Dans cette presqu’île située dans la capitale économique du Cameroun les pêcheurs, armés de lances, filets, hameçons, se lèvent dès les premiers chants du coq et partent affronter le fleuve Wouri, à la recherche du poisson pour nourrir leur famille. Certains ne reviennent qu’en pleine nuit…
Un homme à bord d’une pirogue pagaie en s‘avançant vers le fleuve. Des oiseaux multicolores volent au-dessus de sa tête. Au milieu de l’eau qui s’étend à perte de vue, le vent matinal tente d’arracher son chapeau en pailles. De sa main gauche, le piroguier essaie de le maintenir. Il répète le geste à plusieurs reprises en vain et finit par l’enlever de sa main droite. Il avance et au passage, salue, large sourire aux lèvres, les hommes débout au bord de l’eau. Il continue son chemin.
« C’est un pêcheur. Il est sorti depuis les premières heures de l’aube », glisse Sonny Korubo en observant le pêcheur « solitaire » disparaître de leurs vues. Au campement, les hommes ne vivent que de la pêche. « Nous sommes tous des pêcheurs. Nous sommes ici depuis de nombreuses années », assure Sonny.
Ce dimanche matin à la pêcherie de Mbanga Pongo, à l’entrée Est de la ville de Douala, capitale économique du Cameroun, Lazare Ekwala revient justement des eaux troubles du Wouri. Sorti à 5 h, il retourne quatre heures plus tard. Son sourire traduit sa joie. Lazare a pêché des « machoirons ».
Dans le petit seau où il a déversé le fruit de sa pêche, les poissons sans écailles sautillent encore. « Ils sont très frais et vivants », vante-t-il aux hommes et femmes agglutinés au bord de l’eau. Le marchandage commence. Lazare ne semble pas du tout pressé d’écouler sa marchandise. Il est convaincu de la qualité de ses « machoirons » « pleins de chair ».
« Ce n’est qu’une partie de ma pêche. J’ai réservé l’autre pour la cuisson à la maison », dit-il. Une cliente est intéressée. Ils discutent et s’entendent finalement. Rien ne filtre sur le montant exact de la transaction. 10 000 F. Cfa par pêche Lazare n’est pas le seul pêcheur du campement de Mbanga-Pongo.
Ils sont plus d’une quinzaine qui, chaque matin pour certains et chaque soir pour d’autres, vont braver le fleuve Wouri, à la recherche des carpes noires, capitaines, saules, mulets, baragons… L’histoire de Sonny Korubo se résume à deux mots : la pêche. Ce fils de pêcheur, né au Nigéria il y a 61 ans, a appris à pêcher auprès de son père nigérian qui l’a amené au Cameroun, plus précisément au large de Youpwé.
A l’époque, le petit garçon regarde son géniteur pêcher et prend goût à la chose. A la mort de ce dernier, il finit par acheter sa propre pirogue et échoue au large de Mbanga-Pongo. « Je vis uniquement de la pêche aujourd’hui, lâche-t-il, en faisant un demi-cercle de sa main droite pour indiquer le fleuve en face de lui.
Il y a des jours où je vends des poissons jusqu’à 10 000 F. Cfa. » Pour mieux expliquer leur activité de pêcheurs, Sonny fait une comparaison : « lorsque le chasseur sort en pleine nuit pour aller chercher le gibier en brousse, il y a des jours où il en attrape plusieurs et d’autres pas.
C’est ainsi avec nous ». Parfois, nous apprend un autre pêcheur, ils peuvent faire plusieurs tours de pêche par semaine et gagner 15 000 ou 20 000 F. Cfa. « Tout dépend en fait de la qualité et de la grosseur du poisson. Si tu pêches de petits poissons, tu ne gagneras pas beaucoup d’argent », poursuit-il. Sonny confie que, l’essentiel pour eux est de pêcher au « moins » du poisson pour leur repas et rentrer sain et sauf. « Aucun de nous n’a jamais trouvé la mort dans l’eau. Nous avons parfois des petites collisions avec des pirogues à moteur, ce qui abime les nôtres. Malgré tout, nous allons toujours chercher nos poissons », ajoute Sonny.
En fait, tout dépend de la marée et de la saison. Si la marée est basse, la pêche a toutes les chances d’être bonne pour le pêcheur. Dans le cas contraire (en cas de marée haute), les poissons se font rares et les pêcheurs en souffrent.
« Je rentre souvent sans attraper un seul poisson dans mes filets », jure Sonny, la mine triste. Pas tous les jours en tout cas! Ce dimanche par exemple, il revient (il est sorti à 5 h) du fleuve où il a attrapé dans ses filets, assez de poisson pour le repas du jour. Ce père de huit enfants avoue souriant que la belle saison a débuté. Courbé au bord de l’eau, il nettoie sa cuvette de pêche qui est le récipient où il déverse ses poissons.
Normal, c’est la saison des pluies déjà et les pêcheurs de Mbanga- Pongo sont heureux. Sans gilets à la pêche à la lance Simon Alioum rit jusqu’aux oreilles. La veille (samedi), parti à la pêche à 13 h, il est retourné à 18 h avec « quatre gros machoirons et deux petits » qu’il a vendus (les quatre) à ses clients fidèles pour 9 000 F. Cfa. Le reste servira au repas de ce jour. « Contrairement à la saison sèche, en saison de pluies, l’eau n’est pas claire. Ce qui fait que, le poisson n’a pas la possibilité de s’enfuir car, il ne voit pas nos pièges », explique Simon.
