Le fils de Fati Usman est allongé sur un lit d'hôpital, dans le nord-est du Nigeria, il semble presque sans vie.
Il a du mal à respirer et son visage s'est très émacié. Une mouche se pose sur sa joue décharnée.
D'après sa taille, on pourrait penser qu'il a environ deux ans. Mais sa mère dit qu'il a en réalité cinq ans.
Il fait partie des millions de personnes touchées par la crise humanitaire de masse provoquée par l'insurrection islamiste dans le nord-est du Nigeria, où les familles ont désespérément besoin de nourriture et de soins médicaux.
Selon les travailleurs humanitaires, la faim, dans cette partie du Nigeria, est due à la diminution des fonds disponibles, car le gouvernement nigérian dépend du soutien des agences d'aide et des Nations unies, qui se concentrent davantage sur les crises en Ukraine et ailleurs.
Les camps d'accueil des personnes déplacées à l'intérieur du pays sont le dernier recours pour des millions de Nigérians vulnérables. Pourtant, l'État de Borno, l'un des plus touchés, a décidé de fermer tous ces camps l'année dernière, les qualifiant de bidonvilles et versant 200 dollars (175 livres sterling) à chaque famille contrainte de partir.
Et lorsqu'il s'agit du financement du gouvernement dans le nord-est, la crise de la malnutrition vient en deuxième position après la lutte contre les insurgés de la région.
Les travailleurs humanitaires prévoient qu'environ 1,74 million d'enfants de moins de cinq ans pourraient souffrir de malnutrition aiguë dans le nord-est du Nigeria en 2022 - une augmentation de 20 % par rapport à l'année précédente - et que 5 000 d'entre eux pourraient mourir au cours des deux prochains mois.
Comme sa santé se détériorait, elle l'a emmené d'urgence à l'hôpital de Damaturu, la principale ville de l'État de Yobe, dans le nord-est du Nigeria.
"Je l'ai amené ici il y a deux jours", dit-elle. Cinq de ses enfants étaient déjà morts avant cette crise - il est l'un des quatre qui sont encore en vie.
Cette mère de 34 ans est épuisée et traumatisée. Elle a fui les attaques menées par le groupe islamiste Boko Haram dans la petite ville de Maino, à Yobe, et s'est installée, depuis cinq ans, dans un camp de personnes déplacées à l'intérieur du pays.
"Nous ne pouvions même pas prendre nos affaires, pas même de la nourriture", raconte Mme Usman.
La malnutrition s'est aggravée à la suite d'épidémies de maladies, dont le choléra, et de l'impossibilité de cultiver la terre à cause des attaques menées par Boko Haram.
Le mari de Fati Usman travaille comme guide religieux musulman, mais il ne vit pas avec la famille.
L'épouse tente de gagner sa vie en aidant parfois des voisins à coudre leurs vêtements déchirés en échange de nourriture. Mais les voisins sont également victimes de l'insurrection et ont fui leurs maisons, dépendant principalement de l'aide des agences humanitaires et du gouvernement.
Il n'y a pas assez de nourriture et beaucoup d'enfants tombent malades.
"C'est l'épicentre, donc la plupart des cas qui arrivent ici sont graves", explique à la BBC le docteur Japhet Udokwu, coordinateur du centre de traitement pour enfants souffrant de malnutrition sévère à Damaturu.
Comme de nombreux médecins et humanitaires, il craint une catastrophe.
Selon lui, certaines familles ont parcouru plus de 100 km depuis des communautés éloignées où il n'y avait pas d'accès aux soins médicaux. Beaucoup d'entre elles vivaient dans des camps destinés aux personnes déplacées, dans la capitale de l'État de Borno, Maiduguri. Ces familles ne pouvant plus nourrir leurs enfants, car elles ne peuvent pas cultiver par crainte des attaques.
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Là-bas, Fatima Bukar, âgée de 25 ans, raconte qu'elle a perdu trois enfants à cause de la malnutrition et qu'elle a marché 30 km, portant ses deux enfants restants jusqu'au camp.
Les enfants font partie des 22 patients d'une salle de 16 lits du centre de santé de Bama.
Sa fille de quatre ans, allongée sur le côté, les joues gonflées, pleure par intermittence lorsque sa mère se tourne pour s'occuper de l'enfant d'un an, à l'aspect émacié, qu'elle tient dans ses bras.
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Depuis sa prise de fonctions en 2015, le gouvernement de Muhammadu Buhari, le président du Nigeria, a promis à plusieurs reprises de s'attaquer à la catastrophe sécuritaire et humanitaire, mais il a largement échoué.
Pourtant, il défend son bilan en affirmant avoir remporté des succès importants dans la lutte contre les militants islamistes, notamment la reddition volontaire de milliers de militants dans le nord-est.
Cela ne rassure guère les communautés qui ont été dévastées dans cette région.
Fati Usman dit craindre que le pire soit encore à venir.
"Depuis que notre village a été attaqué, nous avons vécu de nombreuses tragédies. Nos enfants meurent de maladies et cela risque de continuer si l'on n'intervient pas pour sauver nos vies", dit-elle.