Charles et Rosine Salé sont unis par les liens du mariage, et par ceux d’un intérêt mutuel bien compris : quand Rosine investit dans des compagnies minières au Cameroun, Charles, à l’époque ministre des mines, leur attribue des permis. Et quand Charles, qui se pique aussi de littérature, publie en 2014 un premier roman, Rosine, qui enseigne à l’Université de Yaoundé I, édite un livre entier consacré au sujet de ce roman, affirmant que l’œuvre de son mari « peut se définir comme une exploration horizontale et verticale de la condition humaine ».
Charles Salé, 65 ans, est un politicien de longue date. Ministre des transports puis des mines, il est aujourd’hui sénateur et président du conseil d’administration de l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé. Du point de vue de l’économie conjugale, son plus gros coup est probablement le permis qu’il a accordé en 2005, détenu aujourd’hui par l’entreprise australienne Sundance Resources.
Importantes réserves de fer
C’est un autre duo qui est à l’origine du projet. David Porter, un géologue australien de 69 ans, a rencontré l’homme d’affaires camerounais Roger Bogne, 41 ans, au Cap, en Afrique du Sud, au début des années 2000. A cette époque, Bogne cherche un partenaire pour un projet de mine de diamants.
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En octobre 2004, ils parcourent ensemble les routes boueuses des forêts tropicales de l’est du Cameroun. Ils y cherchent des diamants, en vain. De retour à Yaoundé, ils dénichent dans les bureaux du Département des mines du Cameroun une étude géologique des Nations unies datant des années 1980, qui signale d’importantes réserves de fer près du village de Mbalam, dans l’est du pays. Justement, le prix du fer décolle sur les marchés internationaux.
Le 27 avril 2005, Bogne enregistre l’entreprise CamIron à Yaoundé, en partenariat avec Porter et deux autres actionnaires, membres de leurs familles respectives. Cinq mois plus tard, le ministre Salé octroie à cette société inconnue un permis de recherche exclusif de 875 kilomètres carrés. Rosine Paki Matio, épouse Salé, en deviendra rapidement actionnaire.
Pour exploiter ce gisement gigantesque, il faut des moyens financiers et techniques que David Porter et Roger Bogne n’ont pas. Ils cherchent donc à revendre leur permis – à prix d’or – à des connaissances de Porter. Leur succès est fulgurant. Le 1er juin 2006, la société australienne Sundance Resources rachète 90 % du capital contre 295 millions de ses propres actions à la Bourse de Sydney – d’une valeur de près de 10 millions d’euros – et 400 000 dollars en liquide (333 000 euros). Les actionnaires de CamIron ont touché le gros lot. Avec 5 % du capital, Rosine Salé devait empocher un demi-million d’euros. Sauf que la chute des prix du fer, à partir de 2011, met aujourd’hui Sundance au bord de la faillite et menace les gains des actionnaires camerounais, s’ils n’ont pas déjà revendu leurs actions. En ce mois de septembre 2017, l’entreprise australienne cherche désespérément à se renflouer, ainsi qu’un partenaire « sérieux » pour son projet de Mbalam.
Des actionnaires bien placés
Dans un cabinet de notaire de Yaoundé, le 21 février 2007, se tient l’assemblée générale de CamIron. L’ordre du jour est de transférer officiellement 90 % du capital de CamIron à Sundance, représenté ce jour-là par le directeur exécutif, Donald Lewis, décédé en 2010. Les actionnaires qui défilent pour signer le registre ne sont pas n’importe qui. On y trouve Serge Akounou, le fils de l’ancien directeur de la télévision d’Etat (CRTV), et surtout Serge Asso’o dont l’entreprise, les Etablissements Pyros, détient 9 % de CamIron. Son père est le général Benoît Asso’o, un proche du président Paul Biya depuis qu’il l’a secouru lors d’un coup d’Etat raté en 1984. Serge Asso’o est par la suite devenu directeur général de CamIron, un poste qu’il conserve jusqu’à ce jour. Il est aussi l’un des vingt plus gros actionnaires de Sundance, avec 0,5 % des actions.
