Politique actionnariale de l'État : gros scandale dans le processus d'attribution du marché

Des irrégularités graves se révèlent dans le processus d'attribution d'un marché

Mon, 24 Jul 2023 Source: Le Messager n°8086

C’est une affaire grave qui secoue actuellement le Cameroun suite à l'attribution d'un marché public visant à recruter un consultant chargé de l'élaboration de la politique actionnariale de l'État. Le groupement Bekolo & Partners-Ledcoop a été retenu comme attributaire du marché, mais de nombreuses sources révèlent que ce choix est entaché de multiples irrégularités concernant le processus de notation et la transparence de l'évaluation technique des offres. En effet, sous la pression des bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international (FMI), l’État du Cameroun a décidé d’engager une démarche de correction de sa gouvernance des établissements et entreprises publics (EEP).

Comme exigence, le FMI a par exemple demandé au Cameroun de conduire des missions de diagnostic auprès de certains établissements et entreprises publics. C’est ainsi que la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR), entité sous-tutelle du ministère des Finances, va lancer un avis de sollicitation à manifestation d’intérêt le 26 juin 2022, en vue du recrutement d’un consultant pour l’élaboration de la politique actionnariale de l’Etat du Cameroun. Le 10 août 2022, le président de la Commission technique, Zang Martial Valery, signe un communiqué dans lequel il déclare que l’avis de sollicitation à manifestation d’intérêt du 26 juin 2022 en vue du recrutement d’un consultant pour l’élaboration de la politique actionnariale de l’Etat du Cameroun, « a été déclaré infructueux en raison de l’insuffisance du nombre de candidats exigés pour un appel d’offre restreint ».

Le 16 janvier 2023, un appel d’offres international est ouvert en vue du recrutement d’un consultant pour l’élaboration de la politique actionnariale de l’Etat du Cameroun « en procédure d’urgence ». Le 19 juin 2023, Zang Martial Valéry, Président de la Commission Technique de Réhabilitation des EEP publie les résultats de cet appel d'offres international, notamment l'attribution. Ces résultats renseignent que le groupement Bekolo & Partners-Ledcoop a été retenu comme attributaire du marché à la consultation évoquée plus haut, avec une note globale de 83,2/100.

Le groupement Bekolo & Partners-Ledcoop a donc trois mois pour élaborer la politique actionnariale de l’Etat du Cameroun, pour un montant de près de 400 millions de FCFA. Flou sur les notes techniques Sauf que, renseigne une source proche du dossier, les candidats en lice ont été informés des résultats du dépouillement de l'appel d'offres le 19 juin 2023, par le biais du journal des marchés publics de l'Agence de régulation des marchés publics (ARMP), publié sur son site internet.

Aussi, les notes techniques des candidats n'ont pas été communiquées de manière transparente, ce qui a entravé la possibilité d'une contestation éclairée, semblant ainsi bloquer toute prise de recours des soumissionnaires. De plus, il est à noter que l'article 174(2) du Code des marchés publics, qui stipule que les soumissionnaires doivent être informés des résultats de l'analyse technique avant l'ouverture des offres financières, n'a pas été respecté. Dans le cas présent, seuls les résultats concernant l'attribution du marché ont été publiés, faisant mention « au passage » des notes techniques des concurrents. Cette irrégularité a privé les soumissionnaires de la possibilité de contester les notes techniques qui leur ont été attribuées.

Une autre incongruité réside dans le fait que le groupement Bekolo & Partners/Ledcoop n'a pas produit d'offre financière témoin lors de la séance d'ouverture des offres, en violation de l'article 92(8) du Code des marchés publics. Cette disposition précise clairement que, dans le cas d'offres ouvertes en deux temps, une offre financière témoin doit être transmise à l'organisme chargé de la régulation des marchés publics pour conservation. Cette omission a privé les parties prenantes de la possibilité de vérifier la pertinence des références produites par les différents candidats.

Violation du Code des marchés publics

L'accumulation de toutes ces irrégularités, qui représentent des violations flagrantes du Code des marchés publics, soulève des préoccupations légitimes quant à l'intégrité du processus d'attribution. D’ailleurs, renseignent nos sources, le groupement Finactu International/UHY BBI advisory & Audit, l’un des soumissionnaires à cet appel d’offres, a introduit un recours auprès du Comité chargé de l’examen des recours en contestation des résultats de l’évaluation des offres techniques y relatives.

Et dans une récente lettre adressée au ministre des Finances, et exclusivement consultée par le reporter du Messager, le Directeur général de l’ARMP sollicite le Minfi afin qu’il prenne des mesures à l’effet de surseoir à toute action sur la procédure querellée conformément aux dispositions de l’article 189(i) du Code de marchés publics, en attendant l’aboutissement des investigations et la décision de l’autorité chargé des marchés publics.

En clair, il est demandé une réexamination des offres pour s'assurer de la transparence et de l'équité dans ce processus. Il faut relever que le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, a procédé au lancement officiel de cette mission le 18 juillet dernier, présentant les articulations des travaux qui se dégagent de cette expertise attendue. « Il est crucial d'établir l'authenticité des références fournies par les candidats et de s'assurer de leur pertinence par rapport à la mission en question. Ce réexamen approfondi et indépendant est essentiel pour rétablir la confiance dans l'administration des marchés publics et garantir un processus d'attribution équitable et transparent », soutient un universitaire, spécialiste des questions de gouvernance publique.

En somme, la révélation de ce scandale met en évidence l'importance cruciale du respect des règles de transparence, d'équité et d'intégrité dans les procédures d'appel d'offres. Il s’avère donc impératif que des mesures rigoureuses soient prises par les autorités compétentes pour garantir un processus d'attribution juste, fiable et transparent dans l'intérêt de la bonne gouvernance.

Source: Le Messager n°8086