Corruption et absence de coordination des services de sécurité plombent l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Les terroristes de Boko Haram ont, une nouvelle fois, frappé Maroua, dans la nuit du 25 juillet 2015. Portant à cinq, le nombre d’attentats perpétrés sur le sol camerounais, en l’espace de deux semaines seulement.
De fait, le Cameroun figure désormais sur la carte des pays, nombreux, touchés par ce cancer des temps modernes qu’est le terrorisme. L’honnêteté recommande de dire que nous n’allons pas en être guéris de sitôt, car l’expérience montre que l’on n’éradique pas cette maladie en quelques mois, une, deux ou trois années. Il nous faudra donc un peu de temps pour le circonscrire. Et encore, faudrait-il qu’en lieu et place des incantations et autres décisions populistes, nous fassions montre d’une grande lucidité.
Déjà, prendre conscience de ses limites et s’ajuster sont une prescription qui aidere à soulager considérablement la douleur. Sur sa détermination à venir à bout de la menace Boko Haram, le gouvernement ne peut pas être pris à défaut. C’est tout à son crédit. Pas un attentat ne s’est déroulé jusqu’ici sans qu’il n’annonce un train de mesures.
Certains affirment toutefois qu’il court après le vent, car à ce jeu, les terroristes auront toujours une longueur d’avance; il suffira pour eux de concentrer leurs efforts sur ce qui n’est pas interdit dans l’environnement de leur cible, l’une des particularités camerounaises étant d’avoir laissé à la discrétion des autorités locales, le choix des «bonnes mesures». La burqa a été interdite à Maroua, après le double attentat de Fotokol..
Boko Haram lance sur la ville une jeune fille d’à peine 13 ans et une autre dont l’âge oscille entre 23 et 25 ans. La première kamikaze est vêtue comme les jeunes filles de son âge, et la seconde porte un «lafaye» qui laisse transparaître son visage. Et voici la vigilance citoyenne mise à rude épreuve ! L’attentat du 25 juillet 2015, perpétré toujours par une jeune fille, prouve une fois de plus l’ingéniosité des terroristes.
Cette fois-ci, la bombe aurait été placée dans le foulard noué sur la tête du kamikaze. Sous la tutelle de l’Etat Islamique (EI), Boko Haram peut se targuer de disposer d’un parrain dont l’expérience fait autorité en la matière. Tant de théâtres d’opérations et de cobayes humains l’aident à améliorer ses techniques macabres. Le terrorisme est-il pour autant un problème insoluble ?
Non, si l’on considère que la seule réponse à lui apporter n’est pas seulement sécuritaire. Pour les terroristes de Boko Haram, les attentats, sont entre autres, un moyen pour atteindre un objectif hautement plus stratégique : l’affaiblissement de l’Etat par la périphérie. Une population apeurée, rongée par la division et par les querelles religieuses, plongée dans le chaos en raison de l’insécurité ambiante, est une terre promise, un eldorado où ils peuvent tranquillement s’implanter. Dans ces conditions, l’unité est une arme de destruction massive contre les terroristes, la première dont disposent les populations d’un pays pour se dresser efficacement contre eux.
CORRUPTION ET COORDINATION
Si les populations doivent cultiver l’unité pour garder solides les fondations de la Nation, le gouvernement serait bien inspiré, pour sa part, de se montrer intraitable avec les pratiques qui nourrissent les desseins des terroristes. En premier lieu : la corruption des forces de défense et de sécurité qui a empiré dans la région depuis 2013. Que, dans un contexte aussi capital pour l’avenir du pays, policiers, gendarmes et militaires ne renoncent pas à cette vieille pratique, est dangereux pour l’issue de la guerre. Au commissariat de sécurité publique de Mora, des certificats de perte de la carte nationale d’identité continuent d’être délivrés négligemment, moyennant des sommes oscillant entre 50 et 100.000 Fcfa.
