Signer, faire lire à la radio et laisser dire. Tel semble être le crédo du ministre des Finances dans la crise qui l’oppose au directeur général des Douanes. Sollicité hier par Mutations pour un éclairage sur la question, Alamine Ousmane Mey n’a pas souhaité s’exprimer.
Le reporter n’aura pas plus de chance auprès de l’un de ses plus proches collaborateurs : « Ce sont des actes de souveraineté pris par un ministre. Qui suis-je pour les commenter ?», lance notre interlocuteur, le ton volontiers gouailleur.
L’on se contentera donc du communiqué de « l’argentier national » du 8 juin courant, qui rapporte trois notes de service du Dg des Douanes (signées les 3 et 5 juin 2015) et instruit Minette Libom Li Likeng, « conformément à la réglementation en vigueur » de lui « soumettre [ses] propositions en vue de la nomination des personnels au sein de [son] administration ».
Autrement dit, en signant ces notes, le Dg des Douanes a outrepassé ses pouvoirs et prérogatives. Ce qui a poussé le Minfi à les rapporter.
Dans le détail, le ministre des Finances (Minfi) annule la note portant affectation des diplômés de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) mis à la disposition de la Direction générale des Douanes (Dgd) pour emploi et service le 12 janvier 2015, la note portant affectation de certains fonctionnaires de douanes dans les services centraux et déconcentrés de la Dgd.
La troisième et dernière note annulée désigne, à titre intérimaire, des responsables dans les services centraux et déconcentrés de la Dgd.
Comment en est-on arrivé là alors que tout semblait aller de soi, du moins si l’on s’en tient à l’échange de correspondances entre le Minfi et le Dg ? En effet, la note portant désignation, à titre intérimaire, de responsables à la Dgd procède d’une instruction du Minfi datée du 19 février 2015, qui demande au Dgd de lui faire tenir la « liste exhaustive » de ses collaborateurs admis à faire valoir leur droits à la retraite assortie des attestations de cessation d’activité et de la désignation de leurs remplaçants, le cas échéant ».
A l’observation donc, le Dgd n’a fait que déférer aux instructions de sa hiérarchie, en pourvoyant à des postes restés vacants (66 ont été recensés au total), suite au départ à la retraite ou au décès des titulaires. Des sources au Minfi indiquent même que le Dg des Douanes en est arrivé là après cinq moutures de propositions de nominations soumises à Alamine Ousmane Mey, lesquelles sont restées sans suite.
Grand Nord
En rapport avec les autres notes prises par le Dgd, il apparaît, selon notre enquête, qu’il s’agissait de mettre en œuvre un outil de pilotage stratégique, en l’occurrence les contrats de performances, auxquels sont soumis les inspecteurs de douane.
Ces contrats prévoient une évaluation trimestrielle du rendement de l’inspecteur, suivant des indicateurs objectifs. A ce jour, l’on affirme d’ailleurs que la mesure de la performance des inspecteurs a fortement contribué à l’amélioration des recettes constamment observée depuis 2008.
Il était également question pour la Dgd de déployer sur le terrain, après plusieurs stages d’imprégnation, les diplômés et brevetés de l’Enam mis à disposition par le ministère de la Fonction publique.
L’étincelle qui met le feu aux poudres, de sources concordantes, d’un gabelou, ressortissant du septentrion, qui sollicitait une prolongation d’activités. Après publication des nominations à la Dgd, ce dernier aurait ameuté des élites du grand Nord pour crier à la « marginalisation des ressortissants du septentrion » dans les actes pris par Libom Li Likeng.
Sous la pression de ces barons de l’Extrême-Nord, le Minfi passera à l’acte d’annulation, apprend-on.
Une correspondance datée du 9 juin 2015 (le lendemain du communiqué du ministre), dont l’auteur est en service à l’inspection des services de Douanes du Minfi fait, en tout cas, observer à Alamine Ousmane Mey que «certains grands groupes sociologiques comme ceux du grand Nord ont été inexplicablement ignorés.
De même, ces actes créé un grand malaise dans une administration des douanes déjà fragilisée par une gestion des ressources humaines erratique », explique ce collaborateur du Minfi, qui présente le Dg, en poste depuis 2008, comme un « chef de clan » à la tête d’une « administration réputée paramilitaire ».
A la Dgd, l’on jure pourtant avoir tenu compte des composantes sociologiques, du cadre organique, du grade, de l’ancienneté, de la compétence, de l’intégrité et de la performance dans les actes qui ont été annulés par le ministre. Des critères qui ont souvent échappé à des gouverneurs ayant pris sur eux de nommer des responsables dans le corps des Douanes, « sans concertation avec la tutelle technique ».
On peut d’ores et déjà parier que l’annulation des actes pris par le Dg des Douanes va saper son autorité auprès de ses collaborateurs et instaurer l’indiscipline dans les rangs. Toutes choses qui auront des conséquences sur l’atteinte des objectifs de la Dgd.
Aux dernières nouvelles, un vent de démobilisation souffle dans le corps des gabelous depuis l’annulation de notes sus indiquées, ce d’autant plus que les uns et les autres font feu de tout bois pour figurer dans les nouvelles listes qu’élaborerait, depuis lors, un « groupe de travail ».