La filière blé camerounaise traverse une crise sans précédent, marquée par l'absence de débouchés locaux et un soutien gouvernemental défaillant. Alors que le pays cherche à réduire sa dépendance aux importations, les semenciers locaux lancent un cri d'alarme.
Selon des révélations faites par Madeleine Tchuinte, ministre de la Recherche scientifique et de l'Innovation (Minresi), lors de son passage devant les députés en décembre 2024, toutes les semences et espèces adaptées produites au Cameroun ont été vendues au Nigeria en 2024. La raison invoquée : "le Cameroun ne dispose pas encore de terre disponible pour faire l'industrialisation de la culture publique".
L'Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD) a développé près de 50 variétés de semences de blé adaptées aux cinq zones agro-écologiques du Cameroun. Ces semences, qualifiées de "climato-intelligentes", sont résistantes à la sécheresse et aux changements climatiques, avec une production annuelle pouvant atteindre 200 tonnes.
Cependant, Alhadji Laminou, producteur de semences de blé dans l'Adamaoua, contredit la version ministérielle. "La production ne s'est pas vendue au Nigeria, elle s'est simplement gâtée faute d'acheteurs", affirme-t-il. "Le Nigeria ne pourrait pas acheter notre production, car ils vendent leurs semences moins chères qu'au Cameroun."
Au cœur de cette crise, une promesse non tenue : une subvention de 10 milliards de FCFA prévue dès 2020 pour soutenir la filière n'a jamais été débloquée. Cette aide devait permettre au ministère de l'Agriculture de racheter les semences produites par les semenciers locaux pour les distribuer aux agriculteurs.
"Nous avions un accord avec le ministère de l'Agriculture pour qu'il rachète notre production et la distribue aux agriculteurs. Mais rien n'a été fait", déplore Alhadji Laminou. "Nous avons écrasé une partie de notre production, tandis que l'autre partie s'est gâtée. On n'a pas vendu celle de 2023, donc en 2024, on n'a pas produit."
Une autre controverse entoure le rendement des semences camerounaises. Alors que le Pr Eddy Ngangkeu, conseiller technique au Minresi, affirme que les semences améliorées peuvent produire entre 1,5 et 9 tonnes à l'hectare selon les régions, les producteurs sur le terrain contestent ces chiffres.
"Lorsque les spécialistes viennent, ils nous disent qu'on aura au moins trois tonnes à l'hectare. Mais on en ressort avec moins d'une tonne", témoigne Alhadji Laminou. "Le blé camerounais a un bon taux de panification (65%), mais il n'a pas un bon rendement."
Cette situation décourage les investissements. Alhadji Laminou, qui a investi dans 30 hectares et une moissonneuse chinoise à 20 millions de FCFA, calcule qu'il faut 500 000 FCFA pour cultiver un hectare. Un investissement devenu non rentable faute de débouchés.
Face à cette situation critique, le Minresi tente de relancer le secteur. Des expérimentations sont en cours à Wassandé (Adamaoua) sur 600 hectares, où deux variétés de blé comparables au blé ukrainien sont testées.
Pour 2025, le ministère prévoit de débloquer une première tranche de 4 milliards de FCFA pour soutenir la production de semences de pré-base et de base de blé. Une initiative qui arrive tardivement, alors que de nombreux producteurs ont déjà abandonné cette culture.
La relance de la filière blé au Cameroun, cruciale pour réduire la dépendance aux importations, nécessitera des investissements conséquents et une meilleure coordination entre recherche, producteurs et pouvoirs publics. Sans quoi, le potentiel unique du Cameroun avec ses cinq zones agro-écologiques, souligné par les chercheurs, restera inexploité.