Comme pour l'enlèvement du Dr Nganang par les services secrets camerounais et son prochain «procès», il est important de noter que la mauvaise personne est mise en jugement.
Les personnes à juger sont celles qui dirigent la guerre civile contre les Camerounais anglophones et non les récits juvéniles et simplistes où le Dr Nganang devient le « méchant » responsable des troubles dans le Nord-ouest et le Sud-ouest du Cameroun. Pendant que le président part en comme à l'accoutumée en vacances, toutes ces sinistrees conneries ont le don de pointer la banalination hystérique de la culture du crime politique au Cameroun.
Drôle de pays en effet que ce Cameroun de Paul Biya où des journalistes dits de la presse indépendante soutiennent ouvertement l'enlèvement puis la séquestration d'un écrivain, universitaire, et activiste par des "tontons macoutes" du régime dictatorial en place. Les grands hommes peuvent ainsi avoir des pieds d'argile mais être encore de grands hommes, y compris face à un dictateur qui pense qu'il est le fondement même de la loi.
Cependant, ceux-ci pourraient ne pas ou plus être que de vagues épisodes du grotesque feuilleton qui se joue au Cameroun depuis plus de deux décennies, malgré que le gouvernement camerounais est précisément connu pour exceller en la matière, n'eût été les conséquences désastreuses pour le pays.
Hubris est la sage-femme de Némésis et le gouvernement, en arrêtant le Pr. Nganang, a par inadvertance ouvert les portes de l'enfer au régime en place depuis 35 ans, puisque le Pr Nganang n'est pas taillé dans la même étoffe que les voyous robotiques qui, comme dans une certaine routine, ne se sont guère souciés de penser à ce qu'ils faisaient.
La politique partisane fait ainsi accomplir des choses bien étranges aux esprits humains. Le CL2P assiste donc médusé à toutes ces déclarations, faîtes parfois par des personnalités les plus insoupçonnables, qui profèrent, appuient, et justifient sans la moindre réserve les menaces de mort qui pèsent désormais sur l'écrivain Patrice Nganang, en alléguant notamment de propos injurieux que l'infortuné aurait tenus dans les réseaux sociaux à l'endroit de l'épouse d'un dictateur sanguinaire, autorisé lui à tuer et massacrer à volonté ses potentiels concurrents, ses critiques, et les populations civiles anglophones récalcitrantes...
Les mêmes rigolos jurent la main sur le cœur que le "Cameroun est une démocratie apaisée", qui mériterait d'être respecté dans le concert des nations civilisées.
Pourtant une fois de plus et peut-être de trop, le régime de Paul Biya utilise les tribunaux et les médias pour tenter de régler les conflits politiques. Ce faisant il élude comme toujours toute responsabilité, tout en refusant de reconnaître les victimes comme telles, surtout à leur concéder un minimum de droits à une procédure régulière; placées qu'elles sont régulièrement face à ses politiques agressives, autoritaires, réactionnaires, et meurtrières qui concourent uniquement à renforcer le statu quo, puis à reproduire la domination sociale de la caste dirigeante dans un État qu'elle veut éternellement de parti unique au Cameroun (le pluralisme affiché n'étant en réalité qu'un bel emballage).
Le CL2P a à maintes fois dénoncé l'utilisation par le gouvernement des incriminations « d’outrage» au chef de l'État et de corruption littéralement montés de toutes pièces pour priver les Camerounais ordinaires de leurs droits fondamentaux. Les accusations d‘ «outrage» et de «corruption» sont en effet de nature contradictoire dans un contexte de répression profondément enraciné et d'escroqueries généralisées.
Ce faisant, le fait même de sélectionner des « pommes pourries » ne sert pas la fin de la justice, mais contribue à entretenir un cirque cynique. Car en réalité, l'usage de ces lois dites d’outrage sert d'abord à étouffer les dissensions internes au Cameroun et à soumettre les Camerounais ordinaires à une conformité rigide.
À ce sujet Karin Deutsch Karlekar du groupe de plaidoyer PEN America déclare: «Détenir une voix indépendante importante comme Patrice Nganang, qui a utilisé son écriture pour enquêter sur les conséquences de la violence, est un signe d'un mouvement du gouvernement pour faire taire toute critique politique et démanteler le droit à la libre expression.»
Le régime du despotisme légal de Yaoundé doit être jugé parce que le pays a besoin d'un changement majeur dans les pratiques et les normes juridiques. Ce changement majeur est important pour redéfinir les relations ordinaires des Camerounais avec l'État et les rapports des camerounaises ordinaires entre eux.
Au fond, le procès de Nganang est la marque ultime d'une stupidité judiciaire infinie.
Et dommage que beaucoup de Camerounais ne s'aperçoivent que maintenant du processus de travestissement avancé de l'institution judiciaire par la dictature de Paul Biya.
N'ayant en effet pas voulu prêter attention à tous les autres procès kafkaïens qui jalonnent l'épuration politique dans ce pays depuis plus de deux décennies, ils réalisent enfin grâce à Patrice Nganang, combien les "talibans" du régime de Yaoundé peuvent littéralement instruire toutes les accusations les plus grotesques contre tous ceux qu'ils considèrent (souvent à tort) comme des "dangers" pour leur grand timonier.
Elles rivalisent alors d'une infinie bêtise doublée de cruauté...
Lorsque les futures générations ouvriront les archives judiciaires du Cameroun durant les années de règne de Paul Biya, ils nous reprocheront tous comment nous avons pu laisser ces messieurs humilier de la sorte ce grand et beau pays qu'est le Cameroun, que nous portons si haut dans notre estime.
Vivement que tout cela prenne fin!