Mgr Jean-Marie Benoît Bala a donc été assassiné. C’est une conviction profonde du peuple catholique du Cameroun, exprimée par la Conférence épiscopale nationale. Arrivant exactement deux semaines après la découverte du corps, sans vie, du prélat dans les eaux turbulentes de la Sanaga, cette position officielle rassure le peuple de Dieu dont les évêques ont la charge. Cette position confirme également ce que tous les chrétiens catholiques apprennent lors de la catéchèse: le suicide ne fait pas partie des options de fin de vie qui conduisent au salut. Le suicide ferme donc la porte de l'espérance de la vie éternelle au suicidé, même si de nombreux suicides ont jalonné l'itinéraire terrestre de la foi catholique, depuis ce jour maudit où Judas a livré Jésus Christ notre Sauveur. Le suicide de Judas est une sanction spéciale, unique, réservée par Dieu lui-même au traître. Mgr Jean-Marie Benoît Bala n’en était pas un. La position des Evêques est donc une position de foi qui coïncide avec les faits et de nombreux éléments matériels. Cette position apaise également l’anxiété de tous ceux qui ont connu la stabilité mentale, l'équilibre psychologique et l'ascétisme de Mgr Jean- Marie Benoît Bala. En effet, un homme édifié et structuré comme il était ne se suicide pas ! Au contraire, il accepte la souffrance humaine, sa charge cléricale et les difficultés de la vie comme sa croix, voie incontournable qui mène au salut et au triomphe de Dieu. Parce que pour ces hommes d'exception que sont les Evêques, tout est grâce, il sera difficile de convaincre que l'un des meilleurs parmi eux était un désespéré suicidaire.
Au rappel de la longue liste de prélats assassinés dans notre pays, les circonstances de ces assassinats et le «silence» des enquêtes qui ont suivi, la position des évêques atteste que les prélats catholiques ont une place particulière dans la vie sociale, au moins parce que ceux qui ont une foi catholique flamboyante leur font confiance. Cette confiance ouvre sur des confidences dont le poids, insupportable pour les épaules frêles des chrétiens, trouve un indiscutable soulagement au confessionnal des paroisses. Devenir prêtre catholique vous expose donc à un haut risque d'assassinat! La position des évêques inquiète cependant l'Etat dont le rôle protecteur a été rappelé par la déclaration épiscopale. Certains disent que les évêques mettent la pression sur les autorités judiciaires. Ce n'est pas faux ! Au demeurant, cette pression est compréhensible. Une enquête est ouverte, elle ne doit pas s'enliser.
Certes, la position des évêques ferme la porte du suicide, mais elle ouvre une autre porte, celle de la recherche scientifique d'éléments susceptibles d'éclairer suffisamment, convenablement et complètement l'opinion. Dans l'immense mystère de la volonté divine, l'assassinat de Mgr Jean-Marie Benoît apparaît donc comme la porte vers la vérité criminelle. Seul l’Etat dispose de moyens pour découvrir et révéler cette vérité criminelle. Qui a tué l'évêque de Bafia ? Quels étaient ses mobiles ? Quels est son mode opératoire ? A-t-il agi en commandite ? Si oui, qui l'a commandité ? A-t-il agi seul ? Si non, y'a-t-il association de malfaiteurs ? Qui sont les associés ? Autant d'éléments que recouvre la vérité criminelle. L'Etat a l'obligation de garantir la sécurité des hommes et de leurs biens sur un territoire où son autorité est effective, permanente et légitime. C'est une obligation de moyens. Autrement dit, tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour que personne ne perde la vie par assassinat, à cause de sa race, de sa tribu, de sa foi, de son métier, de sa conviction politique, de son opinion ou de son serment. Et si une vie venait quand même à être perdue, les pouvoirs publics doivent mettre tous les moyens appropriés en mouvement pour rechercher les assassins, les interpeller et les attraire devant les tribunaux de la République. Pour qu’une sentence juste soit prononcée. L’Etat aura-t-il les moyens de répondre à cette demande populaire exprimée par les évêques ? L'Etat voudra-t-il mettre ces moyens à cette fin légitimement attendue ? Nous n'en doutons pas. Mais, nous voyons, d'ici, l’inquiétude de l'Etat laïc qui ne supporte pas qu'on lui dicte une voie de culte. Pour cet Etat laïc, l'exigence de vérité criminelle peut être relativisée, différée, pondérée, au nom de la raison d'Etat. Mais, la laïcité prônée n’implique-t- elle pas l’égal traitement sécuritaire et judiciaire des responsables de toutes les confessions autorisées d’une part, et de tous les citoyens d’autre part ? La demande de vérité et de justice des Evêques devient donc une demande citoyenne à fort impact. Puisse Dieu disposer le cœur des autorités judiciaires, afin qu'elles accèdent mentalement à cette exigence de vérité et de justice.