MBANKOMO, le symbole de la corruption au Cameroun

12413 Peage290815750 Il est impossible de suivre précisément les recettes au jour le jour

Wed, 10 May 2017 Source: Jean-René Meva'a Amougou

Situées sur l’une des routes les plus rentables du Cameroun, les scènes de vie à ce poste révèlent par le détail comment les agents jouent sur plusieurs tableaux pour se faire du beurre. Mbankomo, c’est le bâton de manioc, les brochettes de hannetons et les produits non ligneux. Ce laïus, chaque voyageur sur la Nationale N°03 (axe routier Yaoundé- Douala) peut le réciter par coeur. En effet, dans cet arrondissement situé à une quinzaine de minutes de la capitale camerounaise, « Bobolo, mbita Kola, foss » ont fini par rattacher un glossaire propre à la vie ici. « Le panorama ne serait pas exhaustif s’il exclurait le poste de péage », rigole un grand dadais à la silhouette de play-boy fatigué.

«Ce lieu est évoqué et invoqué à cause de sa sombre aura de corruption et de détournements d’argent public; il me semble que nos dirigeants ont acté cela puisque cela dure depuis longtemps, avant même que le poste ne soit déplacé vers l’autre sortie de la ville», ajoute-t-il. A cet endroit justement, le décor n’a rien d’impressionnant ce 05 avril 2017: une chaussée en deux couloirs ; au milieu, se dressent quelques fûts chargés d’épaisses parois de béton.

Dans le minuscule local qui sert de bureau, pas grand-chose. Juste quelques manteaux sont accrochés. Sur une petite table, un vieux registre… « Pour la main courante ». Tout à côté, une plaque d’un autre âge rappelle que « tout le monde paie ». A son pied, une brochette de quidams silencieux se tient en surplomb. Ils ont un rôle : observer les jeunes gens qui tiennent les herses de chaque côté de la route, l’oreille et l’œil à l’affût. Les deux dames, qui de part et d’autres de la route, « coupent » les tickets assurent la fraîcheur de leur regard aux automobilistes.

L’une d’entre elles se lâche et donne libre cours à ses fantasmes. Elle vient de faire la bise à un chauffeur à bord d’une voiture luxueuse. « Pourquoi ? », lui a-t-on demandé. En bonne diplomate, elle répond à côté, évoquant une conception joviale du travail. A cette scène-là, se juxtapose une autre qui met en évidence les habitudes du personnel du péage. Ce matin, l’échange entre un conducteur de poids lourd et un agent est ponctué d’un geste exécuté par ce dernier. Visiblement, ici, la vie à son code. Surtout celui du silence. « Votre journée doit être surchargée avec le flux de véhicules dans les deux sens de la route, n’est-ce pas ? », tente-on de faire parler un agent.

Au coeur de sa réponse, trois idées s’alternent, dont celle de l’écho d’une consigne soufflée en amont par le chef de poste. D’abord, il dit ne pas être légitime pour s’exprimer : « Allez demander au patron », lâche-t-il en riant et en se grattant le mollet. Ensuite, il se montre socratien : « De tout ça, je sais que je ne sais rien ! » Enfin, il déclare n’avoir pas fait d’études pour cela.

« Retro-retro, biz du jour »

Voilà qui soulève un rideau et montre les coulisses implacables du poste de péage de Mbankomo. La palette est plus nourrie en ce qui concerne le personnel. « On m’a pris ici il y a quatre mois. Avant, je vendais des noisettes et un homme qui travaillait là depuis m’a dit de venir travailler ici », confie un jeune chargé de placer la herse. D’ailleurs, le nom du « patron » lui est inconnu. Dans un argumentaire candide, il dévoile que les « gens du ngoma » (le personnel fonctionnaire) se relèvent et se relaient souvent. « Ce sont les gendarmes et les civils », renseigne-t-il.

A l’examen, plusieurs administrations publiques sont présentes ici. On note ainsi : des agents du ministère des Transports, du ministère chargé des Finances, des forces de maintien de l’ordre, du Programme de sécurisation des recettes routières et du Comité interministériel de suivi des opérations du péage routier. « Avec ces gens du ngomna, il y a l’entente tant qu’on ne fait rien de mauvais », appuie notre interlocuteur désignant du doigt son ami soupçonné de « manger dans le dos » des fonctionnaires.

Les anecdotes de ce dernier donnent quelques pistes pour repérer les «astuces» et les entourloupes les plus courantes. Il précise que le «poste» est parfaitement organisé, puisqu’il est impossible de suivre précisément les recettes au jour le jour. Selon lui, les fraudeurs utilisent trois techniques pour détourner les recettes. La première technique consiste à vendre des souches à la place des tickets. La deuxième s’illustre par l’usage, dans la même journée, de plusieurs carnets à souches. Quant à la troisième technique, elle se caractérise de la manière suivante : les agents de contrôle, lorsque l’occasion se présente, laissent passer deux fois le même véhicule sur la base du même ticket payé à l’aller du trajet et remis à ceux-ci au retour.

Ce ticket est revendu à un autre usager par la suite. Plus fréquemment, le passage de certains véhicules se fait moyennant un cadeau de 200 à 300 FCFA, certains usagers fréquents payant encore moins. Cela s’appelle « Retro-retro, biz du jour » Le contrôle réalisé en avril dernier dans le prolongement de l’Etude de simplification et d’harmonisation de la fiscalité routière au Cameroun au voisinage de 4 postes de péage et par interpolation linéaire sur l’ensemble des postes en activité a révelé un taux de fraude de 50% à Mbankomo seulement.

Parallèlement, une enquête menée par un comité interministériel placé sous la direction du Ministère des Transports a enregistré pour une journée sur l’ensemble des postes : Trafic moyen imposable 31.137 véhicules ; recette prévisionnelle 15.568.500 FCFA ; recette effective moins de 4.000.000 FCFA ; déficit 11 millions CFA.

Source: Jean-René Meva'a Amougou