Kapet de Bana était une encyclopédie faite homme. Il ne s’est pas contenté de raconter, de témoigner ou d’entretenir la flamme d’une citoyenneté africaine insurrectionnelle face aux dictatures. Il a aussi passé le témoin en inspirant, tel un sage laboureur à ses enfants, la création de la Fondation Moumié et du CODE dont nous connaissons le combat aux côtés de l’Afrique des peuples épris de liberté.
Très souvent les hommages se confondent à des biographies de ceux qui nous précèdent dans l’au-delà. Une telle pratique, malgré toute sa pertinence dans des circonstances douloureuses, est complètement impossible aux lendemains de la disparition du Professeur Kapet de Bana.
En effet, aucune liturgie n’aurait assez de force spirituelle pour contenir la force de son esprit panafricaniste, aucun texte assez de mots pour relater la puissance de ses discours, aucun discours assez d’éloges pour souligner sa grandeur, aucun livre assez de pages pour rendre compte des ses expériences politiques et aucun dictionnaire assez de connaissances pour retracer son vécu des luttes africaines de libération.
Eviter de tenter l’impossible est donc ce qui explique notre choix de faire un simple témoignage sur cette figure dont les yeux viennent de se fermer ici bas pour mieux s’ouvrir ailleurs, dans d’autres formes de vie de l’esprit et de la matière. Pleurer et regretter quelqu’un c’est penser à sa vie car la mort en fait partie. C’est revivre certaines articulations marquantes d’une rencontre. C’est dialoguer avec quelques souvenirs de son esprit qui vit toujours en nous et autour de lui. C’est penser à ses précieux conseils.
Notre rencontre avec Kapet de Bana a été la découverte d’un panafricaniste dans l’être et le paraître, d’un père défenseur infatigable de l’Afrique, d’un patriarche témoin vivant des mémoires africaines de lutte de libération, d’un combattant passeur du témoin du combat à la jeunesse africaine et d’une encyclopédie faite homme.
* Kapet de Bana, un panafricaniste dans l’être et le paraître
La noblesse bien africaine de Kapet de Bana n’était pas seulement une affaire de nom à particules. Il n’était pas tous les Kapet qui existent au Cameroun, mais celui de Bana. Dire l’Afrique et vivre l’Afrique n’étaient pas pour lui seulement de l’affichage médiatique. Ce n’était pas un panafricaniste de circonstance qui s’empresse de s’habiller africain pour les cameras et les chaînes de télévision en faisant ainsi du vêtir africain une pratique épisodique parce que sans constance et non naturelle.
Kapet de Bana n’avait pas besoin de l’être car partout où nous avions eu le privilège de le concentrer, ses vêtements authentiquement africains sortaient de l’ordinaire et marquaient la rupture avec le commun des mortels : c’était une seconde nature chez lui, pas un artifice de commerce politique.
Personne au monde ne portait aussi bien, aussi beau et aussi juste le boubou africain que la stature forte et grande du Professeur Kapet de Bana. Aucun individu n’avait un crâne taillé sur mesure pour une chéchia ou autre chapeau traditionnel africain que le Professeur Kapet de Bana. Personne au monde ne respirait autant le panafricanisme de la tête aux pieds, dans les discours, son être et son paraître que Kapet.
Le Professeur Kapet de Bana installait l’Afrique dans un colloque ou une conférence uniquement par son paraître. Et quand enfin il prenait la parole, l’Afrique que ceux qui ne le connaissaient pas avaient devinée via ses vêtements se mettait debout au centre de la salle. Elle devenait immédiatement un astre vivant au centre du monde. Un astre prêt à illuminer la terre de toutes ses couleurs d’espoir et de toute sa force de berceau de l’humanité. Kapet de Bana était l’Afrique debout et fière de son authenticité.
* Kapet de Bana, un infatigable défenseur de l’Afrique
Comment Kapet de Bana aurait-il pu incarner l’Afrique debout s’il ne l’avait défendue toute sa vie ? Comment aurait-il pu aujourd’hui nous lancer le défi de continuer s’il n’avait lui-même fait de cette fonction le but de sa vie ? Comment aurait-il pu incarner l’Afrique qui parle, la parole de l’Afrique si aucune salive de sa bouche n’avait dit la douleur et l’injustice d’un continent qui réclamait que justice lui soit rendue ?
Il faut le dire, il faut le crier, il faut s’en souvenir, Kapet de Bana a été un infatigable défenseur du continent noir. Jamais la force ne lui a manqué pour le faire, jamais un mot n’a été censuré pour dire les maux qui minent l’Afrique, jamais une énergie n’a été ménagée pour arpenter conférences, colloques, réunions, institutions internationales et médias pour raconter l’Afrique africaine, relier l’Afrique au monde de façon problématique, exalter ce que ce continent a donné au monde et revendiquer ce qu’il attend de lui. Le discours haut et fort, le verbe accusateur des affreux et l’expression châtiée lui ont permis de peindre l’Afrique dans tous ses contours. Kapet de Bana l’a fait de manière critique, brillantissime et talentueuse.
