Il y a de l’eau sur la route, tellement d’eau que les deux conducteurs de motos-taxis s’arrêtent. D’un œil inquiet, ils mesurent la distance à parcourir pour se retrouver de l’autre côté, où la terre est visible. Le premier retrousse son pantalon, actionne le moteur et fonce à vive allure. Il bute, se dandine de gauche à droite et s’arrête à nouveau.
« Avant, tout cet endroit était de la terre. Il n’y avait pas autant d’eau », s’agace le conducteur Arouna, en balayant de son bras l’intersection entre les différents quartiers du village Mali, dans la localité de Bétaré-Oya, une ville de 60 000 habitants à l’est du Cameroun. « Aujourd’hui, c’est devenu un lac aujourd’hui. Un vrai lac », peste encore Arouna qui a finalement réussi à sortir sa moto de l’eau. Devant un amas de terre en bordure de piste, le jeune homme, lâche : « Voilà ce qu’ils laissent au village. » « Ils », ce sont des Chinois, exploitants d’or dans la commune rurale de Bétaré-Oya depuis 2007.
« Des énormes trous de plus de 30 mètres »
Cette ville est riche en or et attire les convoitises venues de Chine. A l’aide de gros engins, les exploitants creusent le sol partout où cela est possible. « L’exploitation artisanale mécanisée d’or par les Chinois a transformé la ville en un vaste chantier de terre et d’eau, soupire Justin Ndibo. Ils l’ont transformée en un déchet. » Le président de la branche locale de l’Organisation nationale des droits de l’homme (ONDH) fait référence aux « énormes trous de plus de 30 mètres » laissés après le passage des engins chinois.
Le village Mbal est situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville. Ici, des tas de sable et de terre jonchent les sols. En se rapprochant, de petites étendues d’eaux sont visibles, « ce sont des lacs artificiels », explique Christian, un riverain. Lorsque le jeune homme de 23 ans parle de son village, le ton est triste. « Les espaces verts disparaissent », lance-t-il, les yeux levés vers le ciel.
A Nguengué, les amas de terre durcis forment déjà de petites collines qu’il faut arpenter pour accéder aux chutes de Mali, l’une des attractions touristiques de Bétaré-Oya. « Ces exploitants chinois ne trouvent pas seulement des endroits plats. Ils trouvent des forêts qu’ils terrassent. Puis, ils creusent des trous avec leurs engins et nous laissent dans cette désolation », soupire Emmanuel Albert Andang, délégué régional de l’environnement, de la protection de la nature et du développement durable.
« La malédiction de l’or »
Dieudonné Moussa, le chef du village Mali regarde impuissant une pelle hydraulique creuser et déverser de la terre à quelques mètres du fleuve Lom, un cours d’eau qui traverse Bétaré-Oya. Non loin, trois responsables d’une société minière chinoise observent eux aussi la scène, mais refusent de répondre aux questions. « Leur activité a fait fuir tous nos poissons. Même la pêche est devenue difficile à Bétaré », s’énerve Pierre, un pêcheur natif de la localité.
Une situation qui inquiète Justin Ndibo de l’ONDH, qui ajoute qu’« il y a deux mois, un jeune lycéen, en allant prendre son bain, est tombé dans l’un de ces trous. Il est mort noyé. Plus de cinq personnes sont décédées ainsi. » Et rien n’est fait par les autorités pour résoudre ces problèmes. En attendant, les habitants de Bétaré-Oya rêvent de l’époque où leur localité était encore une forêt vierge, celle d’avant « la malédiction de l’or ».