• Les barrages ont été construits
• Ils ne produisent pas l’énergie suffisante
• L’incompétence dans le montage des projets
L’énergie reste l’un des secteurs prioritaires défini dans la stratégie de développement du Chef de l’Etat en 2012. Bien que la mise en œuvre de ces grandes réalisations s’exprimait principalement en la construction de nombreux barrages hydroélectriques pour résorber l’épineux problème de déficit énergétique au Cameroun, celle-ci constitue dans le même temps un terrain de frustration pour les avancées économiques de notre pays quelques années après. Jean Yves Ngono Misso, président national du SYNTDOPTRE s’est livré au micro de LA CREME HEBDO à cet effet.
La politique de développement prescrite par le Chef de l’Etat S.E Paul Biya dans le secteur énergétique prévoyait la construction du barrage hydroélectrique de Lom Pangar qui a vu sa pose de la première pierre le 03 août 2012 par ce dernier en personne. La réalisation de ses projets énergétiques à terme en 2020 – 2025 ferait donc passer l’offre de production de 1800 MW à 3000 MW. Et Lom pangar seul contribuerait à hauteur de 200 MW et la région de l’Est devait entre autre bénéficier d’une ligne de transport de 90 KV de 150 Km et de nombreuses autres réalisations sur le plan environnemental et social. Estimé à un coût de 245 milliards de FCFA, la réception provisoire de ce barrage a eu lieu le 30 juin 2017 et la période de garantie d’un an est achevée et l’ouvrage est actuellement sous la responsabilité de l’Etat du Cameroun.
Pendant que les populations camerounaises s’attendaient donc à bénéficier comme promis de l’énergie électrique à profusion et à moindre coût pour les ménages et les entreprises, ces dernières sont désagréablement surprises de la résurgence des délestages intempestifs et réguliers et des factures exorbitantes au quotidien. Sur les 3000 MW de production projeté par le DSCE pour 2025, nous en sommes à peine à 1900 MW pour plus de 2000 milliards de FCFA d’investissement dans le secteur énergétique entre 2021 et 2020.
Jean Yves Ngono Misso, président du Syndicat National des Travailleurs de Développement des Ouvrages de Production, de Transport et de régulation de l’électricité (SYNTDOPTRE) n’a pas hésité à se prononcer sur les raisons du déficit énergétique actuel ; car selon ce dernier, « Aucun développement n’est possible sans énergie électrique disponible en qualité et en quantité » :
S’agissant de l’accroissement de l’offre en énergie électrique
Le barrage de Lagdo pour l’alimentation du RIN a été construit pour un potentiel de 72 MW, mais ne génère à peine que 20 MW depuis plus de 15 ans ; ceci dû à l’ensablement du réservoir de 7 milliards de m3 d’eau et seule une turbine sur les quatre fonctionne normalement.e
Le barrage de Songlulu pour l’alimentation du RIS a été construit pour un potentiel de production de 384 MW, aujourd’hui l’ouvrage ne livre à peine que 200 MW à cause de l’ensablement du réservoir de stockage d’eau et à peine trois turbine sont en bon état de fonctionnement sur un total de huit installées. Pour y remédier, l’Etat à travers une lettre d’intrusions du MINETAT SGPR au management de EDC demandait une réhabilitation de l’ouvrage en urgence depuis 2017 pour un investissement de près de 175 milliards à cette époque. A ce jour, le coût de ladite réalisation remonte à plus de 300 milliards et le Cameroun est en récession économique du fait de la covid 19.
Il convient de préciser que l’ensablement des réservoirs de stockage d’eau se justifie par l’absence d’entretien par EDC et la vétusté desdits ouvrages depuis plus de 25 ans et que le dysfonctionnement des turbines s’explique par le problème de transfert de technologie, manque de moyens financiers et la mal gouvernance criarde dans le secteur.
Le barrage d’Edéa pour un potentiel de production de 265 MW disponibles équivalent au total du potentiel installé pour alimenter l’industrie locale ne connaît par contre pas de grandes difficultés.
Le barrage de Mekin qui est l’un des grands projets du secteur a déjà englouti 100 milliards alors que le coût de réalisation de départ était de 25 milliards. Sa production actuelle est à peine de 5 MW au lieu de 15 MW à l’origine du projet. L’incompétence dans le montage du projet (les infrastructures d’évacuation d’énergie oubliées et la DUP mal déterminée pour les aspects environnementaux) et la corruption sont les causes de cet autre échec.
