« La crise pétrolière qui sévit en ce moment est une crise de surproduction. La quantité de pétrole produite est supérieure à la demande mondiale ».
Agrégé des sciences économiques et enseignant à l’Université de Yaoundé II –Soa, l’universitaire apporte des éclairages sur la crise pétrolière qui ébranle la planète depuis 2016.
Professeur quelles sont les causes lointaines de la crise pétrolière qui sévit en ce moment ?
La crise pétrolière qui sévit en ce moment est une crise de surproduction. La quantité de pétrole produite est supérieure à la demande mondiale. Le marché de pétrole est un marché contrôlé. Sur ce marché, un ensemble de producteurs agissent de manière coordonnée (que cette coordination fasse l’objet d’un accord explicite, ce qui est interdit par les réglementations de la concurrence dans la plupart des pays du monde, ou d’un accord implicite), ils peuvent en certaines circonstances « contrôler » l’évolution des prix du marché en réduisant leur production quand la demande faiblit. Au bénéfice par rapport à la situation de guerre des prix, non seulement d’eux-mêmes, mais de tous les producteurs.
Le groupe de contrôle peut ne fixer qu’un plancher de prix, qu’il contrôle en réduisant sa production quand la demande fléchit. Mais il ne s’oppose pas aux fortes hausses de pris, desfly up ni ne cherche à empêcher la rechute, sauf quand on s’approche du plancher. Pendant les fly up et leur descente, il n’agit plus sur les prix, le marché devient compétitif. Les prix peuvent fluctuer amplement dans ce régime s’il ya de brusques fluctuations de le demande ou de l’offre de la frange.
Cette stratégie peut être intéressante pour les détenteurs de réserves à très bas coût ayant crée, par contrôle de l’accès à ces réserves, des rentes différentielles importantes et voulant réduire les entrées à un prix élevé. C’est le cas du marché du Brent aujourd’hui. En 1986, l’Arabie saoudite décide, en réduisant sa production, de ne plus soutenir le prix élevé atteint lors du flyup, en 1980, dû à la guerre Iran-Irak.
Les prix chutent, puis sont stabilisés à un niveau qui fait par la suite de nouveau consensus au sein des cinq pays producteurs du Moyen-Orient autour de 20 dollars. Puis ils laissent se produire le fly up de 2006-2007 ; depuis, le prix est assez instable, car le nouvel objectif qui semble faire consensus autour de 100 dollars le baril, s’est fortement approché du prix des substituts, les XTL.
Apartir de l’été 2014, l’Arabie saoudite laisse filer le prix de marché sous l’effet d’une surproduction due au développement rapide du pétrole de roche-mère (light tightoil) aux Etats unis.
Quelques-uns pointent un doigt accusateur sur l’administration Obama, qu’en pensez-vous ?
Assurément, la politique énergétique des États-Unis sous la présidence Obama aura été marquée par deux objectifs principaux : 1- L’indépendance énergétique du pays. 2- La réduction des gaz à effet de serre.
Le deuxième mandat d’Obama s’est axé sur l’utilisation desénergies fossiles non conventionnelles avec pour objectif une reconquête de l’indépendance énergétique des États-Unis. En 2014, la production de 12,34 Mb/j a permis aux États-Unis de devenir les premiers producteurs mondiaux de pétrole (autonomie visée en 2030).
Sinon l’accord passé par cette administration avec l’Iran sous la houlette de l’Onu ne serait-elle pas à l’origine de la chute des coûts du pétrole ?
Par ailleurs, l’accord intervenu entre l’Iran et les grandes puissances occidentales sur le dossier nucléaire a automatiquement eu des répercussions sur le marché mondial des hydrocarbures.
Déjà l’offre est supérieure à la demande sur le marché pétrolier. Certains pays veulent augmenter leurs exportations quand les besoins pourraient plafonner. L’accord était déjà intégré dans les cours du baril.
La signature de l’accord était en quelque sorte anticipée par les marchés. En revanche, la levée des sanctions économiques contre Téhéran à partir de début 2016 s’est traduit par une augmentation des exportations de pétrole iranien.
C’est ce qui explique qu’aujourd’hui et compte tenu de la montée en puissance de la production de pétrole non conventionnel aux Etats-Unis, l’offre sur le marché mondial soit à ce point excédentaire, tirant les prix vers le bas.
Que peut faire l’actuel locataire du oval office pour inverser la tendance au bénéfice de son allié saoudien ? Au demeurant, cette situation ne profite t’elle pas au premier chef aux États-Unis et à leurs amis occidentaux ?
L’Arabie saoudite, traditionnel allié des Etats-Unis dans la région, n’a pas apprécié l’activisme de Washington pour parvenir à un accord avec Téhéran, et Riyad ne ménagera pas non plus les Etats-Unis qui, en l’occurrence, n’ont pas tenu compte des intérêts de l’Arabie saoudite.
Ça sera une équation difficile à résoudre pour le nouveau locataire du Oval Office, mais je pense qu’avec la diplomatie, ce problème pourra se résoudre. Sur un tout autre plan, la situation profite non seulement aux états unis et les occidentaux mais également aux exportateurs nets des hydrocarbures.
Quelle incidence cette chute des prix des matières premières peut avoir à long terme sur les économies des pays africains et asiatiques ?
Beaucoup de pays africains et asiatiques sont exportateurs d’hydrocarbures, du fait des progrès d’exploration notamment offshore, de la fiscalité attractive, de la stratégie de diversification des risques de la part des puissances et des firmes, d’une compétitivité mondialisée de la part des groupes pétroliers des pays occidentaux et des majors.
Les hydrocarbures représentent dans de nombreux pays pétroliers une part très élevée du PIB, des recettes d’exportation et des recettes budgétaires. Les économies pétrolières peu diversifiées sont évidemment fortement impactées. Au niveau macro-économique , la baisse des prix a des effets récessifs dans les pays membres de l’association des producteurs (APPA) exportateurs nets d’hydrocarbures notamment la chute des devises, des recettes fiscales, le ralentissement des investissements et des projets de diversification, le ré-endettement, l’ajustement du budget élaboré sur un prix deux fois supérieur et des effets expansionnistes plus modérés dans les autres pays importateurs nets.
La décision des pays de l’OPEP de réduire significativement la production pétrolière peut-elle obtenir les résultats escomptés ?
L’OPEP est une organisation qui fournit toujours plus du tiers du pétrole mondial. Une baise de sa production devrait en principe diminuer l’offre sur le marché pétrolier et par conséquent entrainer une évolution haussière des prix. Malheureusement à l’état actuel des choses, cette option n’est pas envisageable. La levée des sanctions économiques contre Téhéran n’avait pas plu à Riyad.
Le royaume wahhabite d’Arabie saoudite n’a aucune raison de laisser ses parts de marché se réduire au profit de son adversaire chiite, pourtant partenaire. Le bras de fer entre Riyad et Téhéran est toujours aussi tendu, chacun voulant élargir sa zone d’influence au Moyen-Orient et considérant l’autre comme son principal rival.
Même si la géopolitique reste écartée des discussions de l’OPEP, la solidarité qui a fait la force de l’organisation a des limites. Dans ces conditions, il n’est pas question pour l’Arabie saoudite de réduire sa production d’or noir.