Au Cameroun, le Fantôme (Paul Biya) vous salue bien ! (Jeune Afrique)

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Mon, 10 Jun 2024 Source: Georges Dougueli

Georges Dougueli - Journaliste, Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique. il vient de publier une tribune sur Paul Biya

Vexé par les manœuvres de certains de ses collaborateurs, orchestrées à la suite de la fausse nouvelle de son décès, le président camerounais avait donné rendez-vous dans vingt ans à ceux qui attendaient ses funérailles. C’était le 9 juin 2004…

Il est des rendez-vous qu’il vaut mieux oublier. Celui que le président camerounais, Paul Biya, fixa un jour, au pied de la passerelle d’un avion qui le ramenait de Suisse, est à inscrire en lettres d’or dans le livre des bizarreries politiques du pays. Invité à faire une déclaration dans les médias d’État, le président déclara devant des journalistes médusés : « Des gens s’intéressent à mes funérailles. Je leur donne rendez-vous dans vingt ans. » C’était le 9 juin 2004…

Rumeur et sidération

Eh bien, on y est ! Alors, un volontaire ? Qui osera aller frapper à la porte du bureau présidentiel pour rappeler à celui qui l’occupe depuis quarante-deux ans cette promesse librement formulée face à un auditoire qui n’avait pourtant rien demandé ? Personne ? On s’en doutait un peu.

Rappelons d’abord que l’intéressé réagissait à une rumeur, méchante et persistante, qui le donnait pour mort. Le pays s’était quasiment arrêté de fonctionner, la peur de lendemains incertains se diffusait au fil des conversations. Alors âgé de 71 ans, le « chef » séjournait dans son lieu de villégiature préféré des bords du lac Léman, ces dispendieux « courts-séjours privés » qui font le miel de la presse internationale. Selon le « scoop » livré par un obscur journal en ligne, donc, le président serait décédé à la suite d’une intervention chirurgicale qui aurait mal tourné dans un hôpital helvétique. Ce fut d’abord la sidération. Comment ça, il est mort ? Lui, le protégé des dieux de la forêt et des eaux, qui séjourna plusieurs heures dans le Wouri, le fleuve mystique et initiatique des Doualas ; lui, le souverain investi de tous les pouvoirs ancestraux des tribus de la forêt équatoriale, qui survécut à deux tentatives de coup d’État ; lui qui vainquit les trahisons de collaborateurs félons… il ne pouvait pas mourir !

Théorie du complot impérialiste

Puis vint l’emballement médiatique et même diplomatique. Ce qui n’était qu’une rumeur fut pris au sérieux. Une seule étincelle menaçait de mettre le feu à toute la plaine. Dans ce pays biberonné depuis l’indépendance à la théorie du complot impérialiste, on ne croyait pas aux démentis des médias d’État. Tout le monde le sait, il n’y a pas de fumée sans feu. Que nous cache-t-on ? Et les regards de se tourner vers les éventuels successeurs, prédisant déjà le choc des ambitieux, dessinant les scénarios d’une transition périlleuse sur fond de compétition ethnique, etc.

La force de conviction de la rumeur fut même plus forte que celle du communiqué officiel publié par le secrétaire général de la Présidence de l’époque, Jean-Marie Atangana Mebara. On n’y croyait plus. Seule l’apparition publique du président dissiperait le brouillard enivrant de cette affaire. C’est ce qu’il se passa le 9 juin. « Le fantôme vous salue bien », lança le revenant, l’air à la fois remonté et goguenard.

Le plus stupéfiant, lorsqu’on vous fait passer pour mort, c’est de constater à quel point votre prétendue disparition fait des heureux. Faites-le subir à un homme politique, il s’endurcira davantage, convaincu que le pouvoir ne supporte pas les nobles sentiments. Quelle hauteur d’esprit lui faut-il pour épargner les déçus qui lui serrent la main, non sans dépit de le revoir si vivant ! La méchanceté des uns fut si bien révélée qu’elle en a décomplexé celle de souverain. Oh, que la sincérité se raréfie au fur et à mesure que l’on gravit les hauteurs de l’échelle sociale !

Les « prisonniers du président »

Que croyez-vous qu’il arriva ensuite ? Biya lança quelques mois plus tard, en 2006, une impitoyable opération Épervier, censée lutter contre la corruption, en réalité une purge de l’entourage présidentiel et de la haute administration. Condamnés à de lourdes peines de réclusion, la plupart se considèrent comme étant des « prisonniers du président », c’est-à-dire des victimes d’un règlement de compte par voie de justice. Dans cet univers où le pardon passe pour une faiblesse, ces derniers n’ont peut-être plus qu’à prier pour que le rendez-vous fixé par leur ex-mentor ne soit pas respecté, car, lui vivant, ils ne sont probablement pas près de recouvrer la liberté. Le problème est que le président a lui-même sous-estimé son espérance de vie. Après le 9 juin, âgé de 92 ans, « le fantôme » annoncera peut-être sa candidature à propre réélection lors de l’échéance présidentielle de 2025…

Auteur: Georges Dougueli