Une hémorragie de 45 milliards de F CFA (68,6 millions d'euros) par an. C'est le montant astronomique que perd le Cameroun dans l'évasion des primes de réassurance vers l'étranger, révèle une enquête exclusive de Jeune Afrique auprès des acteurs du secteur. Une saignée financière qui explique en partie pourquoi Yaoundé accélère désormais la création de son réassureur public Cameroun-Ré, en gestation depuis une décennie.
Les sources de Jeune Afrique dans le milieu de l'assurance camerounaise pointent du doigt un cercle vicieux : faute de capacités de réassurance locales suffisantes, les compagnies d'assurances du pays sont contraintes de placer leurs primes auprès de réassureurs étrangers, principalement basés à Abidjan. "C'est pratiquement le désert dans ce domaine à Yaoundé et Douala", confie à Jeune Afrique un dirigeant d'assurance sous couvert d'anonymat.
Cette fuite des capitaux révèle un déséquilibre structurel majeur entre le Cameroun et son voisin ivoirien. Les chiffres exclusifs obtenus par Jeune Afrique sont édifiants : en 2023, le marché ivoirien de l'assurance pesait 600 milliards de F CFA (904,6 millions d'euros), soit plus du double des 272,5 milliards de F CFA (415,5 millions d'euros) du Cameroun, selon l'Association des sociétés d'assurances du Cameroun (Asac).
Cette domination ivoirienne ne relève pas du hasard. Jeune Afrique révèle qu'Abidjan héberge non seulement le siège de plusieurs réassureurs privés, mais aussi des bureaux de représentation d'autres compagnies de réassurance continentale. Une infrastructure qui fait cruellement défaut au Cameroun et explique cette dépendance coûteuse.
Face à cette hémorragie, les autorités camerounaises ont décidé de frapper fort. Jeune Afrique révèle qu'un projet de loi sur la cession légale et obligatoire des primes est actuellement en cours d'adoption au Parlement. Ce texte, dont les détails n'avaient jamais été rendus publics, constitue une véritable révolution pour le secteur.
"Une aubaine qui permettrait de réduire cette fuite des capitaux hors du pays et même hors de la zone Cemac", se réjouit auprès de Jeune Afrique un assureur local, qui y voit un tournant majeur pour l'industrie. Cette législation garantirait à Cameroun-Ré un portefeuille de primes dès son démarrage, créant artificiellement un marché captif pour le futur réassureur public.
L'urgence de cette initiative prend tout son sens à la lumière des révélations exclusives de Jeune Afrique sur les dysfonctionnements passés. L'exemple de l'incendie de la Société nationale de raffinage (Sonara) en mai 2019 illustre parfaitement les conséquences de cette lacune structurelle.
Selon nos sources dans le secteur, la Sonara s'est retrouvée "en situation de défaut de couverture de prime pendant pratiquement deux mois", créant un casse-tête persistant sur le règlement du sinistre. "Si Cameroun-Ré avait existé, le réassureur aurait alerté le ministre des Finances à temps sur le risque inhérent à cette infrastructure stratégique", explique à Jeune Afrique un professionnel du secteur.
Au-delà des aspects financiers, cette fuite des primes de réassurance pose un véritable enjeu de souveraineté économique. Jeune Afrique révèle que cette dépendance externe fragilise non seulement le secteur privé, mais aussi la capacité de l'État à protéger ses entreprises publiques stratégiques.
Les compagnies publiques camerounaises continuent en effet de considérer le paiement d'une prime d'assurance "comme un luxe", selon les termes employés par nos sources. Une négligence qui coûte cher en cas de sinistre majeur et révèle l'importance d'avoir un acteur local capable de sensibiliser et d'accompagner ces entités stratégiques.
Cette enquête exclusive de Jeune Afrique révèle ainsi que la création de Cameroun-Ré dépasse le simple cadre économique pour toucher aux fondements même de la stratégie de développement du pays. Reste à savoir si les derniers obstacles bureaucratiques seront levés pour permettre enfin l'émergence de ce réassureur tant attendu.