Indispensable attribut du pouvoir ou plaisir dispendieux, l’avion présidentiel est un objet mythique.
En effet, au début des années 2000, les aéronefs qui composent la flotte de la présidence de la République présentent des signes de vieillissement. Le Boeing 727 baptisé « Le Pelican », acquis en 1978, sous le président Ahmadou Ahidjo était devenu vieux et causait des nuisances sonores dans les aéroports où il atterrissait.
Paul Biya qui s’offre régulièrement des déplacements en Europe veut alors acquérir un nouvel avion. Il est donc prescrit à l’Etat-major particulier du président de la République de faire une étude pour trouver un avion de remplacement. Le choix est porté sur le Boeing business jet 2 (Bbj2). Cette proposition est agréée y compris par Paul Biya.
Mais cette décision met le Cameroun en porte-à-faux avec ses partenaires financiers internationaux. Le Cameroun était sous ajustement structurel, donc en négociation avec le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale. Hostiles à ce type de dépenses, ces institutions se sont opposées à l’acquisition d’un avion présidentiel et ont menacé d’interrompre la coopération avec le Cameroun. Face à la menace brandie, le pouvoir choisit la ruse.
L’opposition du Fmi et de la Banque mondiale est contournée. Il fallait acquérir l’avion provisoirement au nom de la Camair, son immatriculation ultérieure au nom du Cameroun ne devant poser aucun problème.
Jean-Marie Assene Nkou
C’est alors que le projet d’achat de l’avion du président de la République est confié à la Camair. En fait, la Camair prend en charge l’opération, mais c’est la Snh qui va délier la bourse. C’est l’époque où Yves Michel Fotso est administrateur directeur général de la Camair.
Il se trouve donc au centre du processus. Avec pour interlocuteur dans la gestion de ce dossier, Marafa Hamidou Yaya, alors secrétaire général de la présidence de la République, président du Conseil d’administration de la Snh et Blaise Benaé Mpecke, le chef d’Etat major particulier du président de la République, de regrettée mémoire. En 2001, le processus d’acquisition du Bbj2 est lancé. Yves Michel Fotso décide de s’appuyer dans cette opération sur un intermédiaire.
Grâce à l’intermédiation de Jean-Marie Assene Nkou (en fuite), gérant d’une compagnie privée de transport aérien qui dessert l’intérieur du pays, un contact est noué avec Gia international, une société qui a son siège dans l’Etat d’Oregon à l’Ouest des Etats-Unis d’Amérique. Gia va en principe jouer le rôle d’intermédiaire pour trouver des financements sur la base des avances que lui verse le Cameroun.
Le ministre des Finances de l’époque, Michel Meva’a Meboutou s’était opposé à cette formule d’achat par leasing, expliquant qu’il ne concevait pas qu’un avion du chef de l’Etat soit soumis au « hasard des aléas de ce genre de contrat ».
45 milliards FCfa
Le coût global de l’avion y compris les aménagements d’intérieur s’élève à 45 milliards FCfa. En août 2001, la Camair par l’entremise de Gia va lancer la commande de l’aéronef auprès du constructeur Boeing. Une avance de 1,5 milliard FCfa est versée. Cette somme est insignifiante. En septembre 2001, la Snh débloque 24 milliards FCfa qu’elle met à la disposition de l’Adg de la Camair.
L’argent va transiter par le compte de la Gia à la Bank of America. En mai 2002, près d’un an après le déblocage des fonds, Boeing n’a toujours pas reçu les 24 milliards FCfa. Ainsi, las d’attendre que le Cameroun confirme sa commande en versant une somme substantielle, Boeing va rembourser ce mois de mai là, la somme de 1,5 milliard FCfa précédemment reçue. Ce qui vaut radiation de la commande.
On en est là lorsque Jean-Marie Atangana Mebara devient secrétaire général de la présidence de la République, le 24 août 2002 et prend le relais de Marafa Hamidou Yaya dans le dossier. Blaise Bénaé Mpecke et Yves Michel Fotso sont encore en poste. Atangana Mebara se dote des services d’un cabinet londonien spécialisé dans l’aéronautique pour tenter de récupérer les 24 milliards FCfa. L’opération va échouer. L’achat du Bbj2 est abandonné et se transforme en acquisition de l’Albatros. L’un des plus gros scandales de la République est né.
Marafa Hamidou Yaya : Project Manager
La Cour suprême soutient que plutôt que de traiter avec Boeing directement, Marafa a fait intervenir « sans raison valable » Yves Michel Fotso qui a son tour a fait intervenir Gia. « Marafa Hamidou Yaya ne sait pas entourer de toutes les précautions en demandant au préalable à l’ambassadeur du Cameroun aux Etats-Unis de s’assurer de la crédibilité de Gia. Il s’est agi de mise en scène savamment orchestrée et de tromperie astucieuse », relève le juge Théodore Mbenoun.
En outre, Marafa est accusé d’avoir continué à marquer un intérêt à cette opération bien qu’ayant quitté ses fonctions de secrétaire général de la présidence de la République. « Il est évident que c’est avec l’aval de Marafa que les 29 millions de dollars ont été débloqués et virés ». Pis, s’appuyant sur une jurisprudence de décembre 1964, la Cour suprême argue qu’ « il n’est pas nécessaire pour que le détournement soit punissable qu’il ait profité personnellement à son auteur ».
En d’autres termes, on peut avoir détourné un argent sans l’avoir obtenu. L’ancien ministre de l’administration territoriale a tenté de démontrer qu’il n’a pas décidé d’associer la Camair parce que c’était Fotso qui en était le Dg, que ce n’est pas lui qui a décidé de débloquer les 29 millions de dollars mais plutôt Meva’a Meboutou sur instruction de Paul Biya, rien n’y fera. « Il n’y a aucun doute qu’il y a connivence entre les deux. C’est donc en vain que Marafa dit ne pas être concerné. Il ne peut prétendre avoir ignoré les démarches de Fotso. Il échet de le déclarer coupable ».
Ancien ministre d’Etat chargé de l’administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya est apparu dans les années 2000 comme un des hommes clés du régime Biya. « L’intelligence de l’homme et son charisme ont fait qu’il incarnait quelque chose. La haute attention que les autres ministres lui accordaient était telle qu’il était perçu comme un patron. On lui vouait un certain respect. Le chef de l’Etat lui accordait même une certaine préséance », commente un analyste politique proche du pouvoir. Jusqu’en 2009, Marafa Hamidou Yaya semble avoir le vent en poupe.