A l'heure où l'actualité camerounaise vibre au rythme des nouvelles d'enlèvements des personnalités et autorités dans les régions anglophones et des publications des vidéos mettant en scène les otages, Cameroonvoice analyse une situation qui dévoile progressivement des relents de conspiration entre le gouvernement de Yaoundé et ses prétendus ennemis jurés, les sécessionnistes. Et se demande, dans le cas contraire, si les séparatistes ne seraient pas en train de suivre les traces des tortionnaires de ce que leurs communicateurs appellent "LRC" ou « La Ripoblique dou Cameroun » (Lisez "La République du Cameroun", en y mettant l'accent anglo-saxon.
Deux vidéos ont été mises en circulation samedi sur les réseaux sociaux. L'une, scandaleuse, digne des sulfureuses vidéos d'Al Qaida ou de Daesh, montre un éminent universitaire la soixantaine largement dépassée, assis à même le sol et n'ayant pour seul vêtement qu'un caleçon.
Il s'agit du Président du Conseil d'Administration (PCA) du Cameroon General Certificate of Education (GCE) Board, le Professeur Ivo Leke Tambo. L'autre aussi pitoyable que honteuse, montre des individus présentés comme des éléments du mouvement séparatiste anglophone, interceptant un car de transport interurbain dont le conducteur est torturé et humilié.
Si cette deuxième vidéo à lire vraiment entre les lignes n'est pas un montage destiné à discréditer les sécessionnistes, c'est que le mouvement est en train de s'engager sur une pente dangereuse qui découragera à coup sûr ceux qui, jusqu'alors, recommandent aux autorités camerounaises engagées dans une répression sanglante de leur mouvement, de privilégier l'option d'un dialogue immédiat et sincère.
En effet, si les assassinats crapuleux des éléments de l'armée et de la police camerounaises et les enlèvements de personnalités par les éléments des branches armées de la mouvance séparatiste anglophone du Cameroun peuvent être considérés comme des actes de guerre -compréhensibles, au sens où cela constituerait des réponses désespérées aux tout aussi condamnables meurtres des populations anglophones, leurs arrestations/détentions arbitraires et les incendies de leurs villages au nom de l'"unicité" et de l'"indivisibilité" du Cameroun ou de la "lutte contre le terrorisme" par les forces armées gouvernementales -, il en va autrement des séquestrations et de la torture des personnes innocentes, c'est-à-dire nullement impliquées dans la gestion de ce que l'on appelle couramment ici « la crise anglophone », par des quidams qui ont juré de « rendre le Cameroun ingouvernable ».
Infliger des traitements inhumains et dégradants à des voyageurs et transporteurs comme l'indique la vidéo ci-dessus, il n'y a pas mieux pour donner une allure de grand banditisme et de terrorisme à la lutte pour la reconnaissance des droits civiques de la minorité anglophone.
Et les leaders de cette cause devraient très rapidement se séparer des chiens enragés dont recèlent leurs rangs, sous peine de la délégitimer complètement, et de causer une sorte d'union sacrée des Camerounais autour des autorités de Yaoundé, qui ont pourtant déjà perdu, en raison de leurs incessants errements, la légitimité nécessaire pour résoudre les problèmes auxquels le Cameroun fait face, y compris la menace de sa partition.
Ces faits anodins qui rendent les "enlèvements" énigmatiques
A la suite de l'enlèvement samedi à Alou, une localité du département du Lebialem (région du Sud-ouest) du Professeur Ivo Leke Tambo, Président du conseil d'Administration du GCE Board (pendant anglophone de l'Office du Baccalauréat dans les régions francophones), ainsi que de 33 ou 35 autres personnes dont des étudiants de l'Université de Dschang, les kidnappeurs qui appartiendraient à l'Ambazonia Defence Force (ADF, en français Force de défense de l'"ambazonie"), auraient demandé une rançon de 100 millions de FCFA pour sa libération.
Quelques jours plus tôt, nous apprenions que des personnes revendiquant leur appartenance aux groupes qui ont perpétré, courant février, les kidnappings du sous-préfet de Batibo et du délégué régional du ministère des Affaires Sociales pour le Nord-ouest, qui réclamaient le versement des rançons de quelques millions de francs CFA en échange de la libération des illustres otages.
Tout ça pour ça ? Se sont demandés de nombreux observateurs, conscients du fait que quelques millions versés à des désœuvrés ne résoudront nullement le problème capital de la marginalisation de la minorité qui a toujours été mis en avant depuis le début de l'insurrection de cette partie du Cameroun en 2016, pas plus que cela ne différencie les auteurs de ce marchandage des terroristes de la secte soi-disant djihadiste Boko Haram.
Un remake de l'affaire des rançons Boko Haram ?
Or un suivi rigoureux des paroles et images des différentes vidéos, en l'occurrence celle, relative au kidnapping du Pr. Leke Tambo, permet de se rendre compte que ces demandes n'y sont mentionnées nulle part. Ce qui amène à se poser la question de savoir, qui a vraiment intérêt à ce que le gouvernement débourse des dizaines de millions pour une soi-disant libération d'otages.
