Il est des morts qui ne relèvent ni du hasard, ni de la fatalité, mais d’un dessein. Non celui du ciel, mais celui des hommes. Des morts qui, sous le vernis des communiqués officiels, révèlent la mécanique froide d’un pouvoir qui ne tue pas toujours par balle, mais parfois par lenteur, par calcul, par abandon.
Mongo Beti. Anicet Georges Ekane. Deux noms, deux destins, une même fin : celle que l’on réserve aux consciences indociles, aux voix qui ne se plient pas, aux âmes qui refusent de se taire.
Le premier, écrivain majeur, fut privé de dialyse. Un avion médicalisé, affrété par son assurance, attendait sur le tarmac de Yaoundé. Mais le pouvoir, dans sa souveraine cruauté, préféra jouer à cache-cache pour conduire Mongo Beti nuitamment à Douala dans une ambulance et surtout après cinq jours d'hospitalisation sans soin à l'hôpital général de Yaoundé. Cinq jours d’errance hospitalière, sans soin, sans issue, sans recours. Une euthanasie bureaucratique, déguisée en protocole. Avez-vous compris quelque chose? Mongo Beti était un fils de Yaoundé, un enfant de Mbalmayo pas des berges du Wouri.
Le second, Anicet Georges Ekane, fils de Douala, militant infatigable, fut arraché aux siens, malade, affaibli, pour être conduit non dans un centre de soins, mais dans une prison de Yaoundé. Pourquoi Yaoundé, quand Douala possède ses propres établissements pénitentiaires ? Pourquoi l’éloigner, sinon pour le priver de l’affection des siens, de la chaleur des proches, de l’humanité des derniers instants ?
Et que dire de cette voiture, prétendument scellée, dans laquelle on aurait « oublié » l’extracteur d’oxygène ? Oubli, vraiment ? Ou mise en scène d’un oubli, savamment orchestrée pour que la mort, cette fois encore, ne soit pas un accident, mais une conclusion ?
Il faut le dire, et le dire avec la gravité que commande la vérité : Anicet Georges Ekane n’est pas mort d’une négligence. Il a été assassiné. Non par arme, mais par volonté. Non dans l’ombre, mais sous les yeux d’un peuple que l’on croit distrait, mais qui n’oublie pas.
Notre devoir, notre mission, notre serment moral, est de porter ces dépouilles — non pas dans la rue, mais devant le Parlement, ce palais du peuple qui, ironie tragique, porte le nom de celui-là même dont le silence pèse plus lourd que mille discours. Car il ne s’agit pas de vengeance. Il s’agit de mémoire. Il s’agit de justice. Il s’agit de dire que la République ne peut se construire sur des cadavres dissimulés sous les tapis rouges.
Le pouvoir tue. Le peuple regarde. Mais le peuple, un jour, se souvient. Je tiens la plume pour lutter contre l'oubli, oui pour que demain vous puissiez conter ces crimes.