Le Cameroun a un déficit énergétique - Théodore Nsangou

Theodore Nsangou Théodore Nsangou, DG EDC

Wed, 22 Jun 2016 Source: newsducamer.com

Le directeur Général de Société chargée du patrimoine bloc dans le secteur d’électricité s’est confié à Défis Actuels sur les enjeux énergétiques du Cameroun quelques semaines après la mise en eau partielle du Barrage de Lom Pangar en septembre dernier.

La mise en eau partielle du barrage de Lom Pangar a eu lieu le 24 septembre dernier. Quel be- soin y avait-il de faire une mise en eau partielle cette année et qu’est-ce que cette opération induit concrètement pour les ménages ?

Disons que comme vous l’avez constaté, le Cameroun a un déficit énergétique depuis près d’une dizaine d’années. En 2016, les projections de ce déficit seront de l’ordre de 100 MW. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé à la mise en eau partielle avec l’accord du gouvernement.

L’objectif est d’atténuer le déficit de l’année prochaine, qui risque d’être catastrophique pour le Cameroun. Nous croyons que la mise en eau partielle du barrage va considérablement atténuer les délestages dans les ménages et par ricochet les destructions des appareils.

Après cette mise en eau partielle qu’elle est la prochaine étape du calendrier des réalisations ?

Au moment où on met en eau partielle le barrage, le taux d’exécution est à peu près de 90 %. Nous allons maintenant tout faire pour terminer le barrage et procéder à la mise en eau définitive d’ici le mois de juillet 2016. Ensuite, nous désirons attaquer l’usine de pied et la ligne de transmission de l’électrification du village Lom Pangar. Nous pensons lancer ces différents chantiers à la fin de cette année. On va en outre attaquer le volet « Plan développement local, appui aux populations ».

Nous avons d’ailleurs signé le 16 octobre 2015, des contrats avec SNV (l’organisation néerlandaise de développement) pour la restauration des niveaux de vie des populations rive- raines, et la mise en œuvre du plan de développement local du projet hydro-électrique de Lom Pangar. Un projet de près de 45 milliards de francs CFA, qui englobe un vaste programme de renforcement des capacités des populations riveraines, la construction des infra- structures sociales, entre autres.

Ce projet était dans les tiroirs de- puis de longues années, comment s’est passé sa réactivation ?

Les études du projet Lom Pangar re- montent à 1992 en effet. A cette époque, nous avions envisagé que le Cameroun serait en crise énergétique au début des années 2000. Les études ont été par contre bouclées en 2004. Mais la mise en œuvre de ce projet a été freinée par la privatisation de la Sonel. Le contrat de cette privatisation stipulait que l’un des projets urgents de la nouvelle société était, la mise en œuvre du barrage de Lom Pangar. Sauf que cela n’a pas été le cas.

Car à cause d’un stratagème que j’ignore, AES, qui avait repris la Sonel, s’est arrangé à re- tirer ce volet dans l’accord signé avec le Cameroun. L’Etat n’a alors eu d’autres choix que de reprendre ce dossier lui- même. Le gouvernement du Cameroun, en créant EDC en 2006, a confié à cette société publique la tâche de réaliser le projet de Lom Pangar. C’est à partir de ce moment que le travail a effectivement commencé. Il a d’abord été nommé un premier directeur général, Célestin N’Donga. Directeur général que j’ai remplacé en 2009.

Comment s’est opérée la mobilisation des financements et qu’est ce qui a été obtenu au final ?

Le Cameroun a pu mobiliser les fonds au travers d’un emprunt obligataire et du Plan d’urgence. A l’heure actuelle, le montant total du budget s’élève à plus de 270 milliards de francs CFA. Dans ce capital, la Banque Mondiale a donné 66 milliards, l’Agence française de Dévelop- pement (AFD) près de 40 milliards, la Banque africaine de Développement (BAD) 33 milliards, la Banque de Développement des États de l’Afrique Centrale (BDEAC) 20 milliards. L’Etat du Cameroun a pour sa part donné près de 90 milliards.

Les ouvriers du chantier (1000 ouvriers camerounais, 400 Chi- nois, 50 ingénieurs, experts, techniciens) se plaignent parfois de ne pas être dans les conditions de travail réglementaires. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?

En ce qui concerne la situation des ouvriers du barrage de Lom Pangar, je tiens toujours à dire qu’il y a deux phases. La première phase, celle avant 2012. Pendant cette période, je le re- connais, les conditions de travail des ouvriers n’étaient pas bonnes. Il y a d’ailleurs eu plusieurs revendications. Après 2012, nous avons pris en considération les plaintes du personnel et nous avons décidé d’y remédier.

L’une des solutions majeures que nous avons trouvée a été d’instaurer le dialogue social. Il permet aux ouvriers d’être au fait de leur propre situation. Nous avons également licencié deux cuisiniers du fait de la mauvaise qualité des repas servis à nos ouvriers. Nous avons également instruit à la CWE (China Inter- national Water Electric Corporation), qui est chargée de la construction du bar- rage, de revoir la qualité des logements sociaux.

A l’heure actuelle, je suis à même de vous affirmer que nos ouvriers ont les meilleurs logements sociaux de tous les chantiers dirigés par les sociétés chinoises au Cameroun. En plus, la situation des ouvriers est désormais stable. D’ailleurs, lors de la mise en eau partielle, nous avons assisté à un tournoi de football entre ouvriers. Nous avons même mangé ensemble. Par le passé, beaucoup d’ouvriers se plaignaient de ce que leurs doléances n’étaient pas prises en compte.

