Jeune Afrique révèle les tractations secrètes autour du choix du partenaire technique.
Dix ans de gestation, trois partenaires techniques pressentis, et un décès qui a tout bouleversé. Jeune Afrique révèle les dessous méconnus de la bataille feutrée qui se joue autour de la création de Cameroun-Ré, le futur réassureur public camerounais. Au cœur des enjeux : 30% du capital, soit la part réservée au partenaire technique international qui accompagnera cette ambitieuse entreprise.
Cette enquête exclusive de Jeune Afrique lève le voile sur une saga complexe, marquée par des revirements stratégiques et des résistances internes qui expliquent en partie les retards accumulés dans la concrétisation de ce projet phare.
Tout commence avec Serge Ribes, figure emblématique du courtage français, recruté pour son expertise dans le lancement des compagnies de réassurance. Jeune Afrique révèle que c'est lui qui établit en 2021 les bases de l'architecture financière de Cameroun-Ré : 51% pour les compagnies locales, 10% minimum pour l'État, 5% pour des privés locaux, et 30% minimum pour un partenaire technique.
"Ce n'était qu'une question de semaines" avant le démarrage des activités, confie à Jeune Afrique une source proche du dossier. Mais le décès brutal de Serge Ribes en 2021 "a tout bloqué", interrompant une dynamique qui semblait alors irréversible. Cette disparition révèle la fragilité d'un projet trop dépendant d'une seule personnalité.
Dans ses premières études, Serge Ribes avait jeté son dévolu sur Africa Re, la compagnie de réassurance panafricaine créée en 1976 par 36 pays du continent et basée à Lagos. Un choix stratégique pour limiter les risques de "mainmise publique", selon les documents consultés par Jeune Afrique.
Cette proposition s'appuyait sur les leçons tirées de l'échec de la défunte Compagnie nationale de réassurance (CNR), victime dans les années 80 d'une "forte immixtion étatique dans sa gestion". Mais ce choix ne fait pas l'unanimité dans le secteur camerounais, révèle notre enquête.
"Si la corporation, à travers le regroupement local, est assez structurée et travaille de manière cohérente, elle est en mesure de faire entendre raison aux autorités", plaide auprès de Jeune Afrique un dirigeant d'assurance, partisan d'une solution 100% locale. "Il y a suffisamment de compétences camerounaises en matière de réassurance en local et surtout à l'international", ajoute-t-il.
Après la disparition de Serge Ribes, c'est le cabinet Finactu, dirigé par Denis Chemillier-Gendreau depuis Casablanca, qui reprend le flambeau. Jeune Afrique révèle que ce nouveau consultant propose un partenaire technique différent : le suisse Barents Re.
Cette proposition marque un tournant dans l'approche du projet, mais elle "ne suscite toutefois pas l'adhésion du secteur", selon nos sources. Les raisons de cette résistance ne sont pas détaillées dans les documents consultés par Jeune Afrique, mais elles témoignent des difficultés à faire converger les intérêts des différents acteurs.
C'est finalement sur Cica-Re, le réassureur institutionnel basé à Lomé, que le choix semble se porter aujourd'hui. Jeune Afrique révèle que cette entité, créée par la Conférence interafricaine des marchés d'assurances (Cima), présente l'avantage d'être un acteur régional reconnu, évitant ainsi les écueils d'un partenariat avec un géant international ou la dépendance à un acteur extra-continental.
Cette solution de compromis n'est cependant pas encore officialisée. Selon nos informations exclusives, le réassureur communautaire "doit hériter des parts réservées à l'entité chargée d'accompagner Cameroun-Ré, un point à confirmer lors de la création officielle du réassureur".
Jeune Afrique révèle que malgré ces arbitrages techniques, le projet continue de buter sur des obstacles institutionnels. Le décret de création fait encore "la navette entre le ministère des Finances, la primature et la présidence de la République", selon nos sources gouvernementales.
Cette lenteur administrative contraste avec l'urgence économique du projet. Les professionnels du secteur interrogés par Jeune Afrique estiment que chaque mois de retard représente des millions de francs CFA qui continuent de s'évaporer vers l'étranger.
Au-delà du choix du partenaire technique, Jeune Afrique révèle que la répartition du capital reste un sujet sensible. La part de 51% réservée aux compagnies locales soulève des questions sur la gouvernance future de l'entité. Comment répartir équitablement cette participation entre des acteurs de tailles différentes ? Quelle sera la voix prépondérante dans les décisions stratégiques ?
Ces interrogations, jusqu'ici restées dans l'ombre, expliquent en partie les difficultés à finaliser le montage financier de Cameroun-Ré. Elles révèlent aussi les enjeux de pouvoir qui se cachent derrière ce projet d'apparence technique.