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Ahmadou Ahidjo : de l’allégeance au sursaut d’orgueil

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Sun, 12 Jul 2015 Source: Assongmo Necdem

La France ne partira pas après l’indépendance. Le premier président du Cameroun accède au pouvoir dans des conditions qui structureront les rapports avec l’ex-puissance colonisatrice.

Un livre d’histoire a dit d’Ahmadou Ahidjo et du général Charles de Gaulle qu’ils sont les « pères adoptifs de l’indépendance » du Cameroun. C’est d’ailleurs le titre du chapitre 17 de l’ouvrage Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), paru début 2011 en France aux éditions La Découverte. L’ouvrage est coécrit par l’historien camerounais Jacob Tatsitsa et deux journalistes français : Thomas Deltombe et Manuel Domergue.

Ahidjo, pour le Cameroun, et De Gaulle, pour la France. Les deux hommes se retrouvent à conduire le destin du Cameroun dès 1958, pourtant ni l’un ni l’autre n’ont jamais explicitement demandé l’indépendance de ce territoire. Charles de Gaulle incarne cette France qui a pratiqué la politique de l’assimilation coloniale depuis son arrivée au Cameroun en 1916 à la faveur de la défaite de l’Allemagne à la Première Guerre Mondiale.

L’assimilation consistait à diriger le territoire colonial, pas dans l’objectif de le conduire à l’autodétermination, mais à en faire un territoire français en y étendant la culture française. La France n’accepte donc l’accession du Cameroun à l’indépendance que sous la contrainte d’un contexte africain et mondial marqué par une décolonisation devenue inéluctable. Et encore !

« Après son arrivée au pouvoir en mai 1958, De Gaulle soutient cette orientation d’une indépendance dans le cadre de l’interdépendance franco-africaine, qui s’inscrit dans l’esprit de la Communauté proposée aux territoires d’Afrique Occidentale et Équatoriale françaises qui ne sont pas sous tutelle de l’Organisation des Nations Unies (c’est-à-dire autres que le Togo et le Cameroun) », indique les archives de l’Institut nationale de l’audiovisuelle (Ina) de France.

Ahidjo, le pion

« C’est en 1958 que la France parle d’indépendance du Cameroun pour la première fois. Et c’est à ce moment que le mot est repris par la classe politique locale inscrite dans le jeu légal. Jusque-là, seuls les militants de l’Upc osaient prononcer ce mot tabou », explique le Pr Jean Koufan, enseignant au département d’histoire de l’université de Yaoundé I.

« Tout comme le général De Gaulle, Ahmadou Ahidjo n’avait jamais demandé l’indépendance. D’ailleurs, il n’avait pas de programme comme tous les hommes politiques reconnus par la France. C’est dès 1958 qu’il commence à parler de l’indépendance comme un projet », ajoute l’universitaire, spécialiste de l’histoire des relations internationales.

La France a décidé d’accorder au Cameroun une indépendance de façade. Et Ahmadou Ahidjo est l’homme choisi pour jouer le jeu. « En 1958, Ahidjo devient le Premier ministre à la place d’André-Marie Mbida, par la volonté de la France qui veut donner une impression d’apaisement, bien qu’elle continue de réprimer l’Upc dans le sang », relève le Pr Koufan. « Le général De Gaulle ne fait ici qu’adopter l’indépendance factice que la IVème République avait préalablement initiée.

C’est pour mettre en place cette politique qu’est installé au pouvoir un jeune télégraphiste, nommé Ahmadou Ahidjo. Ahidjo est l’homme idéal, car il n’a pas une « conception trop rigide de la démocratie », écrivent Jacob Tatsitsa et ses coauteurs. C’est donc sous l’égide d’Ahidjo et De Gaulle que vont se nouer les premières relations entre le France et le nouvel Etat indépendant du Cameroun. C’est d’abord une relation entre deux hommes.

« Il suffit de lire les mémoires de Jacques Foccart pour se rendre compte de la vénération qu’Ahidjo a pour le général De Gaulle. Entre les deux hommes, il y a une relation de père et fils, et elle va structurer les rapports entre leurs Etats respectifs », soutient le Pr Koufan. Ainsi, le charisme du général français irradie en dehors de la France. Il y a donc au moins deux générations des relations franco-camerounaises.

Quand Ahidjo a pour homologue Charles de Gaulle, l’allégeance du président camerounais est totale et l’entente avec la France est parfaite sur toutes les questions. Dans cette déclaration d’Ahmadou Ahidjo, il n’y a rien de plus que la langue de bois propre à la diplomatie. « Plusieurs fois, l’assemblée du Cameroun et le gouvernement ont souhaité que le Cameroun, devenu souverain, s’associe amicalement et librement à la France ».

