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Au Cameroun, la fierté ethnique tourne au ridicule

Destruction Ruben Um A Douala, ls chefs traditionnels ont détruit le site dédié au moment de Ruben Um Nyobé.

Sun, 27 May 2018 Source: C.W. Ekanga Ekanga

Camerounaises, Camerounais,

Chers compatriotes

Vous resterez à jamais des colonisés

Depuis Charles Darwin (1809-1882), les scientifiques nous disent que la vie est apparue sur un cycle d'évolution des espèces. Du singe, on est passé à l'homo habilis, l'homo erectus et l'homme sapiens. Sauf que dans le cas du Cameroun, le singe d'hier persiste à vouloir rester le singe d'aujourd'hui. Certains de nos "concitoyens" pensent peut-être même que l'évolution est illégale.

Et donc, hier à Douala, sur le site de construction d'un monument dédié à Ruben Um Nyobé, des "chefs traditionnels", supposés garants du patrimoine historique national, ont mis leur honte au placard pour aller démolir ce qu'ils considèrent comme une violation de "leur" territoire.

Non non, vous ne rêvez pas. Ce sont bel et bien des Camerounais qui s'indignent du fait qu'un monument en l'honneur d'un Camerounais soit dressé dans une ville du Cameroun. Si la sorcellerie existe, eh bien là voilà. La sorcellerie, c'est l'absence de logique rationnelle. N'allez pas chercher plus loin.

En gros, selon ces braves gens du canton Bell, il n'est pas normal qu'un Bassa trône en plein cœur d'une zone qu'ils considèrent comme propriété du "peuple" Duala. C'est tragique je sais, mais c'est comme ça. C'est le tribalisme dans toute sa splendeur. La preuve que le puits est profond.

Il est même sans fond : c'est un gouffre.

Pourtant, depuis la création de l'UPC (Union des Populations du Cameroun) en 1948 jusqu'à sa mort dix ans plus tard, Ruben Um Nyobé n'aura eu à cœur que le combat pour l'indépendance d'un pays, et non d'une tribu. Quand les Français l'assassinent comme une bête et le traînent dans la boue des heures durant attaché à un cheval, ils ne tuent pas un Bassa. Ils ne traînent pas dans la boue le représentant d'une ethnie. Ils tuent une figure de la résistance du Cameroun, voire de l'Afrique dans sa globalité.

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Seuls les Africains voient une différence fondamentale entre eux et se déchirent pour cela. Oui, le puits est sans fond.

Dans le même temps, l'année dernière, les mêmes chefs n'avaient pas hésité à bénir l'insipide "œuvre d'art" d'une artiste Française que personne ne connaît dans son propre pays, mais qui a pensé que le meilleur moyen de présenter des excuses de la France au Cameroun. C'était d'ériger une énorme affiche d'elle-même en plein cœur de la ville. C'était au lieu dit Mobil Bonakouamouang, lors du salon colonial, aka salon urbain de Douala.

Le jeudi 7 décembre 2017, l'activiste Essama André Blaise avait alors renversé l'hideux ouvrage, et fut interpellé pour cela par les autorités. Le même fut empêché l'année précédente, d'ériger une statue dédiée à John Ngu Foncha , vice-président de la République Fédérale du Cameroun.

Dans le même temps, Yaoundé possède une magnifique avenue dédiée à l'US-Président Kennedy, et un célèbre lycée au nom de Philippe Leclerc de Hautecloque, administrateur colonial improvisé , qui entraînera l'Afrique centrale dans la deuxième guerre tribale européenne, appelée ironiquement "Guerre Mondiale". Douala pour sa part, possède une somptueuse avenue Charles de Gaulle, et une énorme statue dédiée au même Leclerc, sans que cela ne gêne nos chers patriarches.

Pire encore, le lieu même où fut exécuté Douala Manga Bell est un Nomansland historique, sur lequel ils n'ont jusqu'ici pas songé à élever le moindre mémorial. Le palais Manga Bell surnommé "La Pagode " a été repris par des Libanais qui en ont fait une boîte de nuit, ou bière et luxure se côtoient dans un tapage musical indécent. Mais là où l'Africain sait montrer les muscles, c'est lorsqu'il faut s'en prendre à son frère Africain.

C'est la mentalité du colonisé. La raison pour laquelle l'esclave restera toujours esclave. Il n'y aura aucun miracle, et Dieu n'a aucune intention de venir nous aider.

Je ne sais pas comment on fait pour être tribaliste. C'est un manque d'intelligence, et rien que. J'en veux d'ailleurs profondément à nos familles, à nos parents, à nos sociétés, qui continuent, inconsciemment ou non, d'enseigner le repli identitaire aux jeunes générations, alors que chacun prétend le combattre. C'est une hypocrisie générale.

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Je ne suis ni Bassa, ni Douala, ni Bamileke, je n'ai rien à faire de votre fierté ethnique, de votre joie d'être Ewondo, Eton, Bororo ou Bakweri. Mon centre d'intérêt, c'est l'Afrique entière. Je parle de Um Nyobe, de Sankara, de Modibo Keïta, de Lumumba etc ... parce que je sais que c'est en bloc qu'on sera puissants. Vous êtes seuls, alors vous êtes faibles. Vous préférez le cloisonnement au rassemblement. C'est pour ça que le colon a eu la tâche aussi facile.

Quand j'ai choisi d'aller exposer hier sur l'enjeu tribal au forum de Giessen, j'ignorais qu'au même moment, la confirmation de mes dires était en cours, dans ce cher pays uni et divisé . Vraiment, chers Camerounais, à moins d'un revirement de pensée d'urgence, vous resterez à jamais colonisés.

C.W. Ekanga Ekanga ,

Frankfurt am Main, le 27 mai 2018

Auteur: C.W. Ekanga Ekanga