Intégration Nationale : Le Cameroun« s’arrête » à Babadjou

Tue, 25 Aug 2015 Source: Franklin Kamtche

Les compatriotes de la partie anglophone du pays ne supportent plus les tortures qu’ils doivent subir pour rallier leurs villages ou les villes de la partie francophone où ils vivent.

La sérénité revient. Pendant deux jours, les voyageurs en direction ou en provenance de Bamenda ont fait une halte forcée à Babadjou. L’endroit où les eaux de ruissellement ont eu raison du morceau de route décapé et abandonné par la société des travaux publics Razel l’an passé, a fini par laisser passer les nombreux voyageurs, forcés de traîner sur place.

Côté autorités, les descentes sur le terrain n’ont pas encore permis de dégager complètement la voie. Durant ces jours de blocage, tous les camions ont été stoppés, à quelques centaines de mètres du centre administratif de Babadjou, l’arrondissement frontalier entre les régions de l’Ouest et du Nord-Ouest. Jeudi 20 août 2015, près de 2000 véhicules voulaient passer. Les voyageurs vivent un vrai calvaire depuis lors.

De Babadjou à Bamenda, il faut s’armer de patience. Pour faire simple, les mots manquent pour décrire le semblant de route sur lequel on roule. Les voitures roulent à 10km/h. Entre crevaisons et dérapages, il ne faut avoir aucun souci de santé, parce que la voiture balance.

« Chaque fois que je suis allé à Bamenda avec mon véhicule ces derniers temps, j’ai fini le voyage au garage », témoigne Junior Kamseu, un ingénieur résidant à Bafoussam. Une légende établie ici veut que « la route Mbouda-Bamenda vende la mort ».

En effet, si personne ne peut attester que l’état de cette route a déjà provoqué des avortements, les accidents de la circulation, les pannes de voitures, sont légion. Elle a déjà précipité les malades à la morgue. Même aux alentours du péage de Santa, l’un des plus rentables de la république, aucun effort n’a été fait pour investir une partie de l’argent collecté à l’entretien de la chaussée.

Dire que les populations sont remontées contre le pouvoir de Yaoundé est un doux euphémisme. En effet, la route qui se bloque ainsi est le seul moyen de rallier cette région anglophone au reste du Cameroun. Construite dans les années d’indépendance, elle n’avait jusque-là connu que des rafistolages, dans le cadre d’un entretien routier peu régulier.

La route de la réunification

Pourtant, depuis au moins une décennie, des failles étaient apparues en pleine chaussée, à certains endroits. Des fois, des ouvrages d’art ont cédé. Lorsque leurs homologues étaient préoccupés par la guerre contre Boko Haram et Séléka, lors de la dernière conférence semestrielle des gouverneurs, ceux de l’Ouest et du Nord-Ouest se plaignaient du piteux état de leur route.

Adolphe LeleLafrique, gouverneur du Nord-Ouest, n’en a pas beaucoup parlé, alors que le frein au trafic commercial avec le voisin nigérian se fait ressentir. Ironie du sort, Babadjou où les travaux se sont arrêtés est son village d’origine. On l’aurait alors accusé de faire du nombrilisme.

Lorsque Awa Fonka Augustine, gouverneure de la région de l’Ouest a évoqué la question, il s’en est trouvé pour railler l’originaire du Nord-Ouest qui se plaignait de la route « pour arriver chez lui », sans difficultés. « Les problèmes de route, il y en a partout dans la république », expliquent assez facilement les hiérarques du pouvoir lorsqu’on leur parle de l’urgence de certaines infrastructures.

Mais ici, la question se complique, en raison de sa portée symbolique. Des voix s’élèvent pour dire que la marginalisation a trop duré. Fin mai déjà, les voyageurs occasionnels du vingt-cinquième anniversaire du Social Democratic Front (Sdf) étaient surpris de constater à quel point le Nord-Ouest était coupé du reste du pays.