Il répondait à la question d’un journaliste après une audience avec De Gaulle au Palais de l’Elysée, le 10 novembre 1958. Puis, il y a eu la seconde génération des relations France-Cameroun, marquées par un sursaut d’orgueil.

Portée au pouvoir par la France, Ahidjo travaille aux côtés de la puissance coloniale. Le Cameroun s’associe naturellement au groupe de Brazzaville, qui rassemble en décembre 1960 les anciens pays de la Communauté française. Devant l’Onu, ces États soutiennent la France qui combat la lutte pour l’indépendance en Algérie. Sous le règne Ahidjo, on ne compte plus ses voyages en France, tellement il en a fait. C’est de retour de Paris qu’il prenait les décisions majeures.

C’est déjà le cas avant sa démission du gouvernement en 1958, provocant le chute du Premier ministre André Mbida. C’est Ahidjo que la France a choisi pour prendre la place et conduire le Cameroun à l’indépendance. C’est naturellement qu’il fait un détour à Paris, le 10 novembre 1958, avant d’aller à New-York au siège de l’Onu, pour demander cette indépendance dans les conditions convenues avec la puissance coloniale ; c’est-à-dire sans passer par un référendum.

Consultations

Plus tard, il y a cette visite à De Gaulle, le 14 septembre 1965. Sur le perron de l’Elysée, Ahidjo annonce sa participation au sommet de l’Oua à Accra au mois d’octobre. Le Cameroun et d’autres pays francophones (Côte d’Ivoire, Niger …) avaient décidé de boycotter ce rendez-vous pour protester contre le Ghana de Kwame Nkrumah, accusé de soutenir leurs oppositions respectives. L’unification du Cameroun est décidée au lendemain d’un énième voyage en France. Ahidjo explique que ça coûte cher de faire fonctionner les différentes institutions de l’Etat fédéral et celles des deux Etats fédérés. Pourtant, quelques mois auparavant, il avait exalté les bienfaits de la fédération. Même la démission d’Ahidjo en 1982 intervient après un séjour dans la Métropole.

Jusqu’au bout, il y a toujours cette volonté de s’en référer à Paris. A l’époque déjà, les détracteurs d’Ahidjo ne manquent pas de l’attaquer sur son allégeance à la France. Même s’il est suprême dans son pays qu’il dirige d’ailleurs d’une main de fer, le président camerounais est désigné comme une « marionnette » et un « instrument » de l’impérialisme franco-britannique, le Cameroun francophone et le Cameroun anglophone étant désormais réunifiés. Mais avec le départ du général De Gaulle en 1969, puis sa mort en novembre 1970, s’ouvre une nouvelle ère des relations franco-camerounaises.

L’après De Gaulle

L’histoire raconte qu’Ahidjo se rassure que son ex-homologue est bel et bien mort. Puis le président camerounais dit à l’ambassadeur de France à Yaoundé, Philippe Rebeyrol, que pour ce dernier, les choses ne se passeront plus comme avant. « Les mémoires de ses collaborateurs disent que le président Ahidjo était comme réveillé d’une hypnose, tellement il vénérait De Gaulle », indique le Pr Koufan.

Ahidjo semble avoir pris conscience que le Cameroun doit se donner lui-même les moyens de son développement et son indépendance économique, conditions sine qua non de sa libération politique. Et cela se voit dans le 3ème plan quinquennal du Cameroun (1971-1976). On peut dire que c’est « le temps des réalisations », et même des « grandes réalisations ».

Il y a la construction du Palais des congrès de Yaoundé, du barrage hydroélectrique de Lagdo, du stade omnisports de Garoua, etc. C’est l’époque où l’Etat crée des grandes entreprises : Cellucam, Sotuc, Camship, Camair, etc. L’Etat entre dans le capital de la Sonel et la Snec qui appartenaient aux groupes français. Le secteur agricole est en pleine expansion avec la création des sociétés agroindustrielles : Sodecoton, Semry, Camsuco, Socapalm, Sodenkam, Soderim, Oncpb, etc.

« Il y a une volonté de créer un tissu industriel national », note l’économiste Bernard Ouandji, ancien cadre de la Banque africaine de développement et consultant de la Banque mondiale. Des entrepreneurs camerounais gagnent des marchés publics. Le discours prôné est le suivant : à compétences égales, privilège aux Camerounais. A l’actif du plan quinquennal, il y a cette ambition d’améliorer la qualité de vie des Camerounais. La Cnps et la Socar sont créées.