De si fortes sommes versées pour un document dont la validité n’excède pas deux mois, c’est tout simplement hallucinant. Quid des laissez-passer délivrés à Mora, et régulièrement saisis à Maroua ? Que des cars faisant la navette entre Mora et la ville frontalière de Kerawa échappent aux fouilles parce qu’un bakchich de 30.000 Fcfa est versé au poste de contrôle, réduit considérablement les efforts entrepris pour affaiblir Boko Haram… Boko Haram se nourrit des failles du système, et dire que la corruption est aujourd’hui l’un de ses meilleurs alliés ne serait pas exagéré. Les interdictions administratives limitent la marge de manoeuvre des terroristes, mais elles ne s’attaquent pas à l’essentiel : son infrastructure. Certes, il serait maladroit de désigner un fautif, mais reconnaître que du chemin reste à parcourir pour gagner en efficacité dans la lutte contre le terrorisme n’est pas faire preuve d’antipatriotisme. S’adapter doit être le crédo du gouvernement, et l’anticipation, sa quête permanente.
Cependant, sa tâche la plus urgente doit consister en l’amélioration de la coordination de ses opérations contre le terrorisme, car arrêter un terroriste c’est bien; démanteler un réseau, neutraliser un recruteur, comprendre le fonctionnement de ses cellules dormantes… c’est encore mieux. Or, sans coordination de l’appareil sécuritaire, la tâche peut paraître titanesque. Qui s’occupe aujourd’hui de la lutte anti-terroriste au Cameroun ? Est-ce la Direction générale des Renseignements extérieurs (Dgre) ? Est-ce la Police ? La gendarmerie ? L’armée ? Ou alors, chacune de ces structures dispose-t-elle en son sein d’un dispositif approprié pour faire face au terrorisme ? Qui centralise et coordonne dans un marigot où chaque service veut toujours passer pour être le plus beau auprès du chef de l’Etat ?
La création d’un Bureau spécial de lutte contre le terrorisme pourrait résoudre le problème de la centralisation des informations, aujourd’hui encore éparses, et apporter une certaine efficacité dans la conduite des enquêtes et donc, dans la collecte de l’information.
Combien de suspects a-t-on laissé filer parce que des enquêteurs, habitués à traiter des «affaires de quartier», avaient été affectés à une tâche pour laquelle ils manquaient cruellement d’expérience ? Une semaine avant la fête de ramadan, un suspect a été arrêté à Mora, alors qu’il voyageait. Il avait dissimulé dans un sac d’arachides, un bidon de 30 litres, vide. Les gendarmes l’ont relâché dans la journée… La centralisation de l’information et la formation d’un personnel essentiellement dédié à la connaissance et à la traque des terroristes de Boko Haram peuvent être d’une grande utilité.
DROITS DE L’HOMME Lutter contre le terrorisme, c’est aussi se doter d’un matériel adéquat pour faire face à la menace. Ça urge ! Les derniers attentats ont montré à la face du monde que nos forces de sécurité intervenaient sur les lieux dans un désordre et sans un équipement particulier. Tant et si bien qu’une deuxième explosion, technique généralement prisée par les terroristes, est la garantie d’un massacre. Enfin, le gouvernement ne doit pas hésiter à sanctionner les abus dont peuvent se rendre coupables certains éléments des forces de défense et de sécurité, sous le couvert de la lutte contre le terrorisme. Rackets, intimidations, arrestations abusives…
L’expérience du Nigeria montre que ce n’est pas en terrorisant la population qu’on en vient à bout du terrorisme. Si jusqu’ici, le gouvernement s’est montré implacable sur la question des droits de l’Homme, il reste que des îlots prospèrent. C’est le cas de la brigade de gendarmerie de Darak et du détachement de l’armée stationné à Bargaram, dans l’arrondissement de Hilé Alifa. Donner le sentiment aux populations que la guerre, malgré les circonstances exceptionnelles, couvre les injustices est un mauvais signal au concept de «Défense populaire» sur lequel les théoriciens de la guerre actuelle fondent beaucoup d’espoir.