Il est un pêcheur à la lance. Chasseur ou pêcheur ? « Je suis un pêcheur à la lance », insiste-t-il, de sa voix grave. Simon détaille d’un ton patient et le regard, comme celui de nombreux autres pêcheurs, fixé sur le fleuve : « j’utilise la lance comme celui du chasseur. Je vais au niveau des rochers et je cible des trous où des mâchoirons s’y cachent. Je me mets à les piquer jusqu’à les attraper ».
Difficile de visualiser ce type de pêche dans la tête. Simon Alioum nous propose alors un tour sur le fleuve, question pour nous de comprendre « sa pêche à la lance ». Il se prépare.
Il apprête la pirogue, la cuvette, les vêtements, sa pagaie, machettes et surtout sa lance. Tout est prêt. On embarque sur la pirogue, sans gilets de sauvetage. « On en a pas, s’étonne Simon à cette demande. Bon, on en a pas les moyens surtout ». Pas grave, on veut découvrir la pêche à la lance. Les deux autres pêcheurs qui accompagnent Simon poussent la pirogue et la voilà fendant les eaux du Wouri. « Je connais déjà les zones où il y a des rochers, poursuit Simon. J’ai pu identifier trois d’entre elles ».
Lorsque l’une des zones est atteinte, Simon jette l’ancre de sa pirogue. Il plonge par la suite, armé de sa lance. Il passe entre 50 secondes et une minute dans l’eau, le temps de piquer et de ressortir. « Je ne peux pas mettre long dans l’eau si non, je ne pourrai plus respirer. Je ressors pour prendre le souffle et je replonge », précise Simon Alioum, entre deux plongées. Depuis 2004, le jeune homme vit de la pêche.
A l’époque, raconte-t-il, il était venu à Mbanga-Pongo comme gardien des infrastructures de la communauté Bonapriso (village de Douala). « Nous ne sommes pas régulièrement payés. Comme je côtoyais des pêcheurs, je me suis intéressé à leur activité. J’ai appris et je suis devenu pêcheur », dit-il. Simon achète alors sa première pirogue en seconde main à 70 000 F et se lance. Au début, il pratique la pêche au filet. Mais, découvre la lance.
« Dès que je cible un trou où se cachent les machoirons, je suis sûr d’avoir au moins deux », assure-t-il. Deux à trois fois par semaine, il va à la pêche et ramène un peu de poisson qu’il revend pour nourrir sa femme et ses deux enfants. « Pollueurs et tueurs de poisson » Au large de la presqu’île de Mbanga Pongo, il n’y a pas que la pêche à la lance et au filet. Les pêcheurs pratiquent aussi la pêche à l’hameçon, à l’épervier et au barrage (on identifie une zone et on fait une barrière pour bloquer l’eau et retenir les poissons). Pour trouver du poisson, certaines personnes s’aventurent jusqu’aux îles de Manoka (15 km) et bien au-delà.
Face aux deux reporters, les pêcheurs confient un petit secret: « là-bas, il y a plus de poisson »
« Le poisson se fait rare parfois. Nous sommes obligés d’aller très loin pour trouver une petite quantité. C’est pourquoi, nous nous aventurons aussi loin », souffle Luc Pagal, pêcheur depuis 20 ans. Et cet éloignement de la rive de Mbanga-Pongo n’est pas sans conséquences. En effet, les pêcheurs rencontrent alors les « pollueurs et tueurs de poissons ». Soudain, la colère monte au campement pourtant bercé par les voix apaisées de ses occupants jusqu’ici.
« Ils versent des produits chimiques dans l’eau. Ces pêcheurs camerounais et nigérians versent des produits très dangereux sur le fleuve. Ces produits tuent les poissons qu’ils partent vendre à Youpwé », se désole Sonny. Les pêcheurs de Mbanga-Pongo ont alerté les autorités maritimes et forces de l’ordre de cette situation. En 2014, ils ont interpellé deux « pollueurs », la « main dans le sac ».
« Ils étaient en train de verser ces produits dans l’eau. Nous avons contacté les autorités qui les ont interpellés. Ils ont été relâchés quelques temps après », se souvient un pêcheur. Après cet incident, Luc Pagal, est arrêté un jour, en plein fleuve par certains « pollueurs ». « Ils m’ont ligoté et m’ont emmené dans leur campement. Ils m’ont correctement bastonné. C’est lorsqu’ils ont constaté que j’étais un vieux de 61 ans qu’ils ont cessé. Sans ma vieillesse, je serai mort à l’heure actuelle », croit-il. La pollution n’est pas l’unique difficulté de ces « pauvres » pêcheurs qui assurent que la pêche est leur seul « espoir ».
« Nous n’avons pas de travail. Nous n’avons pas d’argent. C’est la pêche qui nous nourrit », s’exclame Simon avant de reprendre : « nous n’avons pas d’électricité, ni de matériels de pêche comme les gilets, filets, hameçons ». Bien plus, les pirogues de plusieurs d’entre eux ont été dérobées par des « pêcheurs d’ailleurs ».
Ce pêcheur plonge dans les eaux, à la recherche des poissons avec sa lance. Une première!
Simon a perdu deux pirogues. Certains ne retrouvent plus le fruit de leur pêche gardé dans le congélateur commun du campement. « Nous avons interdit aux nouveaux pêcheurs de s’arrêter ici », martèle Luc, cigarette à la bouche. C’est déjà l’heure de la préparation. A 13 h, il ira affronter comme toujours, le fleuve, à la recherche de quoi nourrir sa famille. D’autres attendront 17h, 22 h ou 5 h du matin, pour partir solitaires, à la conquête des poissons pour leur survie.