Dans une tribune publiée il y a quelques heures, le cinéaste camerounais, Jean-Pierre Békolo décrit les relations des Camerounais avec l'argent. Comment ils gagnent de l'argent, comment certains se débrouillent en vivant de l'argent que leurs proches leurs donnent etc.
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"Il y a deux catégories de personnes qui vivent à Yaoundé. Ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas. Et dans ces deux catégories, il y a deux sous-catégories. Dans ceux qui ont de l'argent à Yaoundé, il y a ceux qui ont travaillé leur argent et ceux qui ont eu de l'argent sans vraiment travailler. Et dans la deuxième catégorie, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas l'argent, il y a ceux qui ont travaillé mais ça n'a pas donné et ceux qui sont fauchés sans même avoir essayé de travailler. S'il y a une autre chose à Yaoundé, c'est que les gens demandent de l'argent. "Dépanne-moi", "Trouve-moi quelque chose là", «c'est fort! ».
A Yaoundé, s'il y a des gens qui demandent de l'argent, il y a aussi des gens qui donnent l’argent. Les deuxièmes sont vite repérés par les premiers. C'est pourquoi vous voyez à Yaoundé beaucoup de gens dans les bureaux ou dans la rue, habillés en veste avec une sacoche, et qui vont voir si tel ou tel à tel poste n'a pas quelque chose pour eux. Quand le donateur n'a vraiment rien, c'est souvent un bon de carburant qui remplace l'argent.
Dans ce jeu de Monopoly de l'argent à Yaoundé, les gens qui attendent de l'argent attendent différentes sortes d'argent. On attend les salaires, c'est-à-dire les fonctionnaires et leurs familles, ça se passe le 26 du mois. Les embouteillages reprennent à Yaoundé, les voitures qui étaient garées à cause du manque d'essence sortent. On attend l'argent d'un 4/9 que nous suivons parfois depuis 6 mois. Quand il arrive, il nous permet de faire un petit investissement comme l'achat d'un terrain sur la route de Mfou. On attend l'argent d'un grand frère qui nous aide souvent quand il est bon. On va chercher l'argent d’un petit chantage que nous faisons à une autorité qui ne veut pas faire de vagues sur une affaire, ça c'est pour les journalistes. On attend l'argent de la tontine que nous recevrons à la réunion de dimanche, qui nous permettra d'acheter la pièce que le mécanicien nous demande pour remettre en route sa voiture « occasion d’Europe. » On attend dans la soirée l'argent d'un petit commerce que nous gérons... on espère que la journée a donné. Les argents de Yaoundé sont des argents qu’on attend, on te dit toujours qu’on attend un argent là… ou qu’on attend quelqu’un qui doit venir donner un argent…
Ça c'est pour ceux qui attendent quelque chose. Ceux qui n'attendent rien se contentent de parler des argents des autres. A Yaoundé, les gens sont définis par le poids de l'argent qu'ils ont, donc ils sont lourds ! Ou par la quantité d'argent qu'ils gèrent à tel ou tel poste. Quand vous demandez le chiffre exact, on vous dit que le type a un argent "laid" (mbe money - en Ewondo), c'est-à-dire que c'est de l'argent presque infini ! Incontournable ! Ceux qui n'ont pas d'argent adorent les histoires d'argent volé chez les notables de Yaoundé.
Toujours par milliards ! 8 milliards ont été volés dans la maison de telle ou telle personnalité ! Qui vous l'a dit ? C'est elle-même qui est allée porter plainte à la gendarmerie ! 8 milliards ça fait quoi dans la maison ? Comment on les transporte ? C'est quoi cet argent ? Celui qui garde 8 milliards chez lui ne mérite pas d'avoir un poste de responsabilité, pas tant parce qu'il vole, mais surtout parce qu'il n'a pas compris ce qu'est l'argent ! En effet, comme l'argent tombe à Yaoundé, il est normal que les gens ne comprennent pas sa vraie nature. Si vous regardez les gens de Yaoundé qui ont de l'argent, vous comprenez qu'eux et l'argent sont deux choses opposées.
A Yaoundé, l'argent surprend toujours ceux qui le reçoivent. Sauf que la surprise ne vient guère deux fois, ce qui élargit le nombre de ceux qui, dans le passé, ont eu de l'argent... Pourquoi pensez-vous qu'à Yaoundé, tout le monde écoute le journal radio de la Crtv à 17 heures ? Parce que c'est à ce moment-là que le décret tombe. Et qu'est-ce que le décret ? C'est la distribution de l'argent par le don man, basé à Yaoundé. Comment se fait-il que le nom des uns sorte et pas celui des autres ? Là ce sont les choses de Yaoundé!"