Il l’a fait avec conviction et de façon non partisane. Il n’a pas enjolivé l’histoire africaine pour faire jouer les beaux rôles au continent et à ses fils. Il a toujours fait la part des choses en exaltant tous les mérites des héros africains mais aussi en pointant leurs travers et dérives dans la dictature dans certaines phases de leur trajectoire. Cela porte un nom, aimer l’Afrique car qui aime bien châtie bien.
Un panafricanisme qui refait l’histoire pour effacer le mal fait à ce projet par certains de ses leaders n’est pas au service de l’Afrique. Kapet de Bana a sans cesse veillé à mettre le doigt où il faut pour extirper le mal intra-africain. Il l’a fait avec autant de rigueur et de détermination que pour dénoncer le mal infligé au continent par l’Occident.
* Kapet de Bana, un patriarche témoin des mémoires africaines de lutte et passeur de témoin aux jeunes générations
Beaucoup d’hommes-ressources sont égoïstes car avares de conseils, d’anecdotes et de paroles pour partager de leur sagesse et de leur savoir sur l’Afrique des luttes pour la liberté. Kapet de Bana a été leur antithèse car il partageait son expérience sans réserve, avec sincérité et bienveillance. Il racontait l’Afrique en lutte avec précision, détermination, références, joie et passion. Il était si content de transmettre
le témoin aux jeunes générations qu’aucune de ses conférences ne durait moins deux heures de temps. C’était un puits sans fond des mémoires de luttes africaines pour la liberté. Kapet de Bana est à comparer à « griot africain » des luttes de liberté, à « un joueur de Mvet africain » car il a sans cesse scandé, mis en forme politique et poétisé l’épopée du combat de son continent pour la liberté. Une épopée sans fin car les discours et les témoignages de Kapet de Bana n’avaient pas de fin car le combat et les luttes pour une Afrique libre n’ont pas de fin. Tel un joueur de Mvet, chaque épisode avait une suite et était à suivre car l’Afrique est éternelle et l’était dans sa bouche.
Kapet de Bana ne s’est pas contenté de raconter, de témoigner ou d’entretenir la flamme d’une citoyenneté africaine insurrectionnelle. Il a aussi passé le témoin en inspirant, tel un sage laboureur à ses enfants, la création de la Fondation Moumié et du CODE dont nous connaissons le combat aux côtés de l’Afrique des peuples épris de liberté.
Encore une fois il a fait ce travail avec classe et hauteur car il n’a revendiqué aucun poste au sein de la Fondation Moumié mais a veillé à lui donner des racines et des ailes au service de sa pérennité. Le Pr. Kapet n’a pas seulement été un témoin talentueux, intarissable et généreux de la mémoire africaine des luttes de libération, mais aussi un passeur de témoin de cette mémoire de luttes aux jeunes générations engagées à construire une Afrique debout.
* Kapet de Bana, une encyclopédie faite homme
Le Professeur Kapet de Bana était un savant noir. Une encyclopédie ambulante, une bibliothèque à lui tout seul. Son savoir sur le monde et l’Afrique sociale et politique était immense, sa pédagogie décapante de clarté et de sincérité et sa stature épistémique véridique et critique.
Il a été une encyclopédie faite homme, ce que mérite la continent noir lorsqu’on ose parler de lui en sortant de la surface des choses pour s’attaquer aux racines des problèmes. L’encyclopédiste africain Kapet de Bana était donc une encyclopédie en lui-même, un homme-quid, un homme-méridien, un homme-repère, un homme-mémoire, un homme-monde qui cherchait à contaminer la jeunesse africaine de son savoir amoureux et engagé du continent africain.
En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle, disait Amadou Ampâté Bâ, grande figure de la littérature africaine. La disparition du Professeur Kapet de Bana est effectivement une bibliothèque qui brûle. Elle ne brûle cependant pas sans avoir fait des petits, sans avoir semé et implanté l’amour de l’Afrique dans de nombreux cœurs. Elle ne brûle pas en laissant derrière elle juste de la fumée noire pour mystifier les ignorants. Elle brûle en allant sous terre mais ceux qui la mettent sous terre seront aussi en train d’y enfouir toutes ses graines de la germination desquelles la bibliothèque Kapet de Bana ressuscitera via l’Afrique éternelle, l’Afrique des luttes de libération.
« Nous sommes ensembles ! »
Cette expression camerounaise pour souhaiter au Professeur Kapet de Bana de reposer en paix. A toi ce proverbe Mexicain : « ils nous ont mis sous terre en oubliant que nous étions des graines ! » Au moment où tu t’en vas en pleine crise migratoire, il n’y a pas meilleure conclusion à ce témoignage que ce conseil à moi donné par toi à la fin d’une conférence à l’Université catholique de Louvain sur les mouvements migratoires : « c’est pour vous les jeunes que je fais ce que je fais car c’est vous qui avez encore longtemps à vivre pour transformer l’Afrique. Toi tu as l’âge de mon enfant et tu as particulièrement le talent pour le faire ».