Depuis trois mois, une mine est laissée à l’abandon près du village de Tikondi, dans l’est du Cameroun. Les engins mécaniques gisent dans les trous d’eau, le bétail tombe dans les crevasses et les habitants sont désemparés : impossible pour eux de reboiser ou de continuer à pêcher. Et le problème tend à se banaliser dans une région au sol très riche, convoitée notamment par des entreprises chinoises.
À Tikondi, située dans l’arrondissement de Ngoura, dans l’Est du Cameroun, les habitants vivent de la recherche de l’or depuis le XIXe siècle, quand les colons allemands sont arrivés dans la région. Artisans miniers, ils dégradent très peu la nature parce qu’ils utilisent des outils très légers — pelles, pioches et tamis — associés à la force de leurs bras.
Mais depuis quelques années, des entreprises, employant en général entre 20 et 30 ouvriers, ont commencé à exploiter les environs de Tikondi, avec pelleteuses et tracteurs. Cette exploitation "semi-mécanisée", à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie, a longtemps échappé tout contrôle. Or, elle ravage l’environnement. Pour plusieurs associations contactées par France 24, cette exploitation est opérée par des sociétés irresponsables.
"Elles érigent des barrages et désorientent les cours d'eau"
L’une d’elles inquiète particulièrement les villageois de Bohanto, près de Tikondi. Notre Observateur Michel Ndoedje a filmé les dégâts et a alerté la rédaction des Observateurs de France 24. Président de l’association Fusion nature Cameroun, il milite pour la préservation de la biodiversité locale.
Il y a des textes de loi qui régissent l’exploitation minière mais ils ne sont pas respectés. Les exploitations sont gérées par des entreprises étrangères, notamment chinoises, qui érigent des barrages et désorientent les cours d’eau. Une fois l’exploitation terminée, elles partent et abandonnent le chantier tel quel. Elles creusent des trous d’eau, ne les rebouchent pas et ne reboisent pas les forêts. Toutes ces pratiques créent une collection de problèmes : inondations dans les zones forestières et pourrissement du bois, déforestation et destruction du paysage.
Nous soupçonnons par ailleurs ces entreprises d’utiliser des produits chimiques dangereux pour séparer l’or du sable. Nous avons notamment trouvé des emballages suspects écrits en chinois et avons envoyé des échantillons en France pour les faire analyser. Les populations se plaignent aujourd’hui de maux de ventre, de démangeaisons et on retrouve régulièrement des cadavres de poissons dans les rivières.
Au-delà des dangers environnementaux, il y a eu plusieurs accidents : les trous d’eau abandonnés sont très profonds et certaines personnes sont tombées et se sont cassé la cheville. De nombreux bœufs et vaches sont tombés également. Lorsque nous sommes arrivés avec l’association, nous avons trouvé des déchets de moteurs, de l’huile, des engins abandonnés et toutes sortes de détritus. Tout ça n’est pas normal, ils ne respectent pas l’environnement.
Selon notre Observateur, trois entreprises chinoises ont causé de graves dégâts aux alentours de Tikondi, dans les localités de Bohanto et Ouanden : C&K Mining, Gipo Mining et Danshang Ming. Les deux dernières ont déjà été tenues responsables d’exploitation clandestine d’or par les autorités locales du ministère des Mines en 2014.
Un "flou juridique" profitable
Jusqu’en décembre 2016, l’exploitation "semi mécanisée" de mines n’était pas reconnue par les autorités et bénéficiait d’un flou juridique. Les entreprises n’étaient pas légalement contraintes de réhabiliter les zones exploitées puis abandonnées, ni de mener des études d’impact environnemental.
Mais les règles ont changé avec l’entrée en vigueur d’un nouveau code : celui-ci reconnaît les mines artisanales et industrielles, mais aussi semi-mécanisées. Selon Jean Kisito Mvogo, directeur des Mines au ministère éponyme, cette nouvelle législation vient clarifier les règles pour tout le monde et mettre fin à l’impunité de certains entrepreneurs miniers. "On s’est retrouvé face à une sorte de monstre qui n’était pas encadré par la loi, mais désormais les entreprises doivent prouver leur intention de réhabiliter l’environnement et montrer des garanties en cas de défaut de paiement", précise-t-il lors d’un entretien avec France 24.
Au-delà de la législation restée souple pendant un temps, plusieurs associations dénoncent une logique de rentabilité poussée à l’extrême chez ces entreprises. Quand un site ne rapporte pas suffisamment d’argent, elles n’hésitent pas à l’abandonner alors qu’elles ont pu y faire d’importants chantiers. Elles peuvent ainsi défigurer une région entière en installant des chantiers tout le long d’un cours d’eau, explique à France 24 le Centre pour l’environnement et le développement. "Il y a beaucoup de compagnies les unes à côté des autres, on doit donc faire face à l’impact cumulé de nombreuses exploitations, le tout sans disposition pour la remise en état des sites", explique son secrétaire général, Samuel Nguiffo.
L’artisanat en danger
La course au profit a aussi bouleversé les structures sociales des villages d’artisans mineurs, selon Victor Amougou, de l’association locale Cefaid (Centre pour l'éducation, la formation et l'appui aux initiatives de développement au Cameroun). Selon lui, l’artisanat traditionnel est en train d’être écrasé et instrumentalisé par ces entreprises.
"Elles influencent les villageois qui créent de fausses coopératives pour obtenir les autorisations d’exploitation de la part des autorités [jusqu’en décembre 2016, les mines "semi-mécanisées" n’étaient pas reconnues par les autorités]. Mais ce sont des faire-valoir : les entreprises promettent aux villageois qu’ils feront affaire quand la mine sera sur pieds…", détaille-t-il à France 24 avant de regretter que rien ne soit fait pour préserver les traditions locales qui respectent la nature.
Des produits chimiques illégaux ?
Notre Observateur Michel Ndoedje affirme que les entreprises chinoises mises en cause autour de Tikondi utilisent des produits chimiques très nocifs pour les hommes et l’environnement. Les associations interrogées par France 24 n’ont pas été en mesure de donner des preuves de leur utilisation, bien qu’elles prennent ces allégations très au sérieux. Et pour le ministère des Mines, tous les produits utilisés pour séparer l’or du sable sont interdits.
"Les populations locales ont voulu valoriser ces énormes trous en créant des bassins de pisciculture. On a tout de suite émis de fortes réserves parce que nous devons mener des études sérieuses pour déterminer si des produits chimiques ont été utilisés, produits qui pourraient contaminer les poissons", explique Victor Amougou de la Cefaid.