La monnaie aujourd'hui utilisée dans 15 pays africains est fabriquée dans le Puy-de-Dôme. Elle suscite depuis plusieurs mois un vif débat sur le continent africain. Certains estiment qu'il faut le maintenir, quand d'autres préconisent de l'abandonner.
Fabriqué en France et utilisé en Afrique. Voici l'une des particularités du franc CFA, aujourd'hui présent dans 15 pays africains. Cette monnaie est fabriquée à Chamalières, dans une imprimerie de la Banque de France entourée de grilles infranchissables. Le maire de cette petite commune du Puy-de-Dôme n'est autre que Louis Giscard d'Estaing, le fils de l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing. «Après la Première Guerre mondiale la Banque de France a décidé de construire une imprimerie très éloignée de la frontière de l'est dans un endroit peu accessible: elle a acheté un terrain à Chamalières en 1921», raconte Louis Giscard d'Estaing au Figaro.
Initialement, l'acronyme CFA signifiait «colonies françaises d'Afrique». «Le franc CFA est issu de la colonisation», explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS en charge de l'Afrique. «Il s'est développé après la Seconde Guerre mondiale», poursuit le chercheur. Concrètement, le franc CFA est aujourd'hui utilisé dans deux unions monétaires distinctes disposant chacune d'une banque centrale:
• La communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) qui comprend le Cameroun, la Centrafrique, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.
• L'union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui regroupe le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Togo, le Bénin et la Guinée-Bissau.
L'acronyme CFA signifie désormais «coopération financière en Afrique» pour la première union monétaire et «communauté financière africaine» pour la seconde union monétaire. Le franc CFA est également utilisé aux Comores.
Comment fonctionne le franc CFA?
Créé en 1945, le franc CFA est aujourd'hui rattaché à l'euro. Autrement dit, il a un taux de change fixe avec l'euro et suit donc les variations de la monnaie unique. Et pour garantir cette parité fixe, les pays de la «zone franc» doivent déposer 50 % de leurs réserves de change au Trésor français.
«Il existe un accord entre le Trésor français et les banques centrales africaines des deux unions monétaires», explique l'économiste Samuel Guérineau, spécialiste d'économie du développement au CERDI (Université Clermont Auvergne).
Concrètement, les banques centrales africaines ont un compte auprès du Trésor français: si elles ont besoin d'euros, le Trésor français leur prête. «C'est une autorisation de découvert, qui donne accès à un financement d'urgence», résume Samuel Guérineau. Cela permet aux banques centrales africaines de ne pas avoir de pénurie de liquidités. Enfin, leurs dépôts sont rémunérés, la France verse des intérêts.
Le franc CFA, entre avantages et inconvénients
Depuis plusieurs mois, le débat autour de la sortie ou du maintien du franc CFA a ressurgi en Afrique. D'après les spécialistes contactés par Le Figaro, cette monnaie comporte à la fois des avantages et des inconvénients. Les voici:
• Une monnaie très stable...
«L'avantage pour les pays africains, c'est d'avoir une monnaie garantie et fixe», explique Philippe Hugon. «C'est une monnaie stable», abonde Samuel Guérineau. «Jusqu'à présent, économiquement, le franc CFA a été plutôt une bonne chose pour les pays africains: il y a eu peu d'inflation et pas de crise de la balance des paiements. Il simplifie les échanges avec les pays de la zone euro», poursuit-il.
• ... mais qui est par moments surévaluée
Au rayon des inconvénients, les deux économistes citent un franc CFA «surévalué quand l'euro est trop fort». «C'est bénéfique pour les pays qui importent du pétrole - libellé en dollar - mais cela pénalise les pays qui exportent car ils perdent de la compétitivité», explique Philippe Hugon. Et comme le souligne Samuel Guérineau, pour dévaluer, il faut l'accord de tous les pays de la zone franc. «Depuis 50 ans, il n'y a eu qu'une seule dévaluation en 1994», rappelle-t-il. La dévaluation permet à un pays de diminuer la valeur de sa monnaie - ce qui stimule ses exportations car ses produits sont vendus moins chers - mais parallèlement les importations deviennent plus coûteuses. Samuel Guérineau observe également qu'il n'y a pas eu davantage de croissance dans les pays de la zone franc, pointant au final un «bilan économique décevant en termes de croissance, mais positif en termes de stabilité économique, notamment pour traverser les crises sociopolitiques (Côte d'Ivoire, Mali, Burkina-Faso...)
