La prescription du président de la République, Paul Biya, transparaît de la troisième partie de la circulaire qu’il a signée le 30 août 2023, « relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 2024 ». En effet, s’agissant « des orientations générales de la politique budgétaire », le chef de l’Etat instruit « la mise en place effective du dispositif de marquage des bières », notamment en matière de contrôle et de lutte contre la fraude.
Il sera question, expliquent les experts en la matière, d’estampiller les produits brassicoles visés, en appliquant l’encre et le solvant sur chaque capsule de bière qui passe sur une chaîne de fabrication. Un projet qui n’est pas nouveau, lorsqu’on sait qu’il y a six ans, le marquage des produits brassicoles, autrement dénommé codage en encre sur les capsules, annoncé par le ministère des Finances (Minfi), a suscité des appréhensions de la part des industries brassicoles connues dans ce segment au Cameroun, à savoir Guinness Cameroun S.A, la Société anonyme des Boissons du Cameroun (Sabc) et l’Union camerounaise de brasseries (Ucb).
Les mêmes appréhensions ont été enregistrées en fin 2021. Le problème se posait déjà sur l’efficacité et l’opportunité des solutions proposées par Sicpa, le partenaire suisse retenu par les pouvoirs publics pour la réalisation de ce projet. Sur le plan financier, malgré l’inflation, le prix des produits de bière, sans y inclure les taxes, est curieusement resté constant depuis plus de 10 ans, en prenant en compte l’augmentation survenue en 2015 du fait du droit d’accises.
Dans le même temps, en 2021, ces analystes indiquaient que la pression fiscale sur l’industrie brassicole a augmenté de 100% en trois ans, allant de 28% à 55% du chiffre d’affaires incluant toutes les taxes. Cela paraît étouffant. Entre temps, la fraude aux frontières a doublé depuis 2017, pour atteindre 300 000 hectolitres en 2021 en provenance des pays voisins tels que le Nigeria et la Guinée Equatoriale. Parallèlement, le pouvoir d’achat c’està-dire le volume de bière par habitant a baissé de près de -5%. Cette tendance baissière persiste jusqu’à présent, à cause de la crise sociopolitique qui continue de sévir dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
A en croire nos sources, « la contribution fiscale sur les produits de bière est passée de 175 milliards Fcfa en 2012 à 294 milliards Fcfa en 2016. Ce qui représente 119 milliards Fcfa de plus en cinq ans ». Il faut reconnaître que cette augmentation a fait passer d’un prix accessible de bière de 500 Fcfa la bouteille à 600 voire 700 Fcfa. L’autre image triste, c’est que la rentabilité de ces entreprises a chuté de 60% en l’espace de 4 ans pour se situer en 2021 à 4% de rentabilité nette. Quant à l’aspect technique, les mêmes analystes reconnaissent que ce codage « n’apportera aucune valeur ajoutée ».
Au contraire, poursuiventils, « cette mesure ne créera que plus de complexité au niveau des chaînes, engendrera des interruptions de production et des coûts de fabrication supplémentaire ».
Redondance
La raison, c’est que les produits mis à la disposition des consommateurs sont identifiés comme produits fabriqués au Cameroun, avec une étiquette certifiée par l’Agence des normes et de la qualité (Anor). En plus, l’application d’un code encré de date sur chacune des bouteilles permet d’avoir une idée assez précise du lieu, de la date et de l’heure de l’emballage du produit sorti d’usine. On peut donc dire que les entreprises brassicoles possèdent déjà des « systèmes » de nature à faciliter une « traçabilité fiable des produits ».
Ces systèmes vont de l’acquisition des matières premières, renseigne-t-on, à la production et vente des produits finis. La fiabilité de ces systèmes est mondialement reconnue. A titre d’exemple, Guinness Cameroun a fait recours au logiciel SAP. A côté, la Sabc et l’Ucb sont dotées, respectivement de l’ERP ou Lawson M3 et de SAGE X3. Il faut alors pouvoir éviter la redondance. Du point de vue économique, les entreprises ciblées contribuent significativement à la réalisation du Produit intérieur brut (Pib), de par même l’utilisation des matières premières et consommables locaux tels que le sucre, le maïs, les bouteilles, les étiquettes, les palettes, les casiers, le sorgho et autres.
Il y a aussi la sous-traitance du secteur des transports, de la distribution et technique. Les 12 usines que compte l’industrie brassicole au Cameroun emploient directement ou indirectement 10 000 personnes. L’activité menée s’exprime en termes de 22 000 commerces, 400 grossistes et fait vivre près de 20 000 paysans et 300 Petites et moyennes entreprises (Pme).
Dans ces conditions, envisager un marquage fiscal à la charge des entreprises brassicoles serait en rajouter à leur fardeau. Au cas où les pouvoirs publics font la sourde oreille, on pourrait imaginer des lendemains désastreux au sein de ces entreprises et même chez les consommateurs qui commencent déjà à redouter une éventuelle augmentation du prix de la bière.