L’atmosphère est tendue en ce 6 novembre à Bamenda, capitale d’un Nord-Ouest frondeur. Les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) sont présents pour célébrer le 35e anniversaire de l’accession au pouvoir de Paul Biya.
Alors que la ville est secouée par les courants fédéralistes, voire sécessionnistes, ils ne sont pas forcément les bienvenus. Mais le président ne peut se permettre de perdre du terrain. Surtout, il a toute confiance en Paul Atanga Nji, le représentant local de son parti, l’homme qu’il a chargé d’organiser les célébrations.
Secrétaire du Conseil national de sécurité
Difficile d’imaginer que ce quinquagénaire qui promène son chariot dans les allées de son supermarché préféré, au cœur du quartier de Bastos, à Yaoundé, est l’une des clés de voûte du système de Paul Biya. Pourtant, le chef de l’État l’emmène partout, ou presque?: à New York, pour les assemblées générales de l’ONU, ou à Genève, son lieu de villégiature favori.
Il le reçoit en tête à tête, y compris au palais d’Etoudi, où Atanga Nji dispose d’un bureau en tant que ministre chargé de mission à la présidence, poste qu’il occupe depuis dix ans, et secrétaire permanent du Conseil national de sécurité – une fonction qui lui donne la haute main sur le monde du renseignement.
Paul Biya aime la discrétion de cet anglophone parfaitement bilingue attaché à l’État unitaire et sait que ses contacts dans le Nord-Ouest lui sont précieux.
Un jeune talent
Né en 1960 à Bamenda, Paul Atanga Nji aurait pu embrasser une carrière de banquier ou, comme la majorité de ses frères et sœurs résidant aux États-Unis, de médecin ou de pharmacien. Après des années en collège missionnaire, puis au lycée de Bamenda, il traverse la frontière en direction du Nigeria pour poursuivre des études de finance.
En 1980, il est choisi, dans le cadre d’un programme de découverte de jeunes talents, pour rencontrer le président sénégalais Léopold Sédar Senghor à Dakar. Celui-ci démissionnera la même année, laissant son fauteuil à Abdou Diouf, mais Atanga Nji n’a pas oublié le privilège, dont il s’enorgueillit encore. L’épisode est-il à l’origine de son engagement politique?
En 1987, alors qu’il est devenu président des Jeunes opérateurs économiques du Cameroun et qu’il a lancé son propre établissement bancaire (Global Finance, devenu Afriland Highbank Corporation), il rencontre pour la première fois Paul Biya, président depuis cinq ans et de passage à Douala.
Influent dans le secteur bancaire
Le courant passe. Le chef de l’État l’introduit auprès du ministère de l’Éducation, puis de ceux de l’Agriculture et de la Santé. Il le présente aussi à Justin Ndioro, le ministre des Finances, auquel Atanga Nji fait part de ses idées. C’est alors qu’il prend la tête d’une commission de réflexion chargée de réformer le secteur bancaire, au sein de laquelle l’ancien ministre Étienne Ntsama est vice-président.
Peu à peu, Atanga Nji gagne en importance, auprès du gouvernement mais aussi auprès des médias, dans lesquels il écrit de nombreuses tribunes libres. Il se rapproche d’Adolphe Moudiki, déjà patron de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), et surtout de Jean Fochivé. Le patron du renseignement camerounais lui apprend les ficelles du métier, qu’il a lui-même héritées du Français Jacques Foccart.
Le jeune banquier bascule dans le monde de la sécurité et du renseignement, quitte à se salir les mains. En 1991, c’est lui qui a l’idée de réquisitionner les motos-taxis à Yaoundé, à Douala et dans les autres grandes agglomérations pour contrer les opérations ville morte du Social Democratic Front (SDF).
« Briseur de grève », selon ses détracteurs, Paul Atanga Nji a choisi son camp. Farouche partisan de Paul Biya, il est celui qui s’opposera à John Fru Ndi sur ses terres, sans toutefois jamais se présenter à une élection locale. « Il est anti-Fru Ndi jusqu’à la moelle épinière », confie un de ses visiteurs réguliers.
Proche des grandes familles du Nord-Ouest
Si, depuis plus de dix ans, Paul Biya le garde auprès de lui, c’est parce qu’il est l’une de ses cartes maîtresses dans le jeu anglophone. Fils de Marceline et de Joseph Atanga – une des plus grosses fortunes du Nord-Ouest et aujourd’hui centenaire –, il côtoie depuis toujours les grandes familles de la région comme les Muna (son père était proche de l’ancien Premier ministre Solomon Tandeng Muna) et les Foncha.
C’est dans l’hôtel de son paternel, le Bamenda Highland, que s’est négociée la réunification du pays en 1961 et ce sont les véhicules de sa famille, dont il gère aujourd’hui la fortune, qui ont alors permis le déplacement des délégations.
La cible de l’opposition
Il est en outre en bons termes avec l’autorité traditionnelle incontestée des environs de Bamenda, Fon Angwafor III, membre comme lui du comité central du RDPC, et il cultive sa proximité avec Simon Achidi Achu, sénateur du Nord-Ouest.
« C’est la personne la mieux connectée de la région, ce qui explique pourquoi le président le tient en très haute estime », explique un habitué d’Etoudi, qui concède qu’il y a un revers à cette médaille?: « Beaucoup le trouvent trop proche de Paul Biya. Il a perdu le respect de certaines élites anglophones, en même temps qu’il est devenu une cible pour certains médias d’opposition. »
« C’est un dangereux fanatique », glisse un cadre du SDF. Mais peu importe au ministre, qui a d’ores et déjà apporté son soutien au chef de l’État pour sa réélection en 2018, lui souhaitant un « large plébiscite ».
Ambition au gouvernement
Fervent catholique (il se rend à la messe chaque matin à la cathédrale de Yaoundé), Atanga Nji place tous ses espoirs en Paul Biya. Il pourrait en être récompensé, d’autant qu’il s’entend bien avec le second maître d’Etoudi, le directeur du cabinet civil, Martin Belinga Eboutou?: depuis plusieurs mois, son nom circule avec insistance à Yaoundé.
Il pourrait atterrir au ministère de la Défense lors d’un prochain remaniement. Certes, Paul Atanga Nji apprécie son relatif anonymat, alors qu’il sillonne les pentes du mont Fébé au volant de son 4×4, échange quelques balles de tennis au club d’Augustin Mfouda Onambélé, ou se détend au restaurant Le Cannibale… Mais il est aussi certain qu’il ne manque pas d’ambition et qu’il sait reconnaître une opportunité quand elle se présente à lui.