis Abeba, 70% de combattants M23 étaient des citoyens rwandais.
De son coté, Kigali insiste que la rébellion est une affaire interne au Congo, avec des congolais qui ont des demandes à faire à leur gouvernement.
Avec une superficie de 2 345 000 km2, presque la taille de l'Europe occidentale, la RDC est le plus grand pays d'Afrique Sub-saharienne.
Les institutions nationales, les instances de prise de décision, sont basées à Kinshasa, à plus de 2 000 kilomètres de la partie Est, en proie à l'insécurité.
Il existe dans cette région des vastes étendues où il est difficile de trouver un représentant de l'Etat.
Les groupes armés profitent souvent de cette fragilité de l'autorité de l'Etat dans ces zones pour se substituer au gouvernement et imposer leur lois aux habitants.
Ce vide étatique dans certaines parties du pays va de pair avec la porosité des frontières.
La facilité de traverser la frontière entre la RDC et certains de ses voisins sans aucune forme de contrôle facilite le mouvement d'individus et de ressources, parfois vers des acteurs armés non étatiques.
Des organisations locales, dans l'Est de la RDC, alertent souvent sur une prétendue présence irrégulière des troupes rwandaises sur le territoire congolais. Le Rwanda a toujours rejeté ces accusations.
En juin 2014, les Forces armées de la RDC et les Forces de Défense du Rwanda avaient échangé des tirs qui se sont soldés par la mort de cinq soldats congolais.
Des habitants d'un village rwandais avaient accusé des militaires congolais d'avoir traversé la frontière pour voler des vaches.
Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais à l'époque, n'avait ni confirmé ni réfuté cette hypothèse. Il parlait plutôt d'actes de provocation de l'armée rwandaise.
Ces genres d'incidents sont fréquents dans la zone frontalière. Les pays de la sous-région ont mis en place un mécanisme régional conjoint de vérification qui a pour charge d'établir les faits lors d'incidents transfrontaliers.