Rigueur dans la gestion, moralisation des comportements, changement dans la continuité de son illustre prédécesseur, le discours d’investiture du président Biya avait tout pour séduire. Il ne voulait pas de rupture « brutale » avec l’ancien système qu’il a lui – même contribué à bâtir. Voulait – il vraiment le changement ? Son propos se terminait par une conclusion qui fixait le camp d’un engagement patriotique : « je ne faillirai point à mes engagements ».
Seulement, dès le lendemain du prononcé desdits engagements, les fissures ont été signalées sur le mur qui allait construire le renouveau naissant. Deux camps opposés se sont formés. Le parti, à l’époque l’Union Nationale Camerounaise (Unc) ayant la prééminence sur l’Etat dans la hiérarchie du fonctionnement institutionnel.
M. François Sengat Kouoh, secrétaire du Bureau politique de l’Unc saisit la balle au bond et propose des «reformes». Mais celles - ci replacent les barons de l’ancien régime au coeur du nouveau système. Certains « jeunes » recrutés au sein de l’intelligentsia y sont introduits, mais beaucoup sont à la périphérie. Ceci au nom du « changement dans la continuité». Ils doivent apprendre auprès des anciens avant leur intégration véritable.
Georges Walter Ngango, professeur agrégé des sciences économiques et ancien camarade de Paul Biya depuis le séminaire s’y oppose. Il parle d’opérer un choix. Soit on s’engage dans le changement qui voudrait dire les hommes neufs, ou alors on reste dans le statu quo ante. Il prononce une phrase qui restera célèbre : « renouveau veut dire les hommes neufs. On ne met pas du vin nouveau dans des vielles Outres ». Une analogie aux Ecritures Saintes. Les anciens séminaristes ont bien lu la Bible. Sauf qu’ici, c’est le Cameroun qu’il faut gérer avec ses contradictions. On n’est plu à l’église.
Le président n’agit pas, il subit
Le promoteur du renouveau ne parvient pas à trancher. Quelle orientation choisir entre le camp Sengat Kouoh et celui de Georges Ngango ? Il laisse le temps gérer à sa place. Les contradictions se renforcent, le pays se bloque, le président ne dit rien, ne fait rien, il observe. Arrive alors le vrai ou imaginaire coup d’Etat du 20 Août 1983. On ne le saura peut – être jamais tant que les mêmes acteurs sont toujours en poste. Toujours est – il que Paul Biya affirme qu’on préparait son élimination physique au stade Ahmadou Ahidjo lors du match de football opposant le Canon de Yaoundé à l’Union de Douala comptant pour la finale de la coupe du Cameroun de football.
Il fait arrêter des gens qu’il amnistiera plus tard après leur condamnation à mort par le tribunal militaire de Yaoundé. Il fait passer par décret, sept provinces à dix (10). Les provinces de l’Extrême Nord, de l’Adamaoua et du Sud sont créées. Bello Bouba Maïgari démissionne de son poste de Premier ministre. Il est remplacé par Luc Ayang qui ne perd pas son éternel bail de président du Conseil économique et social. Il supprimera le poste de premier ministre début 1984 pour le ramener en avril 1991 en y nommant Sadou Hayatou.
Arrive alors le vrai coup d’Etat du 06 avril 1984. A la crise sociopolitique, s’ajoute la crise militaire. Les clans se forment au sein de la grande muette. Il s’en suit une épuration qui aggrave les clivages. Un malheur appelant un autre, la crise économique nous atteint en plein visage. Le non au Fonds monétaire international (Fmi) clamé par le président Biya en 1986 ne fait pas long feu. Le pays est complètement au sol. C’est dans ce climat qu’arrive « le vent d’Est ». Le multipartisme revient sans préparation aucune. On en est alors à sauver le Chef du naufrage. On en est là jusqu’à ce jour.
