Épluchures, épis de maïs, résidus de canne à sucre et de pulpe de café, débris de manioc et de rotin... Les déchets végétaux jetés dans les rues et les marchés de Douala, capitale économique du Cameroun, ont désormais une seconde vie: ils sont transformés en charbon.
Des étudiants-entrepreneurs ont lancé en juillet 2014 Kemit Ecology, une société spécialisée dans les économies vertes, qui récupère ces déchets.
"C'est une démarche et une solution écologiques. La collecte contribue tout d'abord à assainir l'environnement, avant même de servir comme nouveau combustible", juge son promoteur, Muller Tenkeu Nandou, qui est aussi chercheur en "économie verte" et spécialiste des énergies renouvelables au sein de l'université de Douala.
"Du point de vue environnemental, ce charbon bio ne produit que peu de gaz à effet de serre et presque pas de fumée. En toute hypothèse, il pollue deux fois moins", précise M. Tenkeu.
Le processus de transformation est relativement simple. Les résidus collectés sont d'abord séchés à 105°C, puis carbonisés dans un four. Les cendres noires ainsi obtenues sont ensuite associées à de l'eau et à une matière à base de kaolin afin d'obtenir des sortes de morceaux de charbon, qui seront conditionnés et vendus dans des sacs de 1 à 40 kg.
Sans être inoffensif, ce charbon bio semble en effet dégager deux fois moins de gaz polluants que le charbon classique, confirme un environnementaliste, Didier Yimkoua.
Or au Cameroun, la demande en charbon est forte. Les ménages utilisent certes le gaz ou encore le pétrole lampant, mais "l'exploitation du bois de chauffage reste la principale source d'énergie dans les cuisines des ménages camerounais", souligne M. Yimkoua.
- Sauver la mangrove -
"Les statistiques ne sont pas officielles mais il est admis que 90% des gens (ménages) y recourent pour cuire ou sécher les aliments", dit-il.
Voire pour repasser du linge. Des milliers de commerçantes l'utilisent aussi pour braiser ou fumer poisson et poulet, et pour cuire de la banane plantain.
A la date du mois de janvier 2015, le ministère des Eaux et forêts avait accordé des autorisations à des entrepreneurs privés pour transformer environ 1.500 tonnes de bois vert en charbon.
Kemit Ecology estime à 90 tonnes la consommation mensuelle de charbon rien qu'à Douala.
Mais alors que le charbon utilisé dans les villes est essentiellement produit à base de bois coupé dans la forêt - à Douala, certains habitants coupent depuis des années les palétuviers de la mangrove pour fumer le poisson -, le projet de Kemit Ecology a l'avantage de préserver la nature puisque sa production ne passe que par le recyclage de déchets, relève M. Yimkoua.
L'idée de mettre au point un charbon bio produit à partir de déchets est précisément née du constat de la destruction de cette mangrove, vitale pour l'équilibre écologique de la zone de Douala, explique le promoteur M. Tenkeu.
Pour collecter la matière première dans les rues, ses collaborateurs Cédric et Alphonse utilisent un tricycle (moto à trois roues).
Outre son aspect écologique, cette activité présente l'avantage de débarrasser Douala d'une partie de ses déchets, mais aussi de permettre aux nombreuses vendeuses de fruits et légumes d'économiser les frais de ramassage d'ordures.
- Plus efficace et moins cher -
Autre atout, affirme M. Tenkeu, le charbon bio est moins coûteux que le charbon de bois: "Pour un kilo de charbon de bois, il faut débourser 600 FCFA (0,91 euro) en moyenne à Douala. Le nôtre coûte 500 FCFA (0,72 euro)."
Une différence de prix qui semble modeste, mais M. Tenkeu ajoute que ce charbon bio est bien plus efficace: "Avec un kilo de charbon de bois, on peut faire cuire deux repas" tandis que la même quantité de charbon bio permet "la cuisson de trois à cinq repas, et plus encore avec des foyers améliorés".
Martielle Tchouffa, une cuisinière, est enthousiaste. "Je préfère ce charbon écologique parce que c'est un très bon charbon: c'est économique, cela ne fume pas, ça chauffe très bien et ça cuit bien les aliments", dit-elle.
Le coût du charbon bio pourrait même baisser si la production venait à augmenter, assure M. Tenkeu.
La capacité actuelle de production de Kemit Ecology est d'une tonne par mois, mais l'entreprise espère la multiplier par 20 si elle trouve les financements nécessaires.
La jeune structure reçoit en effet de plus en plus de grosses commandes - dont celle d'une grande surface - mais a du mal à les honorer en raison d'un manque de ressources financières et d'équipements.
Kemit Ecology espère se développer rapidement et devenir rentable à court terme. En attendant, M. Tenkeu et ses collaborateurs poursuivent en parallèle leurs recherches universitaires, dans l'intérêt même de leur entreprise commerciale.