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Accident de Dschang: 'la route ne tue pas, c'est nous qui nous tuons' - Dieudonné Essomba

Dieudonne Essomba Fin Annee.png Dieudonné Essomba, consultant sur Vision 4

Fri, 29 Jan 2021 Source: le quatrime pouvoir

Aucun pays ne peut vivre au-delà de ses capacités, et il ne faut pas demander au Cameroun au-delà de ce qu’il est capable d’offrir.

L’Etat du Cameroun qui construit les routes le fait sur la base du budget, c’est-à-dire, des prélèvements effectués sur l’appareil productif, et cet appareil n’est pas important. Le budget ne peut donc que refléter le budget d’un pays qui produit peu.

Du reste, ce budget est pour l’essentiel constitué de 25% de recettes pétrolières, de 25% de douane et de 50% de recettes fiscales, versées à 85% par les capitaux étrangers.

Les Camerounais eux-mêmes ne paient pas grand-chose, leur impôt étant très coûteux à la collecte. En effet, si on prend l’hypothèse très irréaliste où chaque boutique paie 100.000 FCFA d’impôts par mois, il faudrait un million de boutiques pour atteindre seulement 100 Milliards !

On voit bien ce que l’Etat aurait à mobiliser comme personnel pour collecter les impôts sur un million de boutiques ! Et s au moins, cette collecte était de tout repos ! Mais pas du tout ! Pour avoir quelques billets de CFA, l’Etat doit mobiliser une escouade de collecteurs d’impôts et de gendarmes, qui doivent subir des bagarres de rue et des procès de la part des commerçants rebelles.

Bref, nous n’avons pas assez d’argent.

Bien plus, la construction des routes elles-mêmes requiert la mobilisation d’une technologie lourde que nous devons importer : engins lourds, camions, concasseuses, bitume, etc. D’où la nécessité d’une masse importante de devises.

Les seules devises du Cameroun nous proviennent du pétrole, bois, cacao, coton, café, banane. Aucun de ces produits ne manifestent pas le dynamisme requis pour supporter une demande croissante d’importation, d’où un déficit courant abyssal et une dette de plus en plus explosive.

Les gens qui réclament compulsivement les autoroutes le font au nom de quoi donc ? Et c’est l’idiot désir de faire plaisir à cette racaille qui aboie sans cesse qui a entraîné le Gouvernement dans le projet loufoque de l’autoroute Yaoundé-Douala, contre l’avis des personnes avisées comme moi.

Le réseau routier du Cameroun ne doit pas nous faire honte, compte tenu de nos capacités. La seule chose à reprocher au Gouvernement est une gestion particulièrement irrationnelle de ce réseau routier, marquée notamment par un politique d’entretien et de maintenance totalement défectueuse. Le pays se borne à réhabiliter les routes au coup par coup, après avoir attendu qu’elles soient totalement dégradée.

Pour le reste, il faut voir notre mentalité. Quand quelqu’un prend une route, par exemple Yaoundé-Douala, ce n’est pas à ce moment qu’il demande une autoroute à l’Etat. L’Etat lui a déjà fourni la route actuelle et il doit configurer son comportement à la route actuelle, telle qu’elle se présente aujourd’hui, avec ses défauts et ses dangers. Tous les chauffeurs savent que cette route est très dangereuse. Aucun chauffeur camerounais n’ignore ces dangers.

Mais lorsque, le sachant pertinemment, le conducteur adopte des attitudes très risquées et qu’‘il survient un accident, c’est lui qu’il faut d’abord condamner ! J’ai vu des choses incroyables sur cette route. Des gens portant leur propre famille, femmes et enfants, et qui se permettent des vitesses absolument effarantes et des dépassements à faire froid dans le dos. Et quand survient un accident, c’est le gendarme !

D’ailleurs, les radars qui avaient été placés sur cette route ont donné lieu à toutes les bagarres entre la gendarmerie et les conducteurs, notamment les élites. Je me rappelle avoir assisté à une violente discussion entre un colonel de gendarmerie qui avait interpellé un Directeur de l’administration centrale avec un véhicule immatriculé CA pour dépassement de vitesse et lui réclamait de payer une amende de 25.000 FCFA. Le Directeur avait refusé, en menaçant le colonel qu’il aura de ses nouvelles.

Je ne parle pas de gros autobus qui se disputent la route avec des grumiers, ainsi que toutes les postures aussi dangereuses que nous créons délibérément.

Personne n’a nié que les routes soient mauvaises au Cameroun, mais pour un chauffeur, cette mauvaiseté est une donnée a priori qu’il doit intégrer dans son comportement. La gendarmerie et la police font ce qu’elles peuvent, mais elles-mêmes ont une faible marge de manœuvre. Toute tentative de zèle est réprimée, car particulièrement mal vue par les élites du coin qui assimilent cela à la brimade et au harcèlement. Il suffit que les chauffeurs se plaignent auprès de leur député ou un Ministre du coin pour que le gendarme zélé soient chassé.

Ceci est particulièrement vrai pour certains commerces régulés comme le bois, le carburant et même les matières précieuses ou interdites, où les bénéficiaires haut placés créent des réseaux, avec des gendarmes et des policiers aux ordres qui doivent se contenter de quelques miettes lors des passages de véhicules, interdiction étant d’ouvrir trop les yeux.

Le problème devient plus grave lorsqu’il prend une dimension communautaire ou régionale. Le Cameroun est un pays segmentaire dans lequel toutes les Communautés et toute les Zones n’offrent pas la même réponse aux incitations publiques. Dès lors, toute régulation est vécue de manière très différenciée, certaines ne trouvant rien à redire quand d’autres accusent l’Etat de les entraver.

La conséquence est qu’il devient très difficile d’appliquer une réglementation unique dans ces conditions. Regardez ! Comment peut-on appliquer les mêmes exigences sur la route Yaoundé-Douala et en même temps, sur une route rurale où ne circule qu’une seule vieille voiture qui passe une fois par semaine ?

Il y a beaucoup de choses à redire sur la gouvernance publique des routes, mais cela ne nous dispense pas de la nécessaire prudence qui nous protège personnellement. Les accusations compulsives de l’Etat ne réveillent pas les morts, et surtout, ne jouent absolument aucun rôle sur l’obsédant projet de conquête du pouvoir d’Etat : ce n’est pas parce que vous aurez répété comme un disque rayé que la Cameroun n’a pas de routes que cela changera quelque chose à Etoudi.

DIEUDONNÉ ESSOMBA

Auteur: le quatrime pouvoir