'Au Cameroun, la calibration du 1er mai est basée sur des réjouissances populaires'

Des hommes faisant la fête dans un bar

Mon, 1 May 2023 Source: Les Chroniques de Lionel Mouaga

En principe, le 1er mai est l’occasion pour les travailleurs de manifester et faire des doléances au gouvernement ou leurs employeurs sur leurs conditions de travail. Dans certains pays du globe, la fête du travail est synonyme de manifestation, de rassemblement autour d’une cause commune.

En France par exemple, la fête du Travail, ce lundi 1er mai, sera placée sous le signe de la contestation de la réforme des retraites. Au Cameroun, la réalité est tout autre car la fête est généralement basée sur des réjouissances populaires dans des bars, restaurants, espaces de fête de la ville. Pourtant, ce jour commémore le combat de millions de travailleurs pour un mieux-être au travail. Lorsque le travail moderne a commencé, il n’y avait pas de durée légale du travail, pas de salaire minimum, ni de sécurité sociale, encore moins de congés annuels. On ne parlait pas de la liberté syndicale. C’est grâce à la lutte des travailleurs, qui ont payé souvent le prix fort de leur vie, que ces minima ont été instaurés.

Malheureusement ces règles minimales ne sont pas toujours respectées. Le 1er mai donne l’opportunité aux syndicats de rappeler ces règles violées et faire des revendications "Résilience et travail décent : agir ensemble au sein du monde du travail pour améliorer les conditions de vie et l'inclusion sociale ". En réponse, comme d’habitude, le gouvernement a réaffirmé son ouverture quant aux échanges avec les partenaires sociaux et a présenté tous les efforts faits pour améliorer les conditions de travail et de vie des travailleurs comme augmentation du SMIG à 5%. De beaux discours… traditionnels. Du déjà vu. Et après ? Cela change-t-il quelque chose au quotidien des travailleurs ? Chacun y répondra.

Cette fête est hélas devenue juste un rituel au cours duquel on aura de longs discours, généralement pour se répéter en des mots différents, un défilé en journée et les réjouissances dans les débits de boissons en soirée. Une bonne part de travailleurs n’écoutera même pas ce qui sera dit alors que la cérémonie est organisée en son honneur ou bien ne connait même pas le thème retenu pour cette année et encore moins l'édition célébrée. Le syndicalisme perd pied.

Pour moi, il serait judicieux que les centrales syndicales aient une véritable plateforme unitaire d’échanges et d’actions afin que les travailleurs ressentent l’impact de l’action de leurs syndicats dans leur quotidien. C’est sur toute l’année que les revendications et actions communes doivent se faire et non seulement le 1er Mai.

Il faudrait arrêter de réagir au cas par cas, entreprise par entreprise, mais plutôt anticiper sur les difficultés rencontrées par les travailleurs par des travaux constants, des études prospectives, des propositions d’amendements de l’arsenal juridique, des conventions collectives sectorielles. Notre code du travail date de 1992 à quand des propositions pour la mettre en adéquation avec le monde du travail Trente un (31) ans après son entrée en vigueur quand on sait combien les choses ont changé?

Aujourd'hui, des compatriotes passent de nombreuses années au sein des sociétés privées ou parapubliques au Cameroun en qualité de temporaires c'est-à-dire sans matricule, sans rémunération convenable et stable, mais en proie à des licenciements abusifs et obligés de s’en remettre aux humeurs des dictateurs de patron.

Combien de frustrations des employés pourtant méritants, vivent-ils au quotidien au sein de leurs lieux de travail ? Plus triste encore, l’employé, sur une simple humeur du chef, peut à tout moment, être mis à la porte, sans surtout la moindre possibilité de se plaindre.

Le 1er mai au Cameroun, le patron que l’on aperçoit qu’à travers les fenêtres de son bureau, se montre soudainement gentil et affable. On oublie, le temps d’une journée, toutes les indigences cumulées pendant douze mois du fait d’employeurs véreux. Peu importe, chacun a reçu un T-shirt et une casquette aux couleurs de l’entreprise. Le directeur général a prévu à boire et à manger quelque part. Le directeur général a prévu à boire et à manger quelque part. On s’entasse comme on peut dans des camions, des cars, des taxis, des motos, ou des bus pour des entreprises un tant soit peu sérieuses. On fait du bruit jusque tard dans la nuit. On est content. Même si madame n’a rien préparé à la maison pour défaut d’argent de ration. Même si les enfants ne vont pas à l’école, même si les cotisations de l’employé ne sont pas reversées à la CNPS…Demandez en guise de curiosité à un «travailleur» ou un «employeur», ce que signifie «Fête du Travail», il vous répondra par exemple: «C’est notre jour de fête, nous devons aller au défilé, puis nous allons boire, manger et danser».

Si les ouvriers, mieux, les martyrs qui avaient versé de leur sang à Chicago (aux Etats-Unis) en 1886 pour revendiquer et donner un sens au 1er mai, jour historique, aujourd’hui banalisé, pouvaient par extraordinaire renaître, ils mourraient de nouveau. Et cette fois, pour de bon. Et comme sous notre ciel, les 1er mai se suivent et se ressemblent forcément, on se dit, à l’année prochaine.

Auteur: Les Chroniques de Lionel Mouaga