Un projet dont le coût d’investissement serait de l’ordre de 3000 à 6000 milliards FCFA ?
C’est tout à fait exact. Un investissement dont le coût se situerait dans une fourchette de 6 à 10 milliards de dollars US, 3000 à 6000 milliards FCFA, équivalent selon le cas à une large part ou à la totalité du budget du Cameroun. Il s’agit à ce stade d’ordre de grandeur. Qui serait prêt à prendre ce risque financier et pour quelle rentabilité ? Même si l’Etat camerounais avait la volonté de le faire, sa signature mobiliserait difficilement un tel volume de capitaux.
D’après vous ce projet a-t-il des chances d’aboutir ?
En considérant le meilleur cas de figure où différents paramètres seraient satisfaisants tels que – le volume des réserves de bauxite exploitables, les cours mondiaux de l’aluminium (oscillant aujourd’hui autour 2200 dollars US la tonne), le prix de revient du MWh d’électricité, les autres coûts d’exploitation et de financement -, seuls des investisseurs privés seraient susceptibles de mobiliser le volume des capitaux envisagés. Se poserait alors le problème de l’attractivité du Cameroun pour des investissements privés, c’est-à-dire celui du risque-pays et de l’insécurité juridique.
Le projet inabouti du géant minier mondial Rio Tinto Alcan (RTA), visant la construction d’une aluminerie appuyée par des barrages hydroélectriques, devait se réaliser dans la même optique. Ses promoteurs ont quitté le Cameroun il y a trois ans.
Pouvez-vous expliciter ?
Dans pratiquement tous les rapports internationaux sur le climat d’investissement au Cameroun, l’insécurité juridique ressort comme le principal obstacle à l’attrait des investissements au Cameroun. Elle est le résultat de nos institutions politiques de gouvernance des affaires publiques, qui encouragent des comportements de corruption, de prédation et de prévarication, en toute l’impunité. Cette organisation politique est génératrice, par différentes incitations, de ces comportements qui constituent le cancer gangrénant l’administration, et particulièrement l’administration judiciaire. Ils sont dissuasifs pour l’investissement privé au Cameroun. Célestin Bedzigui qui aurait passé quelque temps dans la notation du risque-pays le sait.
Le président du PAL, Célestin Bedzigui, motive sa décision de soutien de la candidature de Paul Biya par l’autorisation que le Chef de l’Etat aurait donné pour un projet de barrage associé à une usine de transformation de la bauxite en aluminium, dont il serait le promoteur. Qu’en pensez-vous ?
Nous ne connaissons pas les modalités concrètes de la supposée autorisation du Chef de l’Etat à ce projet. On peut dire en revanche que les principes qui sous-tendent la politique économique du Cameroun sont le libéralisme et la libre entreprise, fondée sur la prise de risque par les entrepreneurs privés, l’Etat créant des conditions infrastructurelles – physiques et règlementaires – propices à l’attraction des investisseurs. Différentes lois créent des incitations spécifiques pour attirer l’investissement privé. Ainsi, par exemple, celle relative au partenariat public privé, ou celle de 2013 créant des incitations fiscales et douanières, graduées en fonction des effets positifs locaux induits par les investissements envisagés. Dans ce contexte, l’Etat est un facilitateur, qui ne se substitue pas aux investisseurs privés, dans la prise de risques technique, financier, commercial et managérial, en ce qui concerne les décisions de promotion et d’investissement.
Au regard de vos explications l’autorisation du chef de l’Etat ne serait pas le facteur déterminant pour la réalisation de ce projet ?
Loin s’en faut, en effet ! De nombreux projets, ayant connu un aboutissement heureux ou non, ont bénéficié d’une sorte de bénédiction du chef de l’Etat. Mais encore une fois, ce n’est pas lui qui prend la décision d’investissement, ce sont les investisseurs eux-mêmes – actionnaires et prêteurs du projet – qui le font à l’issue de la démarche complexe sus évoquée. Ainsi en fut-il des projets tels que le pipeline Tchad-Cameroun ou la Rio Tinto Alcan pour le projet d’usine d’aluminium à Kribi accompagné de deux barrages hydroélectriques (encore un autre et de bien d’autres.
Mais alors de quelle stratégie participerait la décision de Célestin Bedzigui ?
Ma réponse à votre question fort pertinente relève pour le moment d’une simple conjecture. L’avenir en confirmera la pertinence. Voyez-vous, notre administration a pris l’habitude de créer des comités de pilotage de projet qui ambitionnent de se substituer aux investisseurs privés. Pari perdu d’avance, comme je vous l’ai dit. Une fois créés, ces comités fonctionnarisés consomment des ressources budgétaires dépensées dans les voyages sans résultat palpable et probants. Célestin Bedzigui inscrirait-il l’autorisation du chef de l’Etat dans le contexte de ces comités de pilotage, alors même qu’il les fustigea pendant longtemps, et à juste raison. Car, ces comités deviennent des foyers d’extrême corruption, des gouffres financiers et des sources de détournements de deniers publics.
Soulignant que l’intérêt supérieur de la politique c’est lorsque celle-ci est au service des populations, M. Céléstin Bedzigui justifie son soutien à la candidature de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle par son autorisation à ce projet et les bénéfices qui en découleraient pour les populations de la Lékie. Qu’en pensez-vous ?
Pour toutes les explications que je vous ai données, ce projet m’apparaît très hypothétique. Ainsi en est-il en conséquence de ses bénéfices pour les populations camerounaises, dont celles de la Lekie ne sont pas exclues.