Mais désormais, il s’agit d’un souvenir. Les ouvriers du barrage de Lom Pangar m’ont d’ailleurs offert un présent avec l’effigie du barrage, signe que le calme est revenu et que la travail avance sereinement.

A la rédaction de Jeune Afrique, vous avez expliquez que « grâce à Lom Pangar, le déficit du Cameroun sera ramené à 30 MW. » Sa- chant que le déficit s’aggrave au fil du temps, ce chiffre ne sera-t-il pas dépassé d’ici à 2020 ?

A l’heure actuelle, le déficit du Cameroun est de 100 MW. La mise en eau partielle du barrage de Lom Pangar permet de résorber 70 MW. Il en reste donc 30 MW. Si l’on considère que le déficit augmente de 10 % chaque année, on espère que d’ici la fin des travaux du barrage, le Cameroun pourra effectivement réduire son déficit à 30 MW.

Le Cameroun doit atteindre une production de 3000 MW en 2020. Quels sont les projets pouvant aider à atteinte ce but et où en est leur développement ? Comment et où trouver ces financements estimés à près de 6000 milliards de francs CFA ?

Il ne faut surtout pas vous fier aux chiffres. D’ici 2020, la consommation du Cameroun devra avoisiner les 2000 MW. Avec les industries qui s’installent chaque jour au Cameroun, on pourrait atteindre les 2500-3000 MW. Il est donc important de trouver un mécanisme qui permettrait de résorber ce problème. Ce mécanisme, je pense a déjà été trouvé. Si d’ici 2020 tous les barrages sont livrés, la production énergétique du Cameroun avoisine- rait les 2000 MW.

A raison de 170 MW pour Lom Pangar, 260 MW pour Songloulou, 200 MW pour Memvé’élé, 15 MW pour Mekin, 420 MW pour Nachtigal, pour ne citer que ceux-là. C’est la raison pour laquelle, je pense qu’il faut très vite lancer la construction du barrage de Nachtigal sur le fleuve Sanaga.

Au delà de la construction du barrage de Lom Pangar, comment EDC assume-t-il ses autres missions ?

Pour l’instant, le projet Lom Pangar est notre priorité. Lors de la mise en eau partielle, les travaux du barrage étaient effectués à 90 %. Nous espérons que d’ici juin 2016, les 10 % restants seront achevés. En dehors de Lom Pangar, nous avons en effet d’autres activités. Nous devons procéder à la construction de l’usine hydroélectrique au pied du barrage et à l’installation d’une ligne de transport de 90 KV d’une longueur d’environ 120 km entre le site du barrage et Bertoua.

Outre cela, nous avons une implication très active dans la nouvelle société de transport de l’électricité qui vient d’être créée, la Sonatrel. Nous sommes d’ailleurs à l’origine de plusieurs des textes qui figurent dans le décret de sa création. Le décret stipule également qu’EDC a un représentant permanent au sein de la Sonatrel.

Nous prévoyons également l’électrification de 150 villages dans la région de l’Est. Dans le cadre d’un vaste pro- gramme, Eneo devra également nous rétrocéder les barrages de Mbakaou, Bamendjin et Mapé. A la suite de cette action, nous procéderons à l’exploitation de ces barrages comme le stipule le décret de création d’EDC.

Où en est la mise en œuvre des droits d’eau ? Quelles sont en quelques chiffres, les attentes d’EDC à cet égard ?

La mise en œuvre des droits d’eau avance bien. Nous avons récemment proposé des textes pour encadrer cette activité. Nous attendons d’ici peu que le processus soit mis en marche. Nous n’avons pas d’at- tente à proprement parlé, mais des objectifs à atteindre. Les droits d’eau seront gérés au Cameroun par EDC. Ces droits permettront à la structure que je dirige de devenir autonome à long terme.

Je veux par là dire qu’à partir du moment où nous percevrons cet argent, nous n’aurons plus besoin d’attendre des subventions de l’Etat. Ces droits d’eau vont même nous permettre de rembourser les emprunts contractés par l’Etat en vue de la mise sur pied de la société EDC et du projet Lom Pangar. Nous serons la première société publique à fonctionner de la sorte.

Les médias ont présenté vos relations avec Eneo comme tendues. Qu’est-ce qui peut expliquer ce cli- mat ?

Je ne sais pas où ils sont allés chercher cette information. Je vois régulièrement le directeur général d’Eneo et nous nous entendons très bien. D’abord, il ne faudrait pas confondre les relations entre les directeurs généraux d’Eneo et d’EDC avec ceux des personnels des deux structures. Le directeur général d’Eneo et moi entre- tenions de relations cordiales et professionnelles.

Ce que je sais à mon niveau c’est que nous faisons tout pour défendre les intérêts du Cameroun et des consommateurs que nous représentons. Avant l’avènement d’EDC en 2006, AES-Sonel avait le monopole du secteur. Maintenant, quand elle vient du coté public, elle trouve en face des gens qui connaissent la question. Il y a parmi nous beaucoup d’anciens de la Sonel qui maitrisent la question et savent de quoi ils parlent.

Des ingénieurs qualifiés, associés au directeur général que je suis, travaillent pour la défense des intérêts de la population. Et cela, nous le faisons de tout notre cœur parce que nous avons été nommés pour cela. Nous sommes avant tout des patriotes au service de la nation.

Source: newsducamer.com