Le barrage de Memve’ele, un autre grand projet du secteur qui devait produire 211 MW de puissance potentiel ; deux ans après sa livraison produit à peine. Aussi faudrait-il pour le déplorer que l’Etat a déjà investi plus de 400 milliards dans cet ouvrage à cause de la mauvaise étude d’avant-projet et la mal gouvernance des auteurs autour.
Le barrage de Lom pangar, un autre grand projet du secteur pour 30 MW de puissance installée potentielle et les 170 MW garantis issus du réservoir de 6 milliards de m3 d’eau pour la régularisation du bassin versant de la Sanaga au niveau des centrales de production de songlulu et d’Edea ne sont pas possibles à cause de la vétusté desdits ouvrages. En dehors des problèmes techniques que connaît ce barrage depuis 2018 ; il faut déplorer le drame humain avec de nombreuses vies qui se meurent à Lom pangar : Plus de 40 travailleurs camerounais sont décédés d’accidents de travail en plein chantier, lesquels accidents n’ont pas été déclarés à la CNPS ou à l’inspection du travail et des nombreuses familles abusées et non indemnisées sont dans le désarroi depuis plus de 3 ans déjà.
Les barrages de Bini à Wara 75 MW, Mentchum 72 MW, Natchigal 420 MW, Chollet 600 MW et Grand Ewing 850 MW sont tous en phase d’étude ; pour certains de ces projets dont les travaux étaient en cours de réalisation, les chantiers sont abandonnés jusqu’à date sans explications.
La centrale à gaz de Kribi qui produit 200 MW sur les 300 MW de puissance potentielle installée à cause de la mauvaise étude et les problèmes d’approvisionnement en gaz auprès de la SNH par la KDPC du groupe ACTIS maître d’ouvrage du projet.
Les centrales thermiques d’urgence : 30 MW à Ahala, 20 MW à Maroua, 20 MW à Bamenda, 10 MW à Mbalmayo, 10 MW à Bertoua… Elles consomment des dizaines de milliards par mois et ne sont pas efficaces.
S’agissant de l’amélioration de l’accès en énergie électrique :
40% de l’énergie produit disponible s’évaporent à cause de la vétusté du réseau de transport et de distribution sous la charge aujourd’hui de la Sonatrel. Les postes de transformation sont surchargés et vétustes. Le projet d’interconnexion des réseaux RIN, RIS et celui isolé de l’EST financé par la BAD à plus de 175 milliards est en mode ralentit depuis toujours.
ENEO dispose prêt de 1 million 300 000 poteaux en bois sur l’ensemble du pays ; il aurait fallu depuis 20 ans les remplacer par des poteaux en acier ou en béton pour un coût de plus de 500 milliards. Il faudrait signaler pour le regretter que seulement 60% de la population des grandes métropoles dispose d’énergie électrique.
Par ailleurs, le projet PREREDT piloté par EDC depuis 2013 qui s’étend sur 8 régions afin d’améliorer les problèmes du réseau de transport d’électricité et financé par la BAD est en dépassement des délais de livraisons depuis 5 ans. Aucun impact positif visible jusqu’à date, pourtant beaucoup d’argent a été investi par l’État.
Notons que le coût de réhabilitation du réseau de transport et de distribution de l’énergie électrique est estimé à plus de 2500 milliards de FCFA.
Face à cette situation désastreuse qui s’est annoncée depuis lors, Jean Yves Ngono, porte-voix du SYNTDOPTRE propose des perspectives aptes à sortir notre pays, « le monde en miniature » du scandale énergétique, véritable atteinte à la sécurité de l’Etat. Il s’agit entre autres de :
La réhabilitation en urgence des barrages existants, songlulu et lagdo
La matérialisation de l’interconnexion des RIN, RIS et celui de l’est
Du replacement des poteaux en bois par le béton ou l’acier
Du renforcement du réseau avec des postes de transformation neufs et adaptés
La renationalisation du volet distribution/commercialisation en attribuant un opérateur patriote et efficient par région
Procéder à un audit de l’ensemble du secteur, ainsi que des projets lancés par l’État depuis 20 ans et en tirer toutes les conséquences
Le Chef de l’État devrait nommer des nouveaux managers à la tête des structures du secteur pour une nouvelle dynamique.
Notons pour le rappeler que l’énergie électrique a un effet « Spill over » sur l’ensemble du tissu social, c’est-à-dire qu’une crise énergétique peut avoir des répercussions sur d’autres domaines : ralentissement des activités économiques, chute de la production, chômage et inflation galopante (le cas du Cameroun n’en est pas des moindres). Elle reste et demeure un défi immense pour le gouvernement qui entend gagner le pari de pays émergents à des échéances.