Carburant : pourquoi l’État paye 600 milliards de subventions

Gabon Carburant Le spectre des émeutes de la faim

Mon, 20 Jun 2022 Source: Défis Actuels du 20-6-2022

Malgré l’envolée des cours mondiaux du pétrole, l’État camerounais veut limiter l’inflation et prévenir les troubles sociaux.

Les automobilistes camerounais ne devraient pas ressentir les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Malgré l’envolée des prix des carburants au plan international, accélérée par la hausse du prix du pétrole, ceux à la pompe demeure inchangé à l’intérieur de notre pays.

Ainsi, le prix d’un litre de super qui revient normalement à 1140 FCFA, continue d’être vendu sur le marché local à 630 F CFA. Le litre de gasoil devrait normalement coûter 1121 F CFA, contre 575 FCFA dans la pratiqué. Celui du pétrole lampant devrait revenir à 875 FCFA, mais est stabilisé à 350 F à la pompe.

Depuis le 1er juin 2022, l’Etat subventionne donc 510 francs CFA sur chaque litre de super vendu, 546 francs CFA sur chaque litre de gasoil et 626 francs CFA sur (> chaque litre de pétrole flambant. Un coup de pouces aux automobilistes, qui va néanmoins coûter plus de 600 milliards de francs CFA au Trésor public cette année.

En effet, l’ordonnance signée le 2 juin 2022 par le chef de l’Etat, modifiant et Complétant certaines dispositions de la loi de finances de l’exercice en cours, consacre 1013,2 milliards de francs CFA aux transferts et subventions, contre 653,2 milliards de F CFA prévus dans la loi de finances initiale.

Soit « une hausse de 360 milliards (+55,1 %) due à la prise en compte, du complément des manques à gagner des marketeurs évalués à 480 milliards, contre 120 milliards dans la loi de finances initiale », apprend-on en parcourant l’exposé des motifs du projet de loi portant ratification de l’ordonnance du président de la République, du 2 juin 2022.

Un acte qui entraîne une hausse du budget 2022 de l’Etat. L’enveloppe globale devrait ainsi passer de 5 752,4 milliards de francs CFA à 6 080,4 milliards de francs CFA. Soit une augmentation d’environ 328 milliards de francs CFA (5,7 %).

De l’avis du ministre de l’Eau et de l’Energie, lé Cameroun a choisi de ne pas répercuter les fluctuations des cours du pétrole à l’international sur les prix des carburants à la pompe. Son option est de prendre en compte seulement les changements durables.

«Les cours à l’international étant extrêmement volatiles, ce serait difficile pour l’Etat de procéder à une baisse des prix à la pompe de manière hâtive. À la matière, la prudence est conseillée», expliquait Gaston Eloundou Essomba, lors d’un entretien avec la CRTV l’année dernière.

Laissant entendre que la dernière augmentation des prix des carburants est intervenue au Cameroun en juillet 2014 après six ans de hausse.continue des cours du pétrole sur le marché mondial. Depuis cette date, ces cours évoluent en dent de scie, ce qui rendrait difficile un ajustement durable des prix. Et l’Etat n’est d’ailleurs pas aidé en cela avec l’arrêt de la Société Nationale de Raffinage (Sonara), après l’incendie du 31 mai 2019.

« Il faut dire que lorsque les cours mondiaux vont au-delà du prix d’équilibre du Brent fixé à 55 dollars par le Fonds Monétaire International, les prix pratiqués à la pompe engendrent des pertes qui doivent être compensées par l’Etat. C’est ce que l’on appelle : le soutien aux tarifs des hydrocarbures. Or dans le contexte de crise actuelle due à la guerre en Ukraine qui engendre l’envolée du prix du pétrole sur le marché mondial qui a atteint les 100 dollars ces dernières semaines, les manques à gagner sont encore plus élevés », explique un expert.

En effet, poursuit-il, la hausse des cours sur le marché mondial a un double impact positif et négatif sur l’économie de notre pays ; « le Cameroun, en tant que pays producteur de pétrole profite de l’envolée des prix au plan international puisqu’il dispose de « brut lourd », entièrement destiné à l’exportation. Mais d’un autre côté, ne possédant pas de plateau technique approprié, le Cameroun importe aussi de fortes quantités de produits pétroliers. Or dans le contexte de hausse actuelle, la facture est très lourde ».

Raison politique

Une fraction importante des recettes issues de la vente du pétrole camerounais qui entrent dans les caisses de l’Etat ressort donc sous forme de subvention à la consommation des carburants. Et cela au bénéfice des couches de la population qui en ont le moins besoin.

Selon en effet une étude du FMI datant d’octobre 2018, 50 % des ménage camerounais, représentant les tranches les plus aisées, ont reçu 96 % des subventions sur l’essence. Mais l’Etat s’est engagé à maintenir inchangés, les prix à la pompe, malgré la hausse des manques à gagner induits par les fluctuations des cours mondiaux. Et cet engagement peut s’expliquer aussi au plan politique.

Le spectre des émeutes de la faim

Selon diverses analyses, si le gouvernement tient à maintenir les prix à la pompe, c’est d’abord dans l’optique d’éviter une crise sociale.

« L’Etat achète la paix sociale à travers la subvention des tarifs des hydrocarbures lâche un cadre de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH). L’augmentation des prix à la pompe impliquerait en effet l’augmentation des prix du transport et il y aurait alors des conséquences sous-jacentes telles que : la hausse des prix des produits destinés à la consommation des ménages. Cela va se répercuter sur le panier de la ménagère avec le risque de créer des tensions sociales. L’Etat l’a appris à ses dépens avec les émeutes de la faim de 2008 qui avaient découlé d’une hausse des prix à la pompe ».

Source: Défis Actuels du 20-6-2022