« C’est parce que les travaux se sont arrêtés à Babadjou et non à Santa que nous ne concluons pas que l’on voulait redessiner la frontière entre le Cameroun oriental et l’ancien Cameroun sous domination anglaise. Aller à Bamenda, c’est comme sortir du Cameroun », résumait alors un conseiller municipal Sdf de Douala II.

Lorsque la société Razel installe sa base-vie à Bamougoum il y a deux ans, les populations sont soulagées par ces travaux qui viennent enfin remettre leur région dans le circuit national. Les méthodes de travail de l’entreprise épatent les riverains. Avec un engin à décaper, elle remplace dans des délais appréciés les espaces où le vieux goudron a été enlevé.

Des particuliers en profiteront pour trouver de quoi tapisser leur cour glissante ou faire un chemin des champs. Il n’y a pas jusqu’à Emmanuel Nzete, le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Bafoussam, qui envoie y ramasser de quoi fermer momentanément certains trous dans sa « belle ville », devant les caméras de télévision. La nouvelle route est bonne. On y roule sans scrupules, en dehors de quelques dos d’âne abusifs.

Lorsqu’on part de Bafoussam, l’on se dit en traversant la ville de Mbouda, 25km plus loin, que Bamenda (moins de 60km audevant) sera atteint dans un maximum d’une heure. Quelle illusion ?

Mirages

A peine est-on sorti de la ville des avocats qu’on tombe sur un morceau de route en terre, on l’imagine bien poussiéreux en saison sèche, en tout cas boueux en saison des pluies.

« C’est ici que Razel a arrêté ses travaux. Nous avons appris que l’argent pour les travaux est fini et que par manque de confiance envers le gouvernement, elle a préféré arrêter. Les engins ont été transportés ailleurs, sans qu’ils aient réalisé le nouveau bitumage de ce fragment », explique un riverain, bien au fait des difficultés de ce tronçon qui dérange. Par ces temps, des jeunes vacanciers jouent aux cantonniers sur la voie. Avec de la terre ramassée non loin de la chaussée dégradée, ils remplissent les trous et tendent l’assiette, pour récolter la « motivation ».

Aller de Mbouda à Bamenda et vice versa ressemble à une punition, ou au moins à un exercice périlleux. « C'est regrettable de voir l'état du tronçon Mbouda - Bamenda en ce moment. Sa réhabilitation est largement inscrite dans le document de stratégie pour la croissance et l'emploi, outil de la vision du Cameroun à l'horizon 2035. Nous déplorons des lenteurs dans la mise en place des réformes tant structurelles qu'institutionnelles », réagit pour sa part un enseignant de l’Université de Ngaoundéré, préoccupé par la question.

Plusieurs fois, Patrice Amba Salla, le ministre des Travaux publics, a expliqué, avec un flegme déroutant, que des moyens suffisants n’avaient pas été trouvés pour la réhabilitation de l’axe Yaoundé – Bamenda, pour lequel il fallait 130 milliards Fcfa.

Bon gré mal gré, les populations de Babadjou et de la région du Nord-Ouest attendaient que la recherche des financements aboutisse. Ils ont pris l’habitude d’entrer et de sortir de leurs trous sans trop crier, jusqu’à ce que ces derniers jours, la route se mette à glisser.

« Dans les années 90, c’était plus aisé d’aller à Bamenda. Maintenant on perd du temps, on tombe en panne, on arrive fatigué et nerveux... C’est quand même embêtant qu’on se retrouve en 2015 avec une région du pays coupée des autres pour cause de pluie », regrette sous anonymat une autorité administrative. Pendant deux décennies, on a réduit les efforts, au motif que c’était une région rebelle. « Il ne fallait pas permettre à John Fru Ndi de se déplacer aisément ».

On voudrait bien encourager les sécessionnistes qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Auteur: Franklin Kamtche