• Une dépendance symbolique forte
Mais c'est surtout sur le plan symbolique que le franc CFA cristallise le plus de critiques. «Le problème est essentiellement symbolique. Le droit de regard du Trésor français peut être perçu comme une atteinte à la souveraineté des banques centrales», analyse Philippe Hugon. «Il y a une dépendance symbolique forte», abonde Samuel Guérineau. Il poursuit: «La zone franc est aussi un instrument d'influence qui donne du pouvoir à l'État français. C'est du «soft-power» et ça maintient une relation particulière avec l'Afrique». Pour rappel, des représentants français sont présents dans les organes des banques centrales africaines même s'ils sont peu nombreux - un ou deux - et n'ont pas de droit de veto.
Kako Nubukpo, économiste togolais et auteur de Sortir l'Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA?, avançait lui d'autres explications dans les colonnes du Monde, en septembre 2016. «Nous souffrons d'une mauvaise gouvernance chronique et il faut sortir de la «protection» qu'offre le CFA. Il a un effet anesthésiant car même en gérant mal les économies, les gouvernants sont sûrs que Paris sera toujours là pour couvrir leurs errements», expliquait-il alors. Avant de soulever un autre élément lié à l'enrichissement des élites africaines: «Puisque il n'y a pas de limites à la convertibilité, les élites locales ont tout loisir de placer leur argent sur un compte étranger ou d'acheter un appartement parisien. C'est le point central».
Comme le rappelle Samuel Guérineau, aucun obstacle juridique n'empêche cependant un pays qui le souhaiterait d'abandonner le franc CFA. Ce fût notamment le cas de Madagascar en 1973. Philippe Hugon comme Samuel Guérineau suggèrent tous deux qu'il est important de réfléchir à des solutions alternatives donnant plus de flexibilité au taux de change, comme un rattachement à un panier de monnaies, par exemple l'euro, le dollar et la monnaie chinoise.
• Un sujet très «sensible» en France
La question du franc CFA alimente également le débat dans l'Hexagone. Un sujet sensible et indissociable du passé colonial de la France. En déplacement au Tchad en mars dernier, en pleine campagne présidentielle, Marine Le Pen avait déclaré entendre «les plaintes des États africains qui considèrent par principe qu'ils doivent avoir leur propre monnaie et que le franc CFA est un inconvénient à leur développement économique». Elle ajoutait alors: «Je suis tout à fait d'accord avec cette vision», déclarant son intention de rompre avec la politique de la «Françafrique».
Un peu plus tard, en avril, l'ancien ministre de l'Économie Michel Sapin avait également abordé le sujet à Abidjan, en Côte d'Ivoire, à l'issue d'une réunion avec ses homologues d'Afrique de l'ouest et centrale de la «zone franc». «Le franc malgré son nom est la monnaie des Africains, ce n'est plus la monnaie de la France, il a disparu en Europe. Sur toutes ces questions-là, c'est aux Africains de se prononcer et ce n'est pas à nous de le faire à leur place», avait-il déclaré.
Quant à Emmanuel Macron, sa dernière intervention sur le sujet remonte à avril dernier. «Le choix (d'abandonner ou non le franc CFA, NLDR) appartient d'abord aux Africains eux-mêmes. Je note qu'en général les gouvernements africains restent, avec raison, attachés aux deux espaces monétaires (Afrique centrale et Afrique de l'Ouest) qui constituent la zone du franc CFA et qui contribuent à la stabilité économique et à l'intégration régionale. Je serai entièrement à l'écoute des souhaits de nos partenaires dans ce domaine de coopération exemplaire», avait-il dit dans les colonnes de Jeune Afrique.