Pour la majorité des Camerounais, il est clair que le président et son régime sont la première difficulté au développement du pays, précise notre chroniqueur.
Après la déclaration symbolique d’indépendance du mouvement sécessionniste ambazonien au Cameroun, le 1er octobre, et la répression qui a accompagné les manifestations qui se sont déroulées dans différentes localités des régions anglophones, la question qui se pose au peuple camerounais est celle de savoir jusqu’où il est prêt à aller pour sauvegarder « la paix », idée centrale dans la mythologie politique camerounaise ?
Pour l’heure, le consensus est que le « dialogue » serait la solution au « problème anglophone ». Que cette option fasse l’unanimité révèle l’ampleur de l’impasse dans laquelle se trouve le pays. Le 6 octobre, Fame Ndongo, secrétaire à la communication du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir), déclarait au micro de RFI que « le dialogue a eu lieu ». Il confirmait en outre que « la forme de l’Etat est non négociable », et il réduisait les acteurs de la revendication anglophone à une « minorité d’extrémistes ».
Loin d’être une surprise, cette rigidité est l’un des marqueurs fondamentaux du régime Biya. Paul Biya ne « dialogue » pas : il réprime. De toute façon, quand bien même voudrait-il dialoguer que son déficit de légitimité politique, après des mois d’une répression aveugle, rendrait un face-à-face entre lui, ou son régime, et les leaders du mouvement sécessionniste improbable. Ceux-ci le récuseraient immédiatement.
Un contexte de fin de règne
La seule option réaliste serait alors le recours à une médiation étrangère. Si elle paraît souhaitable, une telle option est en réalité dangereuse. En effet, presque par définition, les médiations internationales accouchent de compromis qui n’arrangent jamais les pouvoirs en place. Or, à la veille d’une échéance électorale forcément périlleuse, et dans un contexte de fin de règne, le régime Biya ne peut se permettre d’apparaître faible ou fragilisé.
Contraint d’appliquer des résolutions qui lui seraient imposées de l’extérieur, il y a tout lieu de penser que, sous la pression de faucons qui n’auraient plus rien à perdre, il opterait pour la politique de la terre brûlée. Comme cela s’est vu à plusieurs reprises par le passé, un « accord » issu d’une médiation internationale serait l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres.
Un changement majeur, certes peu souligné, s’est produit depuis le début de la « crise anglophone » qui rend encore moins convaincante l’hypothèse du dialogue comme réponse à cette crise. La surdité du régime Biya et le choix d’une répression systématique ont transformé des revendications corporatistes en problème identitaire.
Au passage, et de façon logique, les leaders initiaux du mouvement – des personnalités raisonnables – ont été marginalisés et remplacés par des figures radicales et souvent irresponsables.
Cette mutation est hautement déplorable, car si des revendications corporatistes peuvent se résoudre par le « dialogue », il en est autrement des revendications identitaires. Pour les tenants de l’anglophonie identitaire, la sécession n’est plus seulement une – meilleure – alternative au fédéralisme : elle est un impératif vital.
Tant qu’il en sera ainsi, peu importe les déclarations publiques, et peu importe le temps que cela prendra, la lutte armée sera l’objectif du mouvement ambazonien. Le Cameroun sera alors structurellement déstabilisé.
Désamorcer « la bombe identitaire »
Pour sortir de cette sinistre équation, il est urgent de désamorcer « la bombe identitaire », ce qui replacerait « le problème anglophone » sur le terrain purement politique et redonnerait du souffle aux voix modérées. Or le seul moyen de modifier les termes du débat serait le départ du président Biya. Pour la majorité des Camerounais, il est clair depuis longtemps que Paul Biya et son régime sont le principal obstacle au développement du Cameroun.
D’une certaine manière, ceux-ci ont accepté de subir les affres de la paupérisation tant que le président du Cameroun garantissait ce qu’il appelle pompeusement « la paix ». C’était un contrat implicite entre le peuple et leur dirigeant. A la lumière de la crise actuelle, il est désormais indiscutable que le président Biya est aussi le principal obstacle à la paix dans son pays. Son image de garant de la stabilité apparaît pour ce qu’elle est : le fruit d’une propagande orchestrée par son régime.
Dès lors, les Camerounais devront choisir entre Paul Biya et le Cameroun. Dans le contexte actuel, chaque jour que celui-ci passe à la tête de l’Etat rapproche le pays du précipice. Pour espérer obtenir une transition politique, deux conditions sont nécessaires, à défaut d’être suffisantes : l’opposition doit s’unir autour d’une figure consensuelle et exiger la démission du président camerounais.
De son côté, la société civile camerounaise, soutenue par la diaspora, doit accompagner une telle démarche en donnant de la voix pacifiquement, mais résolument. Mais l’opposition camerounaise saura-t-elle répondre à l’exigence de l’Histoire ? La société civile saura-t-elle prouver son attachement à la paix ?