Budget 2022: colère des experts comptables et avocats

Le contribuable n’aura plus la possibilité d’être assisté, par 'un conseil de son choix'

Wed, 8 Dec 2021 Source: Défis Actuels

Ils dénoncent une violation des dispositions « supranationales » relatives à la transparence des états financiers et une régression des droits du citoyen face à la pression fiscale.

Le projet de loi de finances 2022, en cours d’examen au Parlement, n’en finit pas de faire des mécontents. Dans la mouture qui a été déposée sur la table des députés, le gouvernement envisage une modification’ de certains articles du Livre des procédures fiscales du Code général des impôts. Ceux-ci concernent l’exclusion des experts-comptables et avocats d’affaires de l’assistance des contribuables lors des procédures de contrôles et des réclamations devant l’administration fiscale.-

Concrètement, le contribuable n’aura plus la possibilité d’être assisté, par « un conseil de son choix», mais plutôt par « un conseil fiscal agréé Cemac et inscrit au tableau de l’ordre, ou un centre de gestion agréé de son choix», tel que stipulent les modifications proposées aux articles L13 nouveau et L120. Les experts-comptables et les avocats d’affaires ne devront intervenir désormais que devant le tribunal administratif.

Ce projet est mal perçu par les experts-comptables et les avocats qui y voient une régression des droits des contribuables. « Le projet de la loi de finances pour 2022, s’il est voté (en l’état, NDLR), consacre une régression brutale dans les droits et libertés fondamentaux du citoyen face à la redoutable pression fiscale, qui constitue le fardeau quotidien de l’entrepreneur camerounais. De ce point de vue, le projet de loi n’est pas envisagé dans l’intérêt supérieur de la Nation. Il a pour but inavoué de donner le monopole des marchés d’assistance à la vérification fiscale, aux anciens fonctionnaires, devenus conseils fiscaux», lit-on dans un mémo du collectif des experts-comptables.

Ils ajoutent : «l’exclusion des préparateurs des états financiers, détenteurs des informations de base, et /Intervention forcée du conseil fiscal agréé, aux frais de l’entreprise, dans le processus du contrôle fiscal constituent une entorse à l’efficacité même du processus.

Elle contribue à fragiliser le visa de l’expert-comptable, garant de la crédibilité des états financiers, rendu obligatoire par le Système comptable Ohada révisé, entré en vigueur le 1er janvier 2018 dans tous les pays de l’Ohada. Le Cameroun évolue ainsi en marge des dispositions supranationales relatives à la transparence des états financiers». Un argumentaire balayé du revers de la main par certains professionnels de l’administration fiscale.

Un inspecteur principal des impôts, approché par Investir au Cameroun a indiqué qu’il y a plus d’étudiants formés dans les institutions universitaires publiques et privées du pays parmi les conseillers fiscaux en activité que les anciens fonctionnaires du fisc. « Chaque profession est agréée par la Cemac et a des habilitations précises. Si jusqu’ici on a laissé les experts-comptables faire le conseil fiscal, c’est parce qu’il n’y avait pas assez de conseils fiscaux. Aujourd’hui, la profession s’est développée. Il est normal que l’exclusivité de l’activité leur soit réservée», explique-t-il.

De leur côté, les avocats au barreau dénoncent le quasi-monopole des conseils fiscaux agréés Cemac dans le traitement des dossiers en matière de recours préalable devant l’administration fiscale. Sous la plume de Claire Atangana, bâtonnier de l’Ordre des avocats, le barreau du Cameroun a mis à l’index, une disposition similaire de la Ipi des finances 2021 relative au contentieux des douanes réservé depuis lors aux seuls douaniers, indiquant que ce texte, autant que celui qui est d’actualité, contrevenait à l’article 1er de la loi n°90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession

Contradiction avec les textes de la Cemac

En plus d’être en contradiction avec les textes de l’Ohada, les modifications que le gouvernement camerounais entend apporter aux articles L13 nouveau et L120 du Livre des procédures fiscales sont également en contradiction avec des textes de la Cemac, pensent les comptables professionnels. « L’article 16, alinéa 2 du Règlement Cemac (…) portant révision du statut des professionnels libéraux de la comptabilité, et l’article 31, alinéa 2 de la Loi du 6 mai 2011 relative à l’exercice de la profession comptable libérale et au fonctionnement de l’Ordre national des experts-comptables du Cameroun, disposent que les experts-comptables peuvent assister leurs clients dans les domaines juridiques et administratifs, dans les limites de leurs missions d’expertise comptable, et apporter leurs avis devant toute autorité ou tout organisme public. Les experts-comptables sont donc en droit d’apporter des missions d’assistance et de conseil en particulier juridiques et fiscales à leurs clients, dans le prolongement de leurs missions principales d’expertise comptable», soutient Brice Meilo, l’un des signataires du mémo des experts comptables. Faux rétorque l’inspecteur principal des impôts qui pense qu’il « n’y a aucune contradiction avec les textes de la Cemac.

Car, l’article évoqué précise bien “dans la limite de leurs missions d’expertise comptable”. Il faut que chaque acteur respecte ce que dit son agrément : l’expert-comptable est assigné aux activités comptables et de certification des comptes, et le conseil fiscal est chargé d’assister et de conseiller le contribuable en matière fiscale.»

Inquiet de voir ce projet de loi validé, plusieurs sources indiquent que depuis quelques jours, le président national de l’Ordre national des experts-comptables du Cameroun (Onecca) Léonard Ambassa, mène en toute discrétion une intense activité de lobbying auprès des pouvoirs publics camerounais et des responsables de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (Ohada). A côté, un collectif de 27. jeunes experts-comptables demandera à être très prochainement reçus, aussi bien par le ministre de la Justice que son homologue des Finances, apprend-on . de bonnes sources.

Source: Défis Actuels