A la suite de leur victoire à la CAN, les joueurs de l’équipe nationale du Cameroun ont été reçus par le président et la première dame qu’ils saluent en parodiant les courbettes du ministre des sports.
Au début, j’étais indifférent : il y a longtemps que j’avais tourné le dos au foot camerounais et à son équipe nationale, prise en otage par le complexe politico-sportif du pays. Regarder la Coupe d’Afrique des nations (CAN), c’était être complice. Pas pour moi. Et puis l’équipe est arrivée en finale. Tout de même ! Cela valait le coup d’une entorse à ma règle. Je retrouvais donc des amis, camerounais pour la plupart, pour suivre le match. Pour l’essentiel, nous avions le même profil : plutôt indifférents à la base, mais conscients de l’importance du moment.
Paul Biya, la classe !
Au coup de sifflet final, c’était l’extase. Il y avait eu la victoire, il y avait eu l’esprit, notamment en deuxième mi-temps, et puis il y avait eu ces gestes forts à la fin, notamment l’hommage à Marc-Vivien Foé, le Lion indomptable parti trop tôt. C’était beau et émouvant. Et puis le symbole ! Une équipe jeune, pluriethnique, avec quelques Anglophones, qui en plus incarnait le rêve d’une société méritocratique. Irrésistible.
J’étais heureux. Et, en même temps, j’étais perplexe. Le Cameroun que nous voyions sur nos écrans était en partie artificiel. C’était un Cameroun idéal. Qui acclamions-nous au fond, au-delà des joueurs ? Une idée, une fiction, la réalité ? Justement, la réalité n’a pas tardé à montrer son visage. Evidemment. Les héros ont été reçus au palais présidentiel. L’occasion était trop belle.
Le premier Lion, celui qui a inspiré tous les buts camerounais, Paul Biya, n’allait pas la louper. Surfant sur la vague d’émotion qui parcourait le pays, il expliqua à l’assemblée de vieillards incompétents venus célébrer des jeunes compétents que ceux-ci avaient mis leurs adversaires « dans la sauce » et leur avaient « fait cela cadeau ». La classe !
Avec une langue d’une telle qualité, l’émergence pourrait survenir avant… 2035 ! Il était content, c’est sûr, notre président. Il aime bien cette jeunesse talentueuse mais bien sage, qui fait tout par elle-même mais remercie (« donne le respect » comme on dit sur place) les vieillards, ou encore mieux cette jeunesse qui parle de « sauce » comme d’autres ailleurs parlent d’alternance, boit de la bière, s’enivre de drogues. Et surtout la ferme. En revanche, celle qui a les yeux bien ouverts, qui est critique, qui s’exprime, qui se mobilise, est matraquée, persécutée, emprisonnée. Les leaders de la contestation populaire qui secoue les régions anglophones du pays depuis le mois de novembre 2016 et dont le procès s’ouvre lundi 13 février peuvent en témoigner : le véritable message présidentiel à ceux qu’il appelle ses « chers jeunes compatriotes » est : « Soyez jeunes et taisez-vous. »
Un Cameroun idéal qui semble loin
Dans un premier temps, certainement sous le coup de l’émotion, j’ai pensé que le président était à l’unisson du pays, et que le large sourire qu’il affichait lors de la réception des nouveaux champions d’Afrique en son palais était celui du fan qui était passé par toutes les émotions durant le match et savourait une issue heureuse. Mais le discours qu’il a prononcé à cette occasion montrait qu’il entendait tirer un profit politique de cette aubaine. Son sourire était moins celui du supporter invétéré que celui de l’opportuniste consommé. Les couplets sur le sacrifice suprême, l’unité et l’amour du pays, l’esprit patriotique, l’appel du drapeau, étaient autant de pierres jetées dans le jardin de ses opposants, réels ou fictifs. La roue avait tourné. L’élan était de nouveau de son côté. Il se retrouvait tout d’un coup avec les meilleures cartes.
Plus que jamais, la résolution de la crise anglophone, et de toute autre crise qui surviendra, se fera dans ses termes, c’est-à-dire ceux d’une répression impitoyable. La route est libre. Il file vers une candidature certaine à l’élection présidentielle de 2018, et vers une victoire tout aussi certaine. Tout ça pour ça.
Avec le recul, au-delà de la victoire des joueurs, c’est la possibilité d’un Cameroun différent dont je me réjouissais. J’acclamais un idéal. Mais comme il semble loin.
Ironiquement, le jour même de la victoire des Lions indomptables, et alors que le peuple camerounais tout entier, et notamment la jeunesse, célébrait ses champions, une coupure de courant plongea le pays dans le noir pendant plusieurs heures.
Cela n’empêcha pas le président camerounais de vanter son action lors de son adresse à la jeunesse, à l’occasion de la fête de celle-ci (le 11 février) : « Regardez autour de vous. Voyez ces barrages hydroélectriques qui s’édifient, ces routes, ces ports et ces autoroutes qui se construisent, ces usines et ces stades qui se bâtissent. Ce sont autant d’emplois et d’opportunités diverses pour notre jeunesse ». C’est à se demander qui des Egyptiens, malheureux finalistes de la CAN, ou de la jeunesse camerounaise, sont « dans la sauce »…