Un questionnement d'autant plus pertinent qu'il y a quelques années, le gouvernement camerounais avait par deux fois déboursé des milliards pour payer de prétendues rançons exigées par Boko Haram en échange de la libération de certaines personnalités étrangères enlevées au Cameroun.
Or par la suite, il y a eu des éclats de voix entre les plénipotentiaires de l'Etat camerounais qui avaient été chargés de « négocier avec les terroristes », et des personnes qui avaient « servi de contact entre les parties ». Les "contacts" se plaignaient de n'avoir pas reçu leur part de ce qui s'apparentait à un deal entre bandits en col blanc pour spolier l'Etat de quelques milliards sous prétexte d'acheter la liberté des victimes d'enlèvements terroristes.
A la grande surprises des analystes, ce sont les dénonciateurs plaintifs de ce hideux marché de dupes qui furent mis au frais, et les personnalités indexées continuèrent ou continuent de se la filer belle.
Mais les plus grosses curiosités se trouvent ailleurs
Et ce ne sont pas là les seules curiosités de ces enlèvements à répétition. Car comment explique-t-on qu'après le spectaculaire enlèvement du Professeur Tambo Leke et de quelques dizaines de personnes qui s'étaient rendues à Alou samedi pour remercier le président Paul Biya d'avoir récemment nommé un fils du coin, Paul Tasong Njukang, aux fonctions de ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie, tous les otages, à l'exception du Pr. Tambo Leke, aient été "inconséquemment" libérés quelques heures plus tard par les sécessionnistes, qui prennent ainsi le risque que leur repaire ou des indices pouvant in fine y mener, soit dévoilé aux forces ennemies de « La Ripoublique » ?.
Bien plus, on voit sur une des vidéos publiée dans le cadre de ce triste événement, des hommes armés menaçant les passagers d'un bus aux vitres brisées par des balles. Seul le conducteur du véhicule qui est sorti du bus par une portière passagers et non la portière chauffeur –curieux, non ?- est assis à même le sol, hors du bus, priant les ravisseurs armés -qui pointent un fusil sur sa tête de ne pas lui faire du mal et protestant –en anglais- de son innocence. Cependant pour un véhicule dont les vitres et le pare-brise ont été brisés par des tirs d'armes à feu, on constate que de nombreux passagers sont tranquillement assis sur leurs sièges, et qu'il n'y a aucun blessé ni mort, en dehors d'une personne qui aurait été blessé par balle alors qu'il tentait d'enlever les barricades posées sur la route par les sécessionnistes.
Le comble, c'est quand on entend une voix poser, dans un français limpide -alors que les ravisseurs sont censés être des anglophones- la question suivante : « Je finis avec lui ? », et une autre voix qui répond : « Non, non, non ! Ça va ! Ça va ! » mettant ainsi fin au supplice du conducteur du bus, dont les passagers sont par ailleurs restés visiblement aussi impavides que des enfants regardant avec distance et fascination, le dépeçage par les adultes sur la place du village d'une grosse proie.
Par ces temps où des rumeurs plus ou moins fondées font état de la collusion entre certains (anciens) ministres en mal de positionnement pour l'après-Biya et des Camerounais anglophones pour que ces derniers fassent semblant d'adhérer à la menace de partition du pays en posant des actes extrêmes, on peut se demander si tout ce à quoi l'on assiste ces derniers temps ne participe pas des manœuvres de ces personnages ripoux qui passent le clair de leur temps à faire croire à Biya qu'il est la providence du Cameroun alors qu'en réalité ils ne songent qu'à le dégager même au prix de la vie des Camerounais.
A moins qu'il ne s'agisse autrement d'une autre de ces astuces d'un régime décadent qui, à la veille d'une élection présidentielle qui s'annonce chaotique, se serait mis en tête de s'allier les services de quelques fauteurs de désordre sécessionniste, pour créer l'instabilité et détourner l'attention et la vigilance des Camerounais de leurs véritables préoccupations relatives à l'alternance à la tête de l'Etat.
La politique, a-t-on coutume de dire, est aussi, soit dit en passant, l'art de la plus ingénieuse manipulation et des magouilles les plus infernales.
Sinon, il faudra qu'un jour quelqu'un explique pourquoi tant de drames ont pu être possibles dans les régions anglophones entre le dernier trimestre 2016 et ce premier trimestre 2018, depuis les écoles, lycées, collèges (privés laïcs ou confessionnels), marchés et autres bâtiments publics incendiés par les sécessionnistes, jusqu'aux soldats et policiers assassinés dont des organes ont été prélevés par les mêmes sécessionnistes, alors que l'Etat n'a ménagé aucun effort en termes de déploiement des forces de défense et de sécurité, pour juguler le péril terroriste.