Assassinat de Martinez Zogo : un crime d’État ?

Vivement que les enquêtes de l’assassinat de Zogo s’élucident

Thu, 16 Mar 2023 Source: Boulou Ebanda De B’béri

J’ai appris à lire avec les aventures de Blek le Roc (un grand baraqué aux cheveux dorés) et de Miki le Ranger (un maigrichon de cowboy à la gâchette très rapide, bel homme brun). Il y en avait d’autres. Mais ces deux justiciers blancs européens qui semblaient, avec leurs drôles de coéquipiers, vaincre tous les méchants qui venaient menacer la stabilité des Amériques occupées étaient mes préférés. De mon Cameroun natal, ils étaient toujours les bons « les acteurs » et jamais les chefs bandits, les méchants, jusqu’au jour où j’ai découvert ce que signifiait le néocolonialisme: une façon très, très, très simple de se redorer le blason après avoir bêtisé.

Car si le colonialisme est l’exploration des terres exotiques vierges, et leur pénétration pour maîtriser et conquérir tous ses recoins, le nouveau colonialisme a toujours l’air innocent, il n’exploite plus, mais fait tout pour maintenir le pouvoir sur ses terres déviergées, ces terres conquises. Cet ainsi que Blek et Miki se présentaient en sauveurs venus rectifier les crimes de leurs ancêtres et de leurs contemporains d’ailleurs ; ils luttaient aussi bien contre les méchants « Tuniques rouges », ces soldats du Roi d’Angleterre venus coloniser les Amériques, que les « méchants Indiens » qui n’en étaient vraiment pas des Indiens d’ailleurs, mais des Autochtones d’Amérique. On le sait aujourd’hui. Les acteurs d’hier étaient les méchants d’aujourd’hui, mais bon, pas tout à fait. Mais nous ne découvrirons la complexité de leur position que bien plus tard ! Ils n’étaient pas pires que les colons.

Ils étaient des colons avec des mots charmants. Ils n’étaient pas des saints, mais tout de même, ils parvenaient à régler leurs comptes à quelques autres criminels qui voulaient, eux aussi, une partie de la manne coloniale. Je me suis ensuite nourri de SAS de Gérard de Villiers. Captivante lecture, les aventures de Son Altesse sérénissime le Prince Malko Linge, agent secret de la fameuse Central Intelligence Agency (CIA). SAS m’apprit que la vie n’était jamais et ne pourrait jamais être une affaire simpliste (je n’ai pas dit simple). Dans les affaires de la vie, il faut toujours poser des questions difficiles, car 1+1 n’est presque jamais égale à 2.

Colombo, l’inspecteur de la série télévisée du même nom, viendra confirmer cette formation de lecteur attentif. Ces deux personnages ont nourri mon adolescence, l’un dans le polar d’espionnage qui me transportait dans des mondes et des univers qui ressemblaient bien à mon Cameroun d’aujourd’hui, de Bagdad à Istanbul, de Moscou à Tunis en passant par San Antonio ou Port-au-Prince ; et l’autre, avec sa veste pardessus kaki et son regard toujours perdu, un oeil vers le Nord et l’autre vers le Sud-Ouest, m’entraînait dans les demeures huppées des richissimes Américains. On se dirait à notre Yaoundé d’aujourd’hui, dans les belles villas de Bastos, Étoudi, et Santa Barbara, etc. Ici, nous comprendrons que l’histoire d’un homme marié qui meurt pendant le cambriolage de sa maison en présence de sa femme qui s’en sortirait avec quelques écorchures serait aussi bien mystérieuse que la mort d’un des membres du couple à la suite d’un accident de voiture avec les mêmes écorchures ; rien n’est élémentaire, même pas la fatalité.

Ici et là, il aurait toujours une question surprenante qui surviendrait avant la fin de l’histoire. Il y avait toujours un élément, un tout petit détail qu’on avait oublié, par négligence ou par ignorance. Il avait toujours un élément inattendu, car la vie n’est pas si simple que ça, jamais ! La vie ne saurait être réduite à la simplicité, surtout quand il s’agit d’un « crime d’État, » un gros mot que j’ai entendu prononcer l’autre jour par un journaliste de RSF sur TV5. Un crime d’État, dans les polars tout comme dans la vie de tous les jours, n’est donc pas, a priori, une simple affaire. Il est fondamentalement organisé, avec des tournures inattendues, de mystères, des fausses pistes, etc. Ce qu’on s’attendrait à être une opération mentale simple, par exemple que 1+1=2, s’avérerait toujours, et cela de manière inéluctable, injuste, pas faux, mais pas vraie non plus, paradoxalement injuste. En plus, à 100% généralement, ce n’est point là où tout le monde regarde que la solution ou l’énigme du crime se trouverait. Il faudra chercher ailleurs, souvent même, selon Colombo, là où l’on pense le moins sinon ce serait trop simpliste…

Un crime d’État aurait toujours des ramifications tentaculaires, presque rhizomiques, car comme les racines d’un arbre, ses tentacules – influenceurs contemporains et tireurs de ficelles de tout genre dissimulés derrière leurs écrans, leur clan, leur bureau ou leur sous-sol – pointent toujours vers des directions simplistes, le tronc. Si le fruit d’une branche pourri avant celui d’une autre branche du même arbre, c’est évidemment la faute du tronc qui porte toutes les branches… Mais comme la vérité finit toujours par transparaître, en effet, à travers ses multiples détours, par ci et par là, elle chute toujours, enfin, sur la vraie racine, la cause de la pourriture des fruits d’une des branches. Elle va démasquer les vrais criminels et dédouaner les faux. C’est franchement compliqué, les crimes d’État, mais c’est toujours comme cela qu’ils finissent, sur la vérité.

Vivement que les enquêtes de l’assassinat de Zogo s’élucident très vite afin que sa famille et les 30 millions de Camerounais que nous sommes fassent notre deuil une bonne fois pour toutes. Vivement que les « vrais » coupables soient accusés, jugés, et punis, afin que nous sortions de cette condition d’otage dans laquelle quelques sbires assoiffés de pouvoir veulent nous enfermer. Vivement que ce crime d’État soit clarifié, comme dans SAS ou dans Colombo, car nous avons simplement marre de ces turpitudes politiciennes et tribales, honteuses et méprisables qui toupillent nos têtes comme une bille sur une roulette de jeu de hasard, et qui, surtout, jettent notre pays au bas fond de la merde. Y-en-a-marre, franchement !

Auteur: Boulou Ebanda De B’béri