Or de nombreux observateurs, comme l’écrivain Mongo Béti, Abel Eyinga, Moukoko Priso, Georges Ngango, Woungly Massaga, Bakang ba Tonjé, Ruben Yayi Bayémi, etc…avaient demandé à «l’homme du 6 novembre 1982», de s’armer de courage en faisant le ménage. Rien n’en a été. A l’unanimité, ils avaient conclu que « le président n’agit pas, il subit ». Il avait pourtant toutes les cartes en main et bénéficiait du rejet total de Ahidjo par les populations camerounaises et la communauté internationale. Mais le président n’avait rien vu venir et nous sommes tombés dans le gouffre. Nous y sommes tellement enfoncés que l’espoir de nous en sortir s’effrite chaque jour qui passe.
Le Rdpc, simple appareil de rente
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), né le 24 mars 1985 sous les cendres de l’Union Nationale Camerounaise (Unc), n’a pas d’idéologie claire. Cela se justifie par le fait que Paul Biya n’a pas l’âme d’un militant. Son parcours politique au sein de l’Uc et de l’Unc le montre clairement. Il n’a jamais été élu au bureau politique. Même au dernier congrès dit de « la maîtrise » tenu en février 1980 à Bafoussam, il n’est ni membre du Comité Central encore moins du cercle très fermé de bureau politique.
C’est à la faveur de la démission de Ahmadou Ahidjo le 04 novembre 1982 qu’il est coopté au sein desdites instances décisionnelles du parti – Etat. Cela voudrait dire que, même lorsqu’il est nommé Premier ministre le 30 juin 1975, le programme économique, social et culturel qu’il présente aux députés en juillet, est confectionné par ses camarades dirigeants ; il ne fait que lire. L’Assemblée nationale d’alors étant considérée comme caisse de résonnance de parti.
Résultat des courses, il ne réunit pas les instances dirigeantes de son propre parti, n’ayant pas été moulé aux réalités des débats contradictoires entre militants. Il concocte un calendrier dont il garde secret le schéma qu’il modifie au gré de ses humeurs et émotions. Malgré ces handicaps, les militants se battent souvent aux couteaux pour y avoir des positions dominantes qui leur servent de passe – droit.
Relance économique, un échec
Le premier fait qui montre la faillite du renouveau dès son annonce est la non maîtrise par le nouveau président, des réalités qui lient la politique à l’économie dans le système du parti – Etat de l’époque. Les expressions « rigueur dans la gestion », «moralisation des comportements» sont des termes utilisés par Ahmadou Ahidjo dans son discours de politique générale au cours du 3ième congrès tenu à Bafoussam en 1980. «Le Grand camarade» dénonce l’affairisme, la gabegie, le détournement des deniers publics, le tribalisme entre autres. Beaucoup de citoyens non avertis ont pensé que ces termes étaient ceux du président Biya. Que non !
Dans une expression qui en rajoute à la confusion, « changement dans la continuité », le président Biya ne savait que faire. D’où sa tergiversation et sa non prise de position dans le débat qui opposait Sengat Kouoh et Georges Ngango. Les barons ont eu gain de cause dans cette bagarre sans arbitre. De même que le«non» au Fmi se transforme en « oui ». La tactique est de laisser pourrir la situation pour que le temps permette de régler la situation. Dans le cas du Cameroun, la tergiversation du président Biya nous a conduits au fond du gouffre. La suite ne sera que la politique de salves hésitations.
Les liquidations des entreprises publiques et parapubliques se font à la pèle; compris celles du domaine de l’agriculture et de l’élevage. Plus tard celles du secteur de l’énergie. Les promesses du bout du tunnel sont restées vaines. Après avoir modifié la Constitution pour s’éterniser au pouvoir, le Chef de l’Etat est maintenant résolu à décrier lui-même l’inertie et les goulots d’étranglement qu’il a créés. Le plan d’urgence, la banque des Pme, le Pajer – U, le Piaasi sont des replâtrages pour permettre de gagner du temps et y rester à vie.