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Joint par téléphone, il dit ne pas connaître les autres actionnaires de CamIron au moment de sa vente à Sundance et a refusé de répondre à d’autres questions. Pourtant, juste à côté de sa signature se trouve celle de Rosine Salé qui représente l’entreprise Etablissements Bonhold Business, avec 5 % du capital de CamIron.
Cette dernière, également appelée au téléphone par Le Monde Afrique et interrogée sur un éventuel conflit d’intérêt, a répondu : « Vous n’avez pas à me poser ce genre de questions. » Fin de la conversation. Refus de donner les coordonnées de son mari.
Accusations de corruption
Sundance, pour sa part, a répondu par courriel. A cause d’une enquête en cours de la police fédérale australienne, ils ne feront aucun commentaire sur le projet Mbalam. De fait, Sundance est déjà visée par des accusations de corruption du côté congolais du projet. Porter et Bogne avaient permis à Sundance d’y obtenir des permis avec un mode opératoire similaire. En 2016, Le Monde Afrique, en partenariat avec Fairfax, révélait que Sundance avait négocié le versement d’actions à la famille du président du Congo pour y obtenir un permis minier. Les membres de la famille Sassou-Nguesso concernés nient en bloc.
Roger Bogne a refusé de répondre à nos questions. David Porter, lui, dit qu’il a laissé à Roger Bogne le choix des actionnaires camerounais et qu’il ne les connaît pas. De fait, ces mystérieux actionnaires locaux vont se montrer gourmands.
Le 30 juillet 2006, Roger Bogne joint David Porter par téléphone. Il y a un problème : le permis minier de CamIron, que Sundance vient d’acheter à grands frais, pourrait être annulé. Il y a aussi une solution : les actionnaires locaux demandent une augmentation de 5 % de leurs parts dans CamIron et 100 millions d’actions supplémentaires de Sundance. Le Département des mines du Cameroun, qui dépend du ministère de Charles Salé, appuie leur demande.
Chantage
Cela ressemble fort à un chantage. Un des directeurs de Sundance, Adam Rankine-Wilson (décédé depuis dans un accident d’avion), ordonne : « Dave [Porter], tu dois te rendre au Cameroun immédiatement et régler cela. Nous avons trop en jeu dans cette affaire. » Leur conversation figure dans la déposition de Porter au tribunal de Perth où il a dévoilé, sans le vouloir, les dessous du projet.
Un autre collègue de Porter s’insurge : la demande des actionnaires locaux bafoue les contrats qui ont déjà été signés ! Mais Porter lui explique que « c’est l’Afrique, et les locaux peuvent faire ce qu’ils veulent, surtout quand le général Asso’o [le père de Serge Asso’o] et le ministre Salé […] sont copains ». Cependant, il indique que les « 100 millions d’actions qu’ils demandent sont hors de question ».
Porter se rend en urgence au Cameroun. Début août 2006, il rencontre à plusieurs reprises Charles Salé, Roger Bogne et Serge Asso’o, d’après sa déposition. Contacté par courriel, Porter ne se souvient plus avoir croisé Charles Salé pendant ce voyage.
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En rentrant, Porter rapporte à Sundance que « les réunions se sont bien passées ». En octobre 2006, l’affaire semble en effet réglée. Sundance annonce à la Bourse qu’elle octroie 5 % de parts supplémentaires dans le projet à des actionnaires locaux. Le communiqué précise qu’une « partie sera détenue en fiducie pour la communauté locale de Mbalam et le reste par les gestionnaires locaux de l’entreprise et les investisseurs locaux ».
CamIron est aujourd’hui détenue à 90 % par Sundance et 10 % par HoldCo SARL, une entreprise enregistrée au Cameroun et représentée par Roger Bogne, dont on ne connaît pas les actionnaires. Quant aux habitants du village de Mbalam, ils n’ont jamais été informés de cette richesse qui leur est prétendument réservée.
Venant Messe, le directeur de l’ONG locale Okani qui a visité le site il y a trois semaines, explique par téléphone que « beaucoup d’espoirs avaient été donnés aux communautés, mais rien n’a changé ». L’entrée de la mine est interdite et, « en dehors des vigiles, il n’y a pas d’autres activités ». Et ajoute en riant : « Sauf si ce sont des activités nocturnes, mais je doute fort qu’il y ait des gens là-bas en train travailler. »