Le Dr Louis-Marie Kakdeu, deuxième vice-président national du SDF, dresse un bilan sombre de l'exode massif des Camerounais, illustrant le malaise profond qui traverse le pays. En l'espace de quatre ans, 14 135 Camerounais ont quitté leur terre natale pour immigrer au Canada. Un exode qui rappelle, selon Kakdeu, les heures sombres de la traite négrière, avec des départs massifs de forces vives vers des terres étrangères, au détriment du développement du Cameroun. « L'Afrique noire perd massivement ses forces vives et ses valeureux citoyens », déplore-t-il, ajoutant que cette fuite des talents, formés avec des fonds africains, ne fait qu'enrichir les économies étrangères.
La frustration, mot clé dans l'analyse de Kakdeu, est omniprésente au Cameroun. La population, dit-il, est frustrée de ne pas être reconnue à sa juste valeur, dans un système où le mérite et le talent sont souvent sacrifiés sur l'autel du clientélisme. Ce ressentiment, qui alimente des conflits comme celui dans les régions anglophones, pousse de nombreux citoyens à quitter le pays, en quête d'un avenir meilleur à l'étranger. « Politics na ndjangui », entend-on souvent, une formule qui résume l'idée que la réussite ne passe plus par l'effort, mais par l'adhésion à des réseaux d'influence.
Les chiffres témoignent de cette fuite : entre 2015 et 2019, 60 100 Camerounais ont immigré aux États-Unis, selon l'American Community Survey. En 2022, ils étaient plus de 90 000 à avoir choisi la France, 15 769 la Belgique et 12 000 l'Espagne. La diaspora camerounaise, estimée à plusieurs millions de personnes, représente une saignée massive pour un pays qui aurait besoin de ses cadres pour se développer.
Pour Kakdeu, cette situation est le fruit d'une gouvernance opaque et incertaine. « La société baigne dans l'incertitude », écrit-il, pointant du doigt un système où personne ne sait ce que l'avenir réserve, notamment après le départ de Paul Biya, au pouvoir depuis plus de 40 ans. Ce climat d'incertitude pousse les citoyens à chercher refuge ailleurs, avec l'idée que l'avenir est ailleurs et non au Cameroun.
Le chercheur et homme politique rappelle que cette situation n'est pas inévitable. Dès 1962, René Dumont, dans son ouvrage *L'Afrique noire est mal partie*, décrivait déjà les maux du continent, tout en proposant des pistes de développement. Pour Kakdeu, le Cameroun a besoin de dirigeants patriotes et visionnaires. Il critique sévèrement le président Paul Biya, accusé de laisser un pays divisé, sous-développé et indigne après quatre décennies de règne. En contraste, il évoque les années Ahidjo, où les Camerounais étaient fiers de rentrer au pays après leurs études à l'étranger, avec un sentiment de contribution à l'édification nationale.
Aujourd'hui, la donne a changé. En 2021, sur les 460 000 étudiants subsahariens à l'étranger, plus de 90 % souhaitaient rester à l'extérieur après leurs études, les Camerounais formant une part importante de ce chiffre. La peur de revenir dans un pays sans avenir, sans emploi et sans perspective pousse ces jeunes à demander, de façon désespérée, « de vendre le pays et de partager l'argent », symbole du profond désespoir qui gangrène la société.
Pour Kakdeu, l'attitude du gouvernement actuel est symptomatique de ce déclin. Il cite, à titre d'exemple, le mois de septembre 2024, où Paul Biya et son gouvernement se sont tournés vers la Chine pour obtenir des fonds, ignorant les opportunités locales. « Si l'on ne prend que la seule chaîne des valeurs des manuels scolaires, cela représente un marché de plus de 1000 milliards de FCFA », explique-t-il. Pourtant, le Cameroun choisit d'importer ces manuels de Chine, sapant l'économie locale et fermant des imprimeries nationales comme CEPER.
Toujours pour lui, il faut croire en l'expertise camerounaise et faire confiance aux talents locaux et à la diaspora pour relancer l'économie. « Let’s rescue Cameroon! », lance-t-il, invitant à une mobilisation collective pour reconstruire le Cameroun.