C’est au cours de la même époque que son conçus les projets d’un hôpital général à Yaoundé, du bitumage des routes Yaoundé-Douala, Yaoundé-Bafoussam- Bamenda. Le Pr Koufan se souvient que le Budget d’investissement public du Cameroun a atteint le double de celui de tous les pays d’Afrique noir francophone. Tout cela est « déraisonnable », dira George Pompidou, le nouveau président français, lors d’une séance de travail dans le cadre de sa visite au Cameroun en 1971.

Mais le Cameroun ne compte plus seulement sur les ressources données par la France. Le monde bouge et l’heure est la diversification des partenaires économiques. Le Cameroun n’y échappe pas. D’où la visite d’Ahidjo en Chine en 1973. « Il ramène 200 milliards F.Cfa, c’est-à-dire le même montant que la France a donné au Cameroun en 10 ans », informe le Pr Koufan. Accords de coopération Ahidjo semble avoir compris qu’il y a du bon à regarder à côté. Pourtant, la rupture avec le colon d’hier n’est pas pour demain.

Toutes les actions engagées par Ahidjo ne menacent pas fondamentalement les intérêts de la France qui laisse faire d’ailleurs. Elle réagit lorsque ses intérêts stratégiques sont menacés, comme pour le marché de la station des télécommunications de Zamengoué qu’Ahidjo s’apprêtait à donner aux Canadiens. Convoqués à Paris, le président camerounais a dû se raviser. Ahmadou Ahidjo s’arrange toujours à ne pas tenir tête frontalement. De la stratégie, diront certains.

De la couardise, penseront d’autres. Toujours est-il que c’est après beaucoup de pays africains que le Cameroun demande à renégocier les accords de coopération en 1974. Dans ses mémoires, Jacques Foccart rappelle les pourparlers de Paris où les diplomates camerounais se montrent trop demandeurs. Alors, Ahidjo est contacté à Yaoundé, il s’excuse au nom de ses collaborateurs présentés comme des jeunes fougueux et inexpérimentés.

Pourtant, dès leur retour à Yaoundé, les membres de la délégation sont félicités et promus par le président. Dans les nouveaux accords de coopération avec la France, le Cameroun a obtenu que l’ambassadeur de France au Cameroun ne soit plus automatiquement le doyen du corps diplomatique, que les coopérants français payent désormais les impôts, que la langue française n’ait plus des privilèges exclusifs, que l’université appartienne à l’Etat du Cameroun, etc.

Pour le Pr Koufan, ce n’est qu’un vernis, car le socle de la domination française demeure : le franc Cfa, les accords militaires, la coopération financière, la politique administrative. Ahidjo n’a jamais eu le courage de s’attaquer à ces fondamentaux. Même l’épisode de la guerre du Biafra reste un épiphénomène. Les armes ont bel et bien transité par le Cameroun en direction de la région sécessionniste nigériane, malgré le refus d’Ahidjo. Les avions humanitaires ne transportaient pas que des vivres et des médicaments. En plus, la France a compris qu’Ahidjo avait raison de soutenir le pouvoir légal au Nigéria, car la sécession du Biafra menaçait aussi le Cameroun.

Même au cours de cette 2ème génération des relations avec la France, Ahidjo n’a jamais coupé le cordon ombilical. Comme aujourd’hui, la venue au Cameroun d’un président français était réclamée par le régime de Yaoundé. Et si Ahidjo a multiplié les voyages en France, il n’a jamais reçu De Gaulle à Yaoundé. Il s’est contenté de Georges Pompidou en 1971 et Valéry Giscard d’Estaing en 1979. Dans les relations France-Cameroun, chacun sait où est sa place A l’Onu, le Cameroun ne s’est plus risqué à voter contre les intérêts de la France, comme il l’a fait en 19676-968 en votant en faveur de la résolution afro-asiatique pour l’indépendance de Djibouti.

La France avait réagi en suspendant sont aide militaire au moment où Ahidjo en avait besoin pour mater la résistance de l’Upc et contenir les débordements de la guerre du Biafra. Au finish, certains observateurs ont parlé d’un coup d’Etat médical contre Ahidjo ourdi par la France en 1982. Si cette version était avérée, le complot n’aurait rien de personnel, croit savoir le Pr Jean Koufan. Pour lui, bien avant 1982, la France pensait déjà à l’alternance au pouvoir dans ses ex-colonies africaines.

Elle voulait désormais y mettre des technocrates à la place des politiciens des indépendances. Au Cameroun, trois collaborateurs d’Ahidjo étaient en pôle position : Samuel Eboua, Victor Ayissi Mvondo et Paul Biya. Il fallait un homme malléable. Et comme en 1958, la France fut maîtresse du jeu.

Auteur